Juillet 9

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(Ely)

Je sortis du drap, tremblante, le bras cherchant l’interrupteur. La lumière mangea l’obscurité.

— Qu’est-ce qui me prend ? Pourquoi ça revient ? Ça n’existe plus. Je suis libre. Je peux aimer qui je veux, quand je veux.

Je me déshabillais, jetai mon tee-shirt et mon caleçon avant de passer son jean. Je n’avais pas envie de rester dans le lit, alors j’embarquai ma guitare et partie dehors, au clair de lune. Dans la nature reposante, les fantômes du passé ne viendront pas me faire chier. Et ils ne vinrent pas.

Je m’installai sur la balancelle, la guitare entre les doigts, commençai à faire des arrangements, puis le métronome gratta les cordes et les notes s’enchainèrent. Douce comme la nuit tombée, puis plus profonde, plus grinçante… Je grattais fort, le corps crispé, le dos rond, la mâchoire fermée. Je laissai la fracassante mélopée envahir l’orée du bois, et diffuser la colère qui nageait en moi. La rage d’avoir attendu si longtemps pour « vivre », le faisais-je bien ?, d’avoir laissé les mauvaises choses se faire et surtout se répéter et d’avoir eu la répugnance de regarder un peu trop longtemps un gamin à peine adolescent. Étais-je comme lui ? Comme cet homme… Ça me terrifiait, alors je jouais plus fort encore. Je jouais pour ne plus voir ce regard trop vert, pour ne pas entendre sa voix trop pure qui parlait trop bien, pour oublier son genou contre le mien sur le canapé cet après-midi. Je m’étais ratatiné quand j’avais compris que c’était lui à côté de moi. Evack m’avait repoussé sur son neveu, sentant que j’exerçais sur lui, un besoin de fuir ce genou contre le mien. Je m’étais tenu si près du visage de Matys que j’avais cru en crever. J’avais fini par rejoindre Zéphyr et Nathalie sur le carrelage. Je n’avais aucune envie de penser à ce gamin et encore moins de le rêver.

— Je refuse ! hurlais-je en grattant plus fort.

— Tu refuses quoi ?

Je m’arrêtai net, relevai la tête, avant de me tranquilliser sur la voix qui venait de me couper dans mon extériorisation.

— Zéphyr ?

— Tu attendais quelqu’un d’autre ?

— Je n’attendais personne, lui assurais-je.

— Je peux m’assoir ?

— C’est chez toi.

Je me décalai et quittai la guitare.

— Non, joue encore, s’il te plait, demanda-t-il, la mine basse.

Il ressemblait à son frère, à Evack. Plus encore qu’à Paul ou Adès avec qui il formait le trio Torrens. Zéphyr avait le même regard bleu que mon pote, le même grain de peau et les cheveux noirs bouclés. Ils étaient bien plus longs, si longs que le bout de sa tresse lui caressait les cuisses. Je trouvais ça beau quand il les détachait. Adès aussi. Max en était fou et jouait avec comme un gosse. Carmen et Nathalie, les jumelles, adoraient le peigner malgré leur âge. Et Evack le dévorait des yeux sans y prendre garde. Il était hypnotisé par son grand-frère, par sa chevelure qui noyait son corps.

— OK. Tu veux que je joue un truc en particulier.

J’attrapai à nouveau ma guitare, il n’émit aucune préférence, alors je jouais One more night de Phil Collins. Je grattais les cordes en contemplant les notes qui formaient une voix et des images dans ma tête. C’était plus fort que moi, je commençais à chanter, traduisant chaque mot dans notre langue. J’aimais faire ça depuis quelques mois. Tout traduire et, parfois, changer les paroles pour qu’elles aient plus de sens pour moi.

Et si tu marcheras au loin

Et je te suivrai,

Parce que quoi que tu imagines,

je ne sais pas faire autrement que vivre en te regardant.

Une nuit de plus…

Je ne chantais pas pour moi avec mes sentiments, mais bien avec les émotions d’un autre. Je parlais de ce que j’avais vu, de ce que Zéphyr voulait entendre et de ce que Evack aurait pu lui dire pour qu’il ne pleure pas.

Je n’ignorais pas les larmes qui avaient coulé sur les joues de Zéphyr. J’ignorais seulement ce qui les avait fait verser.

Je jouais longtemps, sortant de ma tête des songs de pop, de rock, de soul, de jazz… À certains moments, ils se mélangeaient. J’inventais des paroles, gravé les notes dans ma tête qui me venaient d’elles-mêmes. Je savais qu’en retrouvant ma chambre, je tirerais une feuille et écrirai des partitions…

Zéphyr m’écoutait silencieusement, en observant un point à l’horizon. Dans la nuit, avec cette expression de douce rêverie, je le confondais avec mon ami. C’était la première fois que je jouais pour quelqu’un, seul, assis à mes côtés et perdu dans ses pensées. Ce n’était pourtant pas émouvant comme je l’avais cru, ça ne l’était ni devant Zéphyr, ni devant les clients du Hongrois. J’aimais jouer pour moi, pour parler de mes tréfonds. Je jouais pour évacuer la noirceur dont je n’avais jamais su me débarrasser, ni avec mes romans ni avec rien.

Je croyais qu’en me libérant de Rex, de la maladie de mes parents, de mon corps, j’irais mieux. Il y a quelques semaines, ça allait bien. Très bien même. Pourquoi, je me sentais à nouveau dans l’obscure salle de mes tourments ? Pourquoi recommençais-je à tergiverser sur n’importe quel sujet ? Pourquoi je ressentais à nouveau le vide ? Pourquoi semblait-il me dire qu’il n’était jamais parti et que ce n’était pas dans ses intentions ?

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