Juillet 10

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(Ely)

J’avais cédé aux réclamations du petit groupe qui m’entourait en dansant.

Ma clarinette en main, je leur proposais quelques morceaux que j’avais composés pour le groupe. Des morceaux plus personnels, puis des variétés françaises toutes époques confondues, pour entendre toutes les voix s’élever dans un capharnaüm impossible.

Max faisait le con et tournait autour de sa fiancée. Des fiançailles qui duraient dans le temps. Mélodie reportait le mariage à l’infini et Max s’était fait une raison. Il n’avait pas besoin de ça pour être heureux. Il avait déjà fondé une famille avec elle, et ça durait depuis dix ans. En les regardant, je vis un jeune couple s’amuser et retomber en adolescence. Les jumelles se trémoussaient avec quelques voisins de leur âge. Elles ressemblaient à leur mère de par leur beau cheveux auburn, leur peau blanche accablée de tâches de rousseurs. Je m’étonnais en les contemplant que Matys n’était pas l’ombre d’un grain de beauté. D’ailleurs, mise à part ses yeux verts, il ne se ressemblait ni à ses sœurs ni à sa mère. Sans doute à son père.

La soirée tombait à sa fin, il ne restait dans le salon que les couples et deux frères un peu trop proches qui valsaient doucement sur une mélodie plus romantique. Même devant cette petite assemblée, à jouer, je ne ressentais rien hormis la vibration de mon instrument, de ce moment où je devenais lui plus qu’il ne devenait moi.

Pour ressentir, j’osais me retourner vers la fenêtre et je fixais la lune. Elle me souriait et je me sentis léger… Jusqu’à ce son…

Derrière moi, quelqu’un frottait les cordes d’un violon et le murmure qui en ressortit me surpris. Je frémis de la tête au pied. Le son d’un violon. J’aimais à la passion cette voix frottée et pénétrante. J’avais toujours rêvé qu’on n’en joue rien que pour moi. Lentement, j’arrêtai de jouer et laissai toute la place à l’autre.

Je pivotai lentement. Le registre avait subitement changé et je me pris une vague d’émotions dans la face. C’était brusque, entêtant, ça entrait à l’intérieur de moi, fracassant toutes les portes fermées de mon être. C’était une gifle pure et dure, faite de violence et de ténèbres. C’était la folie à l’état de note. La folie dans le regard indéchiffrable d’un … gamin de douze ans. D’un gamin qui fascine et qui détruit tous les remparts, toutes les cachettes.

Mathys me fixait en agitant son archè. Il me susurrait dans le silence des convives qu’il jouait pour moi. Mais pourquoi ?

Je n’arrivais pas à me défaire de lui. Je restais pendante devant lui. Les bras le long du corps, retenant avec fébrilité mon propre instrument. J’étais en train de me liquéfier sur place et même l’air frais de ce soir ne parvenait pas à me détacher de lui, de ses yeux beaucoup trop profonds, de ce savoir qui soulignait son agilité.

Ne me laissez pas me perdre comme ça. Pas dans son regard à lui. Ne me le donnez pas plus fascinant qu’il ne doit l’être. Je ne veux pas ! Je ne veux pas… le regarder plus longtemps.

Mais je n’y arrivais toujours pas. Ça me brisait. Ça me tuait. Il me terrifiait.

Mathys voyait une chose que je ne voulais absolument pas qu’il voit.

Ne regarde pas ça. Ne regarde pas ce que tu éveilles chez moi. Je suis une horreur, une monstruosité. Je ne te regarderais pas. Plus. Putain ! Tu n’es qu’un petit garçon qui fait le grand. ARRÊTE de nous singer ! Tu es ridicule.

Moi, bien plus que lui.

Je me détournai enfin, en déglutissant lamentablement et en reprenant mon souffle. J’étais au bord de l’apoplexie.

Je remarquai que tout le monde le contemplait, obnubilés par sa performance. À quel point était-il talentueux ? À quel point « savait-il », pour jouer ainsi ? Pour me faire mal et pour me montrer cette souffrance qu’il possédait, lui aussi ? Il semblait me dire que nous nous ressemblions, lui et moi. Que nous avions vécu un trauma de l’âme. Un qui vous éveille trop tôt face au monde.

Il quitta son violon, me sourit et me tendit la main.

— Nous devrions jouer plus souvent ensemble à l’avenir.

À l’avenir. Il me promettait qu’on se verrait souvent. Je me demandais si la peur qu’il m’affligeait s’estomperait à force de le côtoyer. Après tout, il y avait des enfants plus intrigants que d’autres. C’était pareil pour les adultes. Je me faisais probablement du souci pour rien. J’étais fatigué... et je pensais trop. Voilà tout.

Je lui serrai la main, amicalement.

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