Juillet 11
(Ely)
Dans mes chaussures de randonnées, je suivis le groupe composé de Max, Zéphyr, Mathys, moi et deux potes alpinistes d’Evack : Jeck et Armand.
En tête, les trois amis discutaient sous le regard attentif d’un Zéphyr soucieux. Au milieu du groupe, je pouvais entendre toutes les conversations. Et il me sembla évident qu’Evack prévoyait sa prochaine ascension du Mont Blanc pour septembre. Mais était-ce la préoccupation de son frère ?
Armand et Evack étaient sortis ensemble au lycée. Peut-être y avaient-ils eu quelques soirées après… Mais d’ici, je savais qu’Evack en avait fini de cette histoire avec Armand.
Si je n’avais pas rencontré Evack au Hongrois, je l’aurais retrouvé dans mon club de rando. Je ne comptais plus les points communs que nous cumulions, et j’avais attendu un pot de son calibre depuis toujours.
J’adorais lorsqu’il sonnait à ma porte, à l’improviste, et qu’il me faisait monter le Baou avec les chiens, histoire de se dégourdir les gambettes. C’est particulier la façon qu’il avait de deviner mes lassitudes dues au mouvement imprécis de ma vie. Mes parents qui avaient été en grande partie mes journées.
Je ne m’étais pas attendu à le voir entrer dans ma vie comme il l’avait fait. Si essaiment, comme on glisse sur une flaque. Il avait fallu trois rencontres, quelques bavardages après mes représentations avec le groupe et j’écrivais son numéro dans mon portable. Un mois après nos échanges, on montait le Baou, et Narcisse était folle amoureuse d’Evack. Cette Chipie.
Ces vacances n’étaient pas qu’un bon moment à passer dans sa maison de famille, c’était aussi histoire de m’emmener à la découverte des monts auvergnats. Mes chiens étaient en tête, prêts à flairer leur meilleure pisse du jour.
En coulant mon regard dans le ciel bleu, j’entendis Max râler contre des ronces et Zéphyr, venu, l’aider. Je me tournais vers eux, me demandant ce que mon agent et ami foutait ici, à crapahuter le puy de Sancy alors qu’il n’était pas baroudeur pour un sou.
— Il pense que des virés entre beau-père et beau-fils renforceront notre lien, expliqua Mathys en posant une pierre sur un cairn.
Sans montrer ma surprise de le voir à côté de moi, je hochais la tête.
— Et ça fonctionne ?
— Notre lien est plus que renforcé. J’avais deux ans quand il a emménagé. Il m’a élevé, il m’a appris. J’imagine que je ne suis pas assez démonstratif, alors il doute de mon amour pour lui.
— Pourquoi ne pas le rassurer ?
— Parce que ça m’amuse de le voir galérer avec des ronces. Il est tellement maladroit. Et puis, ça lui fait tellement plaisir de faire quelque chose avec moi. Quelque chose de plus simple que la danse ou le violon…
— Vous lisez tous les deux.
— C’est un fait… mais pas la même chose. Il a une préférence pour la littérature blanche.
— Ça, c’est clair.
C’était à se demander pourquoi il était devenu mon agent et comment il pouvait apprécier mes bouquins. J’écrivais du fantastique presque essentiellement.
— Et toi ? c’est quoi que tu lies ?
Pourquoi lui faisais-je la conversation ? C’était évident qu’il aimait la littérature de l’imaginaire. Je parlais pour ne pas le vexer.
— Les triller psychologiques, dit-il sérieusement.
— À douze ans, est-ce que tu comprends la moitié de ce que tu lis ?
Un rire m’échappa, je le ravalai presque aussitôt, quand Mathys posa son regard vert dans le mien et que j’y lu la réponse.
Il comprenait ce qu’il lisait.
— Si je ne comprends pas un passage, je fais des recherches pour le comprendre. C’est comme ça que je fonctionne, m’apprit-il.
Je n’arrivais pas à me dégager de ses yeux hypnotiques qui pénétraient si loin sous la chair. Que fixait-il ? Mes prochaines remarques ? Le malaise qui commençait à monter en moi ?
Je parvins à me détourner, faisant mine d’apprécier le paysage. Je l’apprécie, d’ailleurs. Tout ce vert qu’il n’y avait pas sur nos monts Toulonnais, c’était revigorant.
— Tu ne fais jamais de cauchemar après tes lectures ?
— Je devrais ?
— Je n’en sais rien… J’imagine que ça devrait, génie ou non, tu es jeune.
— J’ai peur aussi. Mais pas des histoires que je lis.
— Hum… et de quoi as-tu peur ?
Je repris la marche, en essayant de donner peu d’intérêt aux réponses de Mathys.
— Je t’en parlerai un jour, quand tu voudras bien me prendre au sérieux. Là, je n’ai que douze ans, c’est bien ça. Alors ce n’est pas très intéressant, ce que je peux bien te dire.
C’était dit avec la rudesse de la jeunesse.
Il me passa devant et rejoignit Evack. J’observais un instant sa façon de se mouvoir et d’accrocher ses semelles sur le sentier. Il savait marcher, contrairement au boulet derrière.
— Qu’est-ce que tu ne sais pas faire ? soupirais-je en accueillant la brise fraîche.
Le soleil tapait, mais moins fort qu’à la maison. Je me penchais à nouveau sur le panorama.
Du vide et de l’air.
J’aurais voulu être un oiseau.
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