Novembre - 13

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(Ely)


Le vide en moi conspirait à me foutre à terre. Je restais encore au lit, incapable de trouver la force pour me lever. Les cauchemars avaient repris et Mathys y prenait une place trop grande. Rêver de ce gamin me donnait envie de me foutre en l’air. Toutes les fois où j’étais allé voir Evack, pendant les vacances de la Toussain, il avait été là. J’avais senti son regard me décomposer, grappiller des réponses qu’il devinait simplement avec un geste. J’avais envie de croire que c’était moi qui pensais trop. Parce qu’aucun gamin de son âge ne cherchait pas à comprendre aussi fort une personne. À presque treize ans, ils jouaient au foot, aux jeux vidéo. Ils tannaient leurs parents pour regarder des dessins animés de plus en plus nazes et commençaient à faire la révolution et se cherchaient un look pour être badasse à l’école. Dans mon monde, c’est ça avoir douze ans. Je jouais encore avec mes poupées et je commençais à me maquiller un peu pour aller au collège. Je ne savais pas ce que ça voulait dire « bite », je ne connaissais pas grand-chose. J’étais nul en maths, prenais des cours de théâtre parce que je voulais devenir la chouchoute du prof de français. Qu’est-ce qui n’allait pas chez Mathys ?

Je me tournais dans mon lit. Les chiens m’écrasaient les pieds, les quatre fers en l’air gambadant dans les champs de leur rêve. Je repensais à mes douze ans, aux filles qui avaient mon âge, à celles qui étaient populaires et vachement sexualisées. Je me souviens des discussions : les garçons, les magazines, les mangas, les chanteurs et groupes à la mode. À l’innocence que j’avais quand je promettais à mes parents de partir de la maison quand j’aurais dix-huit ans. En y repensant, il y en avait des comme Mathys. Des camarades qui devaient vieillir plus vite que les autres. À la vérité, je l’étais, cette jeune fille de douze ans qui se levait tous les matins seule à la maison. Qui m’assurait que le chien avait bien mangé, qu’il avait de l’eau, que le gaz était bien éteint… Je ne voyais mes parents que le soir en rentrant. Je me souvenais que le matin, mes amies étaient réveillées par leur parent. Qu’on leur servait leur petit déj’ et qu’on les amenait à l’école. Et qu’au contraire, certains, étaient les parents de leurs frères et sœurs, veillant sur eux.

Mathys était différent… Il pouvait bien avoir ce regard alors qu’il avait expliqué à Evack comment remplir correctement ses papiers d’administration. Je m’étais même laissé écouter chacune de ses explications.

Mais Mathys pouvait bien être surprenant, il ne savait pas tout. Il venait à peine de rentrer dans le monde. Et je savais que j’aimerais observer son évolution. Par pur curiosité. Qui deviendrait-il ?

Je devais juste arrêter de donner trop d’importance à ses paroles, à sa musique, à son génie… à lui en train de me dire : « Les gens se laissent trop souvent avoir par ce que pensent les autres, continue à les écouter et tu mourras sans avoir rien vu du monde et des trésors qui nichent en toi. ». Putain ! Qui disait ça, avec détachement, comme si ça coulait de source ? Il devait l’avoir lu dans un bouquin.

Mathys me terrifiait, et je n’avais plus envie de le côtoyer. Quelque part, j’étais ravie d’apprendre qu’il partait un an en Angleterre. Max m’avait dit : « Il débutera en janvier dès qu’il aura treize ans ». Il pouvait se le permettre. Prendre en court de route.

En boule dans le lit, je fermais les yeux, avant de les rouvrir.

Il était encore là. Jamil. Je n’oublierai donc jamais ? Pourquoi ? C’était du passé. Je pensais avoir tiré un trait sur ce qu’il m’avait fait.

J’avais enfin la vie devant moi. Plus de parents à s’occuper. Plus de copains à satisfaire. Plus de désert social auquel me confronter la mine basse. Plus à faire du ménage, à préparer des repas, à être celle qu’on voulait que je sois. Aujourd’hui, j’étais « iel » comme Mathys le disait. Il me parlait avec ce langage non genré dont j’avais tant de mal à m’habituer. Il, elle, m’allait encore très bien. Je crois bien que je me fichais bien du pronom qui viendrait souligner mon genre.

Narcisse, mon Épagnol breton, se faufila entre les draps. Très vite rejoint par Cérninos, mon Saint-Hubert de cinquante kilos. Les draps et la couette volèrent et glissèrent au sol. Je n’étais protégé plus que par mes chiens, réchauffé par leurs poils. Je devenais un chien à mon tour et m’enroulai avec eux pour finir par me rendormir. Il n’y avait jamais eu plus réconfortant qu’un chien la tête basculant dans mon cou et son cœur, battant contre le mien. Voilà, une musique des plus reposantes. Un calmant bien plus efficace qu’aucun somnifère. Je les aimais plus fort que le monde autour de moi. Plus fort que ma vie. Mais ils n’étaient pas éternels et bientôt, ils seraient trop âgés pour rester avec moi. La vie changerait, les habitudes remplacées part d’autres.

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