Novembre -14

7 minutes de lecture

(Ely)


La clarinette au bout des lèvres, je jouais, les yeux déportés sur les clients du Hongrois. Linda, ma chanteuse, donnait de la voix. Son Jazz était puissant, parfois endiablé. Ce soir, il était plus doux, plus ambiancé. Martin, le bassiste, la dévorait des yeux, tout comme Rosko, le batteur. Tous les trois formaient un trouple parfait. Deux hommes en pleine dévotion pour leur femme, prêts à se damner pour elle. Jamais un haussement de ton entre eux. Toujours une possibilité de se parler et de mettre les choses à plat. Les conflits se réglent sans bagarre, sans hurlement… J’aimais jouer avec eux trois. J’aimais leur complétude. Ils étaient beaux et distrayants. Ils m’apprenaient que deux ou trois, même quatre, c’étaient pas si mal, tant que chacun se comprenait et parlait le même langage : l’amour.

La fin de soirée s’amorçait. On jouait un dernier morceau avant de se quitter et de se donner rendez-vous le surlendemain, chez moi, pour répéter. J’avais agencé un studio dans mon garage. Une partie était réservée aux invités un peu plus indépendants qui voulaient de l’intimité. Selon une amie d’Adès la chambre dans les combles était un endroit romantique pour s’envoyer en l’air. J’avais effectivement trouvé l’espace intéressant pour emmener quelques conquêtes. Une mezzanine qui avait du succès auprès des plus jeunes, plus que ma chambre à coucher. L’autre partie, plus petite, servait de salle de répétition et d’enregistrement à notre groupe.

Le garage avait toujours été un véritable dépotoir. Aujourd’hui, il ressemblait à quelque chose de plus humain. Je m’y sentais bien. Suffisamment pour y rester des jours. Je dormais dans la chambre dans les combles.

En rangeant mes instruments, je laissais une jeune femme m’aborder. Les cheveux bleu nuit, une robe noire moulante qui offrait une vue plongeante sur son décolté, elle était belle, elle en jouait volontiers.

Je n’étais pas certain de savoir ce qu’elle me voulait, jusqu’à observer son sourire et le pétillement dans ses yeux. Elle avait envie de moi, ou plutôt de la personne qui lui faisait face. Et ce soir, j’avais poussé ma masculinité jusqu’au bout. J’avais noué mes cheveux dans une longue natte châtain enroulée sous une péruque. Je portais une chemise ouverte à moitié sur mon torse. Pour parfaire l’homme que j’étais, ce soir, j’avais mis un collier en cordage. Les manches de ma chemise étaient remontées sur mes biceps, découvrant mes tatouages : deux cercles sur le côté droit, et le visage d’une créature sur le gauche. Mes rangers au pied, la boucle de ma ceinture Hell boy. J’avais tout pour lui porter à croire que j’étais un homme jusqu’en bas de la ceinture. Ce que j’aurais voulu ce soir-là. Ce que je voulais parfois. Ce que je ne pouvais pas avoir, parce que je n’étais pas un mérou.

Je ne suis pas ce que vous cherchez, dis-je avec un sourire.

Ma voix ne trompait personne. C’était celle d’une femme. Une femme qui ne l’était jamais tout à fait.

Elle arqua un sourcil, sans s’étonner. Et très vite, je compris qu’elle le savait déjà. Le groupe d’amis, derrière elle, venait souvent, et la demoiselle devant moi, était celle qui venait toujours en jogging à capuche. Je ne l’avais tout simplement pas reconnu.

Je pense que vous êtes tout à fait ce que je recherche, assura-t-elle.

J’étais curieux. Et les femmes savaient me plaire. Elle aussi. J’avais mes périodes, et si elle était partante, je le serais aussi. J’avais besoin de voir autre chose que mes partitions et mes romans, de sortir la tête de mes cauchemars. Et elle était tout indiquée pour me faire oublier.

Je vous préfère avec votre longue tresse, avoua-t-elle.

Parfois, j’aime changer.

— Je sais.

Je n’avais jamais pensé qu’elle puisse me regarder autant. Je ne faisais pas attention aux autres lorsque je jouais, même s’il m’arrivait d’attraper un regard plus séduisant qu’un autre, parfois. Ce que je préférais, c’était les minets, pas trop grands, les cheveux longs (si possible), des lèvres pleines, bien dessinées, et avec une ribambelle de taches de rousseurs. Pas de gros muscle, mais athlétique. Les danseurs me plaisaient beaucoup. Bref, des mecs pas trop épais, avec qui je pouvais pratiquer le sexe avec aisance, dominant la plupart du temps, pour ne pas dire tous les temps. J’aimais avoir le pouvoir de dicter la marche à suivre. Me laisser faire ? C’était devenu impossible. Je devais contrôler pour prendre mon pied. Lâcher prise ? Je ne savais pas faire. Ni avec les hommes ni avec les femmes. Ni avec personne.

— Vous savez ? ris-je.

— J’ai vu. J’aime assez ce que vous proposez. J’aime bien vos chemises toujours colorées, vos boucles de ceinture, vos chaussures qui rendent le tout sauvage et dangereux.

— Ah ! Carrément ?

Elle me sourit, perchée sur ses talons de huit centimètres.

— J’aimerais vous offrir un verre, me proposa-t-elle.

Je ne savais pas s’il s’agissait d’un pari perdu, d’une méprise de sa part sur mon orientation sexuelle, mais je n’en avais rien à carrer. Je savais seulement que lorsque j’étais trop fatigué, je m’endormais aussi sec. Et ce qui me faisait dormir, c’était le sexe. Celui sans sentiment. Celui d’une nuit avec des inconnus. Celui dont je ne me rappellerais plus des semaines plus tard, absorbé par mon quotidien. J’aurais remplacé truc par machin et m’en serais satisfait.

— Avec plaisir.

Je la guidais jusqu’au bar. Evack me fit un client d’œil, comprenant très bien où cette soirée me mènerait. Il prit mes instruments et les planqua sous le bar. Il les ramènerait chez lui et je viendrai les chercher plus tard. Ce n’était pas la première fois et Evack était rôdé depuis le temps.

— Et sinon, tu joues depuis longtemps de la clarinette et de la guitare ? demanda la jeune femme.

— Un peu plus de trois ans.

— Ah ! J’pensais que tu avais commencé jeune.

— J’ai commencé quand j’ai quitté mon mec, lui révélai-je, avec un petit sourire.

J’avais revécu lorsque j’avais enfin mis fin à mon mensonge. Il n’avait que trop duré. Aujourd’hui, je savais grâce aux réseaux que Rex avait trouvé une jolie rouquine (comme il les aimait), marathonienne et branchée bébé et famille. Tout ce que je n’étais pas. Il serait bientôt papa et j’étais vraiment heureuse pour lui. Comme quoi, il se lamentait pour pas grand-chose. J’espère qu’aujourd’hui, il avait compris ce que j’entendais par, je veux que tu découvre ce que c’est l’amour. Moi, j’attendais de découvrir le monde et ma liberté (celle que la société tolérait).

— Castrateur ? demanda-t-elle.

— Il n’en savait rien. Il pensait qu’il était un type chic… Il l’était, mais trop étouffant. Je l’aimais comme on aime un frère, un ami. C’était dur parfois. Surtout dans l’intime.

— J’comprends, t’inquiète. J’ai pas su tout de suite que j’étais lesbienne.

— C’est dure de se comprendre quand on doit aussi satisfaire une autre personne.

— J’suis tellement d’accord.

Elle but une gorgée du Gimlet qu’elle avait commandé. Je sirotais une limonade avec du basilic, une tranche de citron et d’orange. Evack l’appelait « le spécial Ely ».

— C’est quoi ton nom ?

— J’te l’ai pas dit ? s’étonna-t-elle.

Je souris en secouant la tête, une main sous le menton.

Ça y’est ! Je lui fais griller les circuits.

Nous parlons encore une demi-heure, avant qu’Evack nous montre l’heure.

Sirielle me proposa un autre verre chez elle.

— Je n’habite pas très loin, m’assura-t-elle les yeux pleins de concupiscence.

— Alors, je vais me laisser tenter, murmurais-je à son oreille en lui proposant mon bras.

L’élégance plait autant aux hommes qu’aux femmes. Eack disait que mon charme parlait de lui-même. Mais je ne me trouvais pas de charme. Pourtant, mes amis m’en parlaient souvent quand il m’appelait Don Juan.

« Ton regard sauvage, Ely. On dirait que tu vas nous bouffer et c’est tellement plaisant », avait clamé une connaissance l’été dernier. J’avais eu la confirmation de toute l’assemblée. Ce n’était pas que mes yeux, selon Zéphyr et Adès, c’était aussi mon rire communicatif, mes gestes théâtraux, ma décontracture. Pour Evack il était évident que c’était mes absences, quand subitement j’observais les mondes logeant au fond de ma tête et que perdu dans mes pensées, je fixais le néant. « J’étais un mystère ». Si je devais me trouver un charme, il est vrai que je choisirais mon regard. J’aimais la puissance qui s’en dégageait parfois. Ce brun qui une fois épuisé se changeait en un vert brillant et brumeux. Mon visage était commun, peut-être trop blanc avec des lèvres trop rouges et fines.

Je n’arrivais pas à saisir ce qui attirait les autres vers moi. Mon besoin de contact, d’existence…

Je me laissais guider par Sirielle et son bal-bla que je n’écoutais plus que d’une oreille. Je n’étais jamais vraiment avec ceux ou celles qui me choisissaient. J’avais envie de nouveauté, un besoin de connaissance approfondie, alors je suivais le chemin de ces autres.

Je savais pertinemment que je ne dormirai pas chez elle. Je partirais après qu’elle réclame que je reste. Je lui dirais la vérité : « J’ai deux anges qui m’attendent sagement à la maison, je ne veux pas les laisser seule une nuit entière. ». Je sourirais et je partirais, sans promesse. Et elle le saura lorsque je fermerai la porte derrière moi.

Ce besoin de désengagement, je l’avais depuis ma rupture avec Rex. J’étais terrifiée que l’autre attende toujours trop de moi. Alors que je n’avais rien de plus à donner que quelques instants d’une vie trop courte. J’étais affamé de voir… J’avais la croyance que je n’étais pas fait pour être à deux (ou pas plus de quelques semaines, mois).

La porte s’ouvrit, une odeur d’encens m’irrita la gorge. Sirielle m’attira jusqu’au salon, m’y laissa seul avant de revenir avec deux verres. De l’alcool. J’aurais préféré une boisson douce et sucrée, mais c’était la boisson attitrée pour une séance de sexe entre inconnus. L’amertume me coula sur la langue, me décocha une grimace que je rognais vite, avant que Sirielle pose un baiser sur mes lèvres.

Je suis curieuse.

Pas plus.

Je prendrai ce qu’elle me donnera.

Pas plus.

Et sans rien lui offrir qu’un peu de ma chaleur.

Son odeur, je la ferais disparaitre sous des litres d’eau.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire NM .L ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0