Novembre -15

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(Ely)


Les odeurs ?

Je les aimais et les détestais.

Parmi celles que j’aimais : il y avait l’odeur de mes chiens, la fragrance de verveine et d’agrume, les bons plats migeotés, le parfum d’Evack, les peaux sous le soleil, celle du sable, de la mer, de la nature et de la ferme…

Parmi celles qui me faisaient froncer le nez : le poivron, l’alcool, la cigarette, la puanteur, la transpiration, mes amants-es et leurs sexes.

Pour ce dernier, j’avais beaucoup de mal à accepter une autre odeur que la mienne sur mon corps ou entre mes jambes. Ça me révulsait et je me lavais deux à trois fois pour ne sentir plus rien. Je ne supportais pas qu’on me marque ainsi. Un vestige de Rex. Il avait toujours eu une odeur plus forte que la mienne et ça restait même après m’être lavé. J’étais obligé de me frotter presque aussitôt après avoir couché avec lui pour m’en débarrasser. Depuis, je n’acceptais personne sur ma peau. En moi et sur moi.

La mère d’Evack me tendit une cuillère remplie de sauce tomate.

— Goûte encore Ely. Il manque de saveur, mais je ne trouve pas. Toi, tu as du palais, contrairement à mes gamins.

Et c’était entièrement vrai. Outre le fait que j’adorais manger, j’avais du palais.

J’engloutis la sauce. Je sentis mes yeux pétiller et repérais les manques.

— Un peu plus d’estragon, de piment d’Espelette, de sel, de basilic et un zeste de citron pour plus de fraîcheur, madame.

— Qui est cette « Madame » ? J’ai dit de m’appeler Margot.

— Pardon, Margot.

— C’est bien, mon p’tit.

Elle appelait tout le monde « mon p’tit » et ça me faisait marrer. Quand je venais manger chez les Torrens, j’avais l’impression d’être à la maison. Une maison que je découvrais depuis trois ans. Une famille que je n’avais jamais eue avec des rires, de la solidarité et du soutien. Les repas me ravivaient. On ne parlait jamais d’argent chez les Torrens. On s’en fichait de qui avait acheté le fromage et les croissants.

— T’sais, mon p’tit, se pencha-t-elle vers moi, j’suis bien contente que tu viennes autant. J’ai dit à Evack de te ramener de force s’il le fallait. Tes chiens sont les bienvenus.

— Je le sais, Margot.

Elle était plus grande que moi et ressemblait à Perséphone. Une tige longiligne, sans forme, avec une chevelure brune et épaisse. Ses yeux avaient la couleur de l’écorce des oliviers. J’aimais tendrement cette femme que j’aurais volontiers prise pour mère.

— Ely, tu sais que tu es un enfant de la famille, n’est-ce pas ?

— Oui. Je le sais.

J’avais beau l’entendre me le dire, je n’oubliais pas que je n’étais que l’amie d’Evack. Ce ne serait jamais vraiment ma famille.

— J’espère que tu le sais.

Margot me fourra des assiettes dans les mains.

— Va aider Zéphyr et Paul à mettre la table et après reviens, tu es la seule qui a un palais dans cette maison.

Margot utilisait toujours le féminin pour parler de moi, contrairement à son mari qui mélangeait les pronoms. Il me faisait rire. Avant eux, je n’avais jamais vu un couple avec une si parfaite cohésion. Pas un mot plus fort que l’autre, fusionnel : deux gamins qui se dévoraient du regard, même après quarante-huit ans de mariage. J’imagine qu’il y avait dû avoir des bas dans leur vie… Evack pensait que ses parents étaient un couple particulier. C’était peut-être vrai.

J’entrai dans le salon avec les assiettes et tournai autour de la table avec Paul et Zéphyr.

Ce dernier avait le regard sur Evack et observait chacun de ses faits et gestes. Je remarquais encore cet éclat brouillon dans ses yeux. On aurait dit qu’il avait envie de pleurer. Pourquoi ? 

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