Janvier 2013 - 16

6 minutes de lecture

(ELY)

Il était minuit. Tout le monde se prenait dans les bras. J’avais quitté ma guitare pour embrasser les membres de mon groupe, puis m’étais déplacé vers les Triplet. Adès m’embrassa à pleine bouche, suivi d’Evack qui me fit pivoter. Je captais un instant le regard assassin de Zéphyr avant de respirer à nouveau. Je me retournais vers Margot. Elle me serra dans ses bras. Les clients du Hongrois s’agitaient autour de nous, eux aussi à la recherche d’une bouche, d’une joue qui pourrait les amener à plus dans ce premier jour de l’année.

Max m’attrapa dans ses bras et me souleva de terre.

— Mon auteur préféré ! cria-t-il dans mon oreille. Encore plein de succès littéraires !

Je me marrais. Son visage de si près me renvoya la stupidité de son sourire. Il était rond comme une queue de Pelle. Mélodie derrière lui secoua la tête et m’embrassa sur les joues.

— Un jour, je vais le voir se branler sur tes bouquins.

Elle était ronde elle aussi. Ce n’était pas le langage qu’elle employait habituellement.

Je glissais loin d’eux en riant et atteignis les toilettes. Une envie urgente de pipi. J’avais peut-être trop forcé sur la limonade en ce qui me concernait. Je croisais les jumelles, Nathalie et Carmen, bras-dessus, bras-dessous pliées en deux. Elle avait l’âge de boire et ne s’étaient pas privées, elles non plus. Je secouais la tête avant d’atteindre le bout du couloir. Je m’apprêtais à ouvrir la porte des chiottes quand je l’entendis. Je l’avais vu en début de soirée. J’avais capté son regard puissant sur moi et ça m’avait dérangé. Suffisamment pour que je me gourre de partition. Il était resté à la table de ses sœurs avant de s’éclipser. Je savais de sa bouche que le bruit l’horripilait. Je remarquai que j’avais beaucoup parlé avec lui l’été dernier. La bibliothèque avait été notre repère. Moi pour écrire, lui pour y lire. J’avais souvent oublié qu’il n’avait que douze ans et, à chaque fois que je m’en souvenais, je me demandais ce qu’il n’allait pas chez ce gamin pour converser comme il le faisait. Comment avait-il réussi à me soustraire des informations sur moi, sur ce que j’aimais ou non ? Comment j’avais pu ne pas voir le temps passé en bavardant film culte et gout musicaux des années 80’ ?

— Mathys ?

Je me retournais et me figeai quand il planta son regard vert dans le mien. Avait-il grandi depuis les vacances Toussain ?

Il avait perdu son bronzage et sa pâleur était aussi saisissante que la mienne.

— N’entre pas, dit-il sur un ton monotone.

— Ah ! Et pourquoi ?

— Parce que personne n’est en train de pisser là-dedans. Si tu vois ce que je veux dire…

Je fronçai les sourcils, collai mon oreille à la porte.

Ça ne pissait pas… c’était un fait. Mais lui comment le savait-il ?

Comme s’il avait lu dans mon regard ma question, il y répondit sobrement.

— J’ai malencontreusement ouvert la porte.

— Putain de merde ! Ça va ?

Je me rapprochai de lui, posai une main sur son épaule. Qu’avait-il vu exactement ? Comprenait-il ce qu’on faisait dans ces toilettes ?

— Je vais bien. Pourquoi tu le demandes ? Je n’ai pas l’air d’aller bien ?

Il arqua un sourcil, me laissant sur le cul. Ce gamin était une blague.

— Merde ! Matys ! Pour quoi je demande ? T’es sérieux ? T’as vu quoi ?

— La même chose que j’aurais pu voir à la télé ou sur le portable de mes potes aux collèges. Deux personnes qui font…

Je ne lui permis pas de poursuivre, le coupant abruptement.

— Merde ! Quoi ? Tes camarades te montrent ce genre de vidéos ?

Évidemment qu’il avait déjà vu du prono. Évidemment qu’il savait ces choses-là. Il aurait treize ans dans trois jours. Il passerait son anniversaire en Angleterre…

— Ely, à quel âge tu as vu ce genre de vidéo, toi ?

Il était en train de me faire la leçon.

J’avais douze ans, j’étais en sixième et j’avais une télé dans ma chambre. Je savais, par hasard, que sur la 17, il diffusait des films érotiques aux alentours de 23h00 - 00h00. Je les regardais. Et pas seulement. Je connaissais les réclamations de mon corps. J’avais onze ans quand j’ai eu mes premières règles. Le reste a suivi.

À douze ans, je savais ce qu’était le sexe, à approximatif. J’étais amoureuse, j’avais du désir…

À quel point étais-je innocent ? Je ne sais plus vraiment ? Je voulais des contacts physiques : embrasser, toucher, câliner. Me sentir aimé par un garçon que j’aurais aimé aussi. Précoce ? Oui. Je n’étais pas la seule… Je me souvenais de cette fille dans ma classe. Elle avait douze ans comme moi, comme Mathys. Elle avait un copain plus vieux, en quatrième. Elle n’a pas terminé l’année scolaire. J’ai su qu’elle était tombée enceinte à la rentrée suivante. On ne tombe pas enceinte par la volonté du Seigneur.

C’est jeune. C’est clair.

— Tôt, murmurai-je.

— Bien. Ravi de te l’entendre dire.

Il me sourit, je restais les bras pendant comme un con.

— Je sais que j’ai encore à comprendre tout un tas de choses, mais ça, je connais, j’ai vu… j’aurais pu faire.

Je manque de m’étouffer. Il dit ça pour me provoquer, c’est sûr. J’esquissais un sourire pour le remettre à sa place de gamin.

— Qu’est-ce que tu essaies de me faire croire ? Va, t’as le temps pour ça. Ne te presse pas.

— Je suis en troisième, Ely. Je suis beau. Pas tout le monde au collège sait que je suis plus jeune.

Il fit un pas en avant. Il avait grandi. Je le remarquai parce que je baisse à peine mon regard pour le fusiller des yeux.

— Reste où tu es gamin ! assénai-je. Je t’ai dit de ne plus faire ça. Ne le fais pas avec n’importe qui. Putain ! Ça me gave. Ne joue pas avec des adultes, tu ne sais pas ce qu’il y a dans la tête de certains. C’est dangereux !

— Je ne me sens pas en danger. Toi en revanche, oui. Pourquoi ? Suis-je si impressionnant ?

— Va chier, p’tit con ! Je ne veux plus que tu fasses ça.

Était-ce une façon de parler à un gamin ? Pourquoi est-ce que je sortais les crocs ?

— Je sais : « Sinon, j’en parle à tes parents ». C’était clair cet été.

— Clair ? On ne dirait pas !

— Tu m’en veux ?

Mathys reculs. Son regard devint à nouveau insondable.

Non. Bien sûr que je ne lui en voulais pas. Je ne devrais pas donner autant d’importance à ses agissements, voilà tout. Ce n’était pas sérieux.

— Non.

— Ely ?

— Hum… quoi ?

— Je sais que ça peut paraitre angoissant, mais pour moi, il y a des évidences. Et je suis amoureux de toi. Depuis que j’ai posé les yeux sur tes lignes.

Putain de gamin ! Il sort ça comme s’il plantait des choux. Je restais calme. Son vocabulaire. Pourquoi était-il si posé ? Comment fonctionnait-il ?

— Ok. J’comprends. Moi aussi, à ton âge, j’étais amoureuse de mon professeur.

— Tu n’es pas mon prof.

— Ouais, mais tu vois où j’veux en venir. Ça te passera, crois-moi.

— Oui, tu as raison, n’insista-t-il plus.

Comme ça ? Si facilement ?

Il fouilla dans sa poche, sortit une feuille de papier pliée.

— Je veux bien te croire, continua-t-il. Quand je serais en Angleterre, je tomberai surement encore amoureux. C’est bête d’avoir agi comme ça. Je t’ai ennuyé.

— Non. Tu ne m’ennuies pas, mais j’aime que les choses et les gens restent à leur place. Ne fais plus ça. Ni avec moi ni avec personne. Ok ?

J’étais peut-être un peu froide.

— Promis.

Il me tendit le papier. Je l’attrapais contente qu’il est compris.

— C’est quoi ?

— L’adresse du pensionnat. J’espère que ça ne te dérangera pas si je t’envoie une ou deux lettres.

— Tu sais qu’il y a les boîtes e-mail.

— J’aime le papier.

— J’y répondrais, dis-je avec le sourire.

C’était un drôle de gamin et je l’aimais bien. Même s’il me foutait les jetons, même si le rêver pouvait se solder par des cauchemars. Mathys me terrifiait parce qu’il n’était pas juste un beau garçon, mais parce qu’il avait la capacité d’atteindre un cœur à la force de ses paroles déconcertantes. Je l’admirais, ce gamin qui savait des choses que j’ignorais. Je savais qu’il avait beaucoup à m’apprendre… Mais il n’avait rien vécu.

Rien vécu ?

Je repensais à ce que Max avait dit : « Les flics l’ont retrouvé devant le cadavre de son père. Mathys l’avait détaché et allongé. Tu te rends compte. Il avait appelé les flics, une ambulance et Mélodie a seulement sept ans. Tu ne sais pas comment mon fils m’impressionne. Je me sens si petit parfois devant lui.

Je retournais dans la salle du bar. Mathys se terra dans la pièce de stock avec un livre à la main.

Trop de bruit, compris-je.

Comment nous reviendrait-il de là-haut ? Serait-il toujours insolent ?

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