Février 2015 -19
ely
Sale Mioche ! Il n’avait pas fait semblant en m’envoyant son cadeau. Pas de paquet de bonbon ou d’idiotie dans le genre. Non. Mais une lettre qui pouvait surpasser les hommes et femmes de lettres où il parlait de son affection pour moi. Un amour grandissant qui ne faisait que s’ouvrir dans son cœur. Ses mots étaient accompagnés d’un roman d’Elisabeth Brami. Je ne la connaissais pas avant d’avoir eu ce livre entre les mains. Je n’avais pas envie de le lire. Pas envie de découvrir une nouvelle ligne soulignée au Stabilos. Celle que j’avais lue foutai assez le bazar dans ma tête.
— Il se fout de ma gueule, ce p’tit con.
J’avais envie de le croire. Croire en ses mots. Qui écrivait deux pages pour expliquer ce qu’il ressentait et sa capacité à attendre… N’était-ce pas placer trop d’espoir en un gamin de quinze ans ?
— J’t’en foutrai des « Ma dame ».
Mes yeux fixèrent encore le livre ouvert sur cette phrase : « Laissez-moi vous aimer. Juste avec des mots ».
C’était déjà trop.
J’avais conforté ce gosse à m’écrire ce genre de conneries. Il ne devait plus le faire et moi, je me devais de couper la connexion. Lui faire entrer dans le crâne qu’il n’y aurait rien. Ni des mots ni des gestes.
Je refermais le livre et le balançai dans un coin de ma chambre avant de m’enfermer dans la salle de bain. J’avais besoin d’eau, de musique et de vapeur.
La porte fermait derrière moi, j’ouvris les robinets et laissai les nuages de chaleur se former dans la pièce exigüe. Je tournais le bouton de la radio et laissais un son électro envahir le silence. Quand je ne vis plus à dix centimètres devant moi, je fermais les robinets et enroulais une serviette autour de moi avant de me jeter dans l’eau. Ça brûlait. C’était parfait.
À force de jouer au grand, il finirait par s’attirer les foudres. Il ne savait pas combien il était vulnérable. Dans son petit corps de gamin, il ne savait pas qu’un corps plus lourd et plus fort que le sien pouvait lui voler sa peau…
Il ne savait rien de ce qu’il me faisait en pensant m’aimer.
Il ne connaissait pas la noirceur sous mes paupières.
Quand les cauchemars revenaient. Mathys ne savait rien !
Quand l’ombre se glissait sous les draps et s’enroulait à mon petit corps de petite fille, que la chose passait son tissu rêche sur les zones les plus sensibles de ma peau ou qu’elle embrassait ce qu’elle n’aurait pas dû effleurer. Il ne savait pas !
Dans ce cauchemar, je grandissais en absorbant la noirceur de cette âme folle.
Je me retrouvais à prendre sa place et à me glisser dans les draps de Mathys. Mathys qui, pour moi, n'était qu'un personnage flou. Un souvenir que je contemplais en photo lorsque sa famille m'en parlait. Je voyais dans son regard la même peur qui me paralysait ces fois-là, mais je continuais, comme le diable qui m’avait abîmé…
Mathys ne savait rien !
Ces nuits-là quand je me réveillais en nage et que je refusais de me rendormir. J’avais peur de l’abimer, de lui faire ce mal qu’on m’avait fait.
En fait, j’avais peur qu’on puisse lui faire du mal. Que le monstre puisse le toucher à travers mes traumas. Ce n’était pas tant moi qui le touchais, mais celui qui prenait possession de moi. La créature tétanisante.
Je pouvais bien me mentir, je n’étais encore jamais tombé sur un homme qui avait la même capacité que Mathys à me faire sourire derrière mon écran. Toutes ses conversations passionnantes entre lui et moi. Il me remettait sans cesse en question, moi, mes récits, ma façon d’apprécier le bruit.
Mon affection pour lui grandissait trop violemment.
Mon affection… parce que c’était tout ce que je pouvais me permettre et lui offrir.
Je tapais sur les carreaux de la salle de bain.
— Je ne serais pas comme lui. Je ne te toucherais pas. Jamais ! Pas toi. Personne. Je n’abimerais personne comme ils m’ont abîmé sans en être conscient. Lui, Rex et toutes celles et ceux qui avaient du mal avec le « Stop, arrête ». Pas toi, l’angelot qui pense que pour être grand, il suffit de bien savoir parler. Petit idiot.
Je le protègerai de mes maudites pensées. J’ignorerai les larmes qui me montaient quand je lisais sa tendresse à mon égard.
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