Mai 2015 - 23

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(Ely)

— Vous m’avez parlé de vos parents, de votre ex-petit ami et nous avions commencé à creuser un peu plus loin dans votre enfance. Vous avez parlé d’un monstre.

Je ne savais pas si tous les psys avaient cette voix douce et réconfortante ou s’il s’agissait juste de Madame Careult, mais je me sentais en sécurité. Je pouvais parler sans honte, sans peur de son jugement. Elle ne s’apitoierait pas sur mon sort.

Elle écoutait, posait une question lorsque je n’arrivais plus à raconter.

— Oui. J’ai peur de me transformer en monstre.

— Pouvez-vous me dire à quoi ressemblerait ce monstre que vous ne voulez pas être ?

Je tirais sur mon lobe d’oreille en fixant l’étagère posée de travers. Lui avait-on fait remarquer qu’elle n’était pas droite ?

— Il mange les enfants, les adolescents… L’innocence. Il s’en repaître et recommence.

Je tirais plus fort, laissant quelques secondes s’écouler avant de reprendre, coupant la brunette devant moi, derrière son bureau.

J’étais enfoncée dans ma chaise, toujours à fixer l’étagère.

— J’ai été attouché sexuellement quand j’étais enfant. J’avais six ans la première fois. Je dormais dans la même chambre que mes cousins. Le plus grand me prêtait son lit au fond de la pièce. Et son père me rejoignait avant d’aller travailler. Il avait ce parfum oriental collé à la peau. Ça sentait bon, mais je n’aimais pas quand l’odeur était trop près. Il se glissait dans le lit, sous les couvertures et se collait à moi. Il était toujours nu. Et je sentais toutes ses formes contre moi. J’avais l’impression d’une créature sans peau. Tout était si dur. On aurait dit du bois. Il me caressait partout, gémissait en se frottant. Quand j’ai eu mes règles, je ne pouvais plus dormir avec mes cousins, alors je dormais dans le salon. Lorsque tout le monde dormait, il me rejoignait. Il me faisait me lever, allumer la télé sur des chaines porno et me demander de faire pareil que les femmes. J’étais plus grande, je savais ce que ça voulait dire, je ne voulais pas.

Je tirais encore sur mon oreille, n’apercevant pas la crispation de mes poings et de ma mâchoire.

— À douze ans, il m’a déshabillé et m’a forcé à le branler. C’était si dure. Comme du fer. Comme quelque chose qui ne se casserait jamais. J’étais terrorisé. Il a serré ma main sur son pénis et il a joui. J’étais nue. Il m’a dit de monter sur ses genoux, j’ai secoué la tête. J’ai pleuré silencieusement. Personne ne devait entendre. Personne ne devait savoir. Je n’ai plus voulu dormir chez ma tante après. Et je n’y allais qu’en visite avec ma mère.

Je pris une longue inspiration. Je n’avais pas terminé. Careult le savait, alors elle écoutait attentivement. M’interrompre aurait gâché ce moment où, enfin, je parvenais à dire.

— Je l’évitai même en simple visite. Mais il réussissait parfois à me bloquer dans un coin. À mes quatorze ans, il m’a tiré du couloir. J’étais allé aux toilettes. Grosse erreur. Je savais qu’il fallait que je reste avec ma mère. J’ai eu peur qu’on sache, alors je me suis laissé entrainer. J’ai résisté, mais j’ai fini dans la chambre. Il m’a balancé sur le lit et je crois n’avoir jamais eu aussi peur de ma vie. J’ai caché mon vagin. J’étais en robe. Il a sauté sur moi, a tiré mes bras avec une facilité déconcertante et m’a retiré ma robe et baissé ma culotte. Je me suis figée. Faire la morte. Il a remonté sa tunique. Son sexe était en érection. Il l’a planté entre mes cuisses. Je crois qu’il voulait entrer, mais il s’est loupé. Ses gémissements étaient écourants. Il m’étouffait en s’appuyant sur moi. Il m’embrassait. Sa lague allait partout. Quand il a éjaculé. Il m’a dit que j’étais parfaite. Que j’étais si jolie. Qu’il aimait bien ce qu’on avait fait. Il m’a gardé contre lui, nu. M’a caressé les cheveux. M’a câlinée. Et il m’a rhabillé en disant qu’il m’aimait beaucoup. J’avais le cœur pétrifié.

Je ne pleurais pas. J’avais trop de rage pour pleurer.

— Je ne suis plus jamais retourné chez eux.

— Pourquoi pensez-vous que vous pourriez devenir comme lui ? demanda-t-elle.

— À cause de mes rêves. Je fais la même chose à Mathys.

— Qui est Mathys ?

— Le beau-fils de mon agent littéraire.

— Quel âge a-t-il ?

— Quinze ans.

— Vous le voyez souvent ?

— Non. Il est en Angleterre depuis deux ans, répondis-je.

Je plaçais la tête entre mes mains, pris d’un vertige.

— Je n’ai pas envie que les rêves deviennent réels. Je n’ai pas envie de ressentir de l’affection pour ce gosse.

— Quel genre d’affection ?

— Le genre qui pourrait déraper.

— Cet adolescent, pourquoi vous attire-t-il ?

— Il a une capacité merveilleuse à vous retourner la tête en quelques paroles. C’est un génie, un virtuose. Je l’admire, énormément. Mais il me fait peur. Il ne se rend pas compte qu’en disant ce qu’il dit, il pourrait s’attirer des problèmes. Je ne veux pas qu’il m’aime. Je ne veux pas qu’il me parle de son amour pour moi. Je veux qu’il reste à sa place. Rien à foutre qu’il commence la FAC en septembre ! Rien à foutre qu’il soit précoce ! Il reste un enfant et je n’y toucherais pas. Mais, parfois, j’aimerais avoir son âge pour… pouvoir l’aimer. Si je l’avais connu à mes quinze ans, ma vie aurait été plus belle.

Mes larmes coulèrent et je n’arrivais pas à en calmer le flot.

— Je ne veux pas qu’il sache que le monstre m’a gangréné. Et qu’aujourd’hui, je pourrais avoir plus que de simple sentiment honorable pour lui. Quand sa famille me montre combien il a grandi, je ne veux pas le voir. Parce que pour moi, il est et reste un gamin.

— N’est-ce pas le respect qu’il vous offre et cet « amour » sage, tendre et platonique qui vous effraie ?

— Platonique ? J’ouvris mon pc sur quelques mails qu’il m’avait envoyé et auxquels je n’avais pas répondu. Lisez entre les lignes.

Elle lut.

— Combien de fois l’avez-vous recadré ?

— Je ne compte plus. J’ai fini par en parler à Max, son beau-père. Il a dû mettre le holà, parce que depuis deux mois, je ne reçois plus rien. Mais les cauchemars restent.

— Vous êtes consciente que vous n’avez rien fait pour que cet homme vous fasse ce qu’il a fait, n’est-ce pas ?

— Oui. Je le sais.

— Vous avez quitté votre petit ami pour des raisons similaires. Rex ne comprenait pas quand vous ne vouliez pas.

— Oui. Et je ne l’aimais pas.

— Bien. Ely. Vous avancez. Vous êtes venue, vous m’avez parlé. Ce Mathys vous lui avait expliqué pourquoi il ne devait plus vous faire la cour.

— Oui.

— Vous en avez avisé ses parents, qui eux lui ont dit d’arrêter.

— Oui.

— Vous pensez toujours être un monstre ?

— Oui.

— Pourquoi ?

— Parce que je me sais capable de désir, Mathys. Pas comme un ado de quinze ans, mais comme un homme qu’il n’est pas.

— Mais vous ne ferez rien.

— Non. Jamais ! Personne ne doit avoir affaire avec ce genre de monstre. Personne. Je le protégerais. Je l’ignorerais. Il finira par se lasser et trouver une petite mignonne à aimer, pas vrai ?

— J’en suis certaine, Ely.

— Est-ce que je suis malade ?

— Non. Vous avez vécu un mal profond sur votre corps et votre esprit. Vous saviez que c’était mal ce qu’on vous faisait. Et vous ne voulez pas qu’une autre personne en souffre.

Elle s’adossa à son fauteuil en me souriant.

— En avez-vous parlé à des proches ?

— Jamais.

— Voulez-vous le faire ?

— Pas encore.

— À votre rythme. Je vous épaulerais.

— Et pour Mathys, ce que je ressens, ça partira ?

— Il vous a montré ce qu’on ne vous a jamais témoigné, Ely. Il est normal de ressentir des choses face à ce témoignage.

— Ce témoignage ? Alors ces émotions ne sont pas pour Mathys, mais pour ce qu’il m’a apporté.

— Quelque chose comme ça, Ely. Vous le portez haut dans votre cœur, parce qu’il vous a aimé avec douceur, avec des mots et de la sincérité. Il y a de la poésie dans les messages qu’il vous a envoyés. Il grandit lui aussi, il se trouve plus mûr, et il doit l’être au vu de cette lecture. Mais c’est bien de lui dire non. C’est bien qu’il le comprenne.

En quittant la séance, je me sentis étrangement léger. Je n’aimais pas Mathys comme je l’imaginais. Je l’aimais avec des mots, des échanges. Je l’aimais comme on aime un gamin de quinze ans qui nous soigne sans le savoir.

Ce n’était pas un désir charnel, mais la force d’un cœur vers un autre. Un pensement protégeant une plaie mal cicatrisée.

Mais je ne pouvais m’empêcher de me demander si tout changerait un jour. Lorsque je ne pourrais plus dire « c’est un gamin ».

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