Mai 2015 - 24
(ely)
Sans trop savoir pourquoi, j’avais écrit une lettre à mes parents et une autre à Evack.
J’avais mis sur papier ce que j’avais vécu et ce qui m’avait forgé. Mes parents étaient morts, ils pouvaient bien le savoir maintenant. Je ne voulais pas qu’ils se croient de mauvaises personnes pour n’avoir rien vu. Comment auraient-ils pu savoir ? Personne n’est devin dans la famille.
Je déposais la lettre dans leur urne, vide de leur cendre, avant de me rendre chez Evack.
Zéphyr m’ouvrit, sans surprise. Il m’indiqua le balcon en refermant sa veste sur son caleçon. Les cheveux en bataille, des marques un peu partout sur le corps, il me fuit, la tête basse. Je refermais la porte derrière moi et avançais jusqu’au balcon où mon ami fumait une cigarette. L’odeur me piqua le nez et par automatisme, je tirai le col de mon tee-shirt pour respirer mon odeur. Rien de pire que cette odeur dégueulasse. Je préférais encore sentir la merde.
— Evack.
Il se retourna, les yeux comme des soucoupes.
— Bah, qu’est-ce que tu fais là ?
Le cul à l’air, la frite en bandoulière, il attrapa une plante verte et se cacha.
— Qu’est-ce que tu fous ? Pose cette fleur et va passer un fûte. Je t’attends.
Il ne quitta pas la plante, me dépassa, la fit rouler sur son postérieur. Je levais les yeux au ciel. Comme si c’était la première fois que je le voyais, le spaghetti à l’air. À croire qu’on n’allait pas à la plage nudiste avec Adès.
Je m’assis en observant le petit potager du balcon. Les fleurs s’entassaient, les légumes et fruits poussaient.
— Bah, t’as pas appelé ?
Il revint avec le portable en main, un pantalon pas boutonné.
— Je sais et je m’excuse, mais je voulais le faire aujourd’hui, avant que je me dégonfle. Tiens, c’est pour toi.
— Une lettre ?
Il la retourna.
— De qui ?
— De moi.
— Pourquoi tu m’écris une lettre ? Oh ! Tu me déclares tout ton amour ? C’est ça ? Mon grand canaillou.
— Arrête de faire le con et lis-là.
— Maintenant ?
— Non, dans cent ans. Oui, maintenant. Fais ça pour moi.
Il hocha la tête, reprenant son sérieux. Avait-il compris ? Il était plutôt rapide à saisir le contexte d’une demande.
Il vira le cendrier de sous mon nez, jeta ses clopes sur le canapé et déchiqueta l’enveloppe.
Aucun de nous ne parla pendant plusieurs minutes. On resta encore muet quand il posa la lettre. Puis il glissa sa chaise jusqu’à la mienne et tourna mon visage vers le sien.
— T’as rien d’un monstre, Ely, souffla-t-il. Pour Mathys ça se calmera. Je ferais en sorte, qu’il se tienne à carreaux à son retour.
— D’ici là, il aura compris tout seul.
— Ouais, c’pas faux. Mais une petite piqûre de rappel, ça ne lui fera pas de mal.
Il me sourit et embrassa mon front, sans que je ne vis de la pitié dans son regard.
Je me sentais grandi, plus libre.
Tout resterait à jamais gravé dans mon esprit, mais j’avais un soutien et l’envie d’avancer.
On n’oublie pas son passé, on vit simplement l’instant présent. Car la vie ne peut se résumer à un traumatisme. Elle doit être vécu.
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