Décembre 2015 -29

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ely

Comme promis, Mathys passait les fêtes de Noël chez les Torrens.

Depuis le début de la soirée, je l’avais évité. Je ne voulais pas croire qu’il ait pu tomber sur… un passé dont je n’avais pas envie qu’il soit au courant.

Ce qu’il avait laissé entendre quelques mois plutôt m’avait percuté si violemment que j’avais hésité longuement à venir honorer la cuisine de Margot. J’avais encore un peu de mal à adresser la parole à Evack qui avait fini par me vendre la mèche des semaines plutôt.

« J’l’avais mise dans un livre, dans ma chambre, j’étais bien sûr que personne ne la trouverait. » Mais je me suis trompé. »

Je lui avais pourtant dit de la brûler. Je savais aussi qu’il ne l’aurait pas fait, parce que, comme sa mère, il stockait toutes les lettres qu’on lui écrivait. J’avais eu plusieurs fois l’occasion de voir sa malle à « petits mots ». Certains messages dataient du collège.

— Tu vas m’en vouloir encore longtemps ?

Je me retournai et lançai un regard sévère à Evack. Il posa un plat vide dans l’évier, je confectionnais la vinaigrette qui irait avec la salade sur la table.

— Pas longtemps, mais… encore un peu.

— J’suis désolé. Je ne pensais pas qu’il la découvrirait.

— J’en suis sûre, Vak. Mais p’tain, pourquoi t’as pas fait ce que j’ai dit.

Il se laissa glisser contre la porte d’un placard, avant de passer une main dans ses cheveux et de la faire descendre sur sa nuque. Ses yeux brillaient de désarroi.

— Parce que c’étaient tes mots, ton courage à m’en parler. Je n’avais pas envie que ça flambe. En fait, j’avais l’intention de l’enterrer dans la colline, mais je n’ai pas réussi à te demander de venir le faire avec moi et… c’est arrivé. Mathys…

Il plongea son visage dans ses mains, sans terminer sa phrase.

— Mathys l’a lu, continuais-je pour lui. Ça ne lui était pas destiné, et je n’avais aucune envie qu’il découvre cette partie sombre de ma vie et de ma personnalité. P’tain, j’ai marqué dans cette lettre que j’avais peur de l’affection trop grande que j’éprouve pour lui. Qu’elle puisse un jour réveiller la bête de mes cauchemars. J’ai fait des comparaisons avec mon passé. Tu réalises de quoi je parlais ou pas ? Quel impact cette lettre a-t-elle eu sur lui ? Je comprends mieux sa façon posée de me parler de la dernière fois. C’était trop doux. Trop ampoulé.

— Je réalise.

— Ouais.

J’agitais la tête nerveusement avant de me calmer.

— Ce n’est pas comme si c’était une lettre d’amour, non plus, nous surprit la voix grave et calme de Mathys.

En se relevant, Evack se cogna la tête contre la haute. Il laissa échapper un chuintement. Quant à moi, je faillis renverser le bol de vinaigrette que je rattrapais in extrémis du vide.

Incapable de supporter le regard pénétrant du nouvel arrivant, je détournais mon visage, muette.

Il ramenait les bouteilles vides, passant entre nous deux. Mon pote ne parlait pas non plus. Le silence s’intensifiait. Je n’avais qu’une hâte : que Mathys se barre.

Nous étions beaux, deux adultes de trente ans incapables de faire face à un gamin de quinze. Est-ce que ça ne témoignait pas d’un problème plus profond ? Avions-nous si peu expérimenté notre vie d’adolescent pour en être encore imprégnés ?

— Franchement, tous les deux, vous ne croyez pas que vous abusez un peu ? J’aimerais vous rassurer en vous disant que j’ai oublié, mais on sait tous que je n’en suis pas capable. Ça restera stocké dans ma tête comme un millier d’autres choses. Si ça peut aider, on peut prétendre que je n’ai jamais lu cette lettre. Reprendre le court de notre vie, et fermer les yeux sur cet incident.

Je n’aimais pas le ton léger qu’il employait. Il se voulait décousu, mais il me donnait juste l’impression de salir chacun de nous dans cette pièce. C’était ces moments fugaces qui me prouvaient son âge.

— Ça t’amuse ? dis-je avec une colère maîtrisée.

— Je t’en donne l’impression ?

Je le sentais dans mon dos, près à attraper une de mes épaules. Laquelle ? Je sentais sa main m’effleurer avant qu’Evack érige une barrière avec son corps entre moi et Mathys. Il venait de s’interposer. Peut-être avait-il compris qu’un pas de plus de son petit cousin aurait pu me faire monter au quart de tour. Depuis que je m’équilibrais entre mon féminin et mon masculin, j’avais pris du muscle et de la poigne. Les randonnées, le sport en général m’avait galbé. je n’étais jamais assez musclé pour me plaire pleinement. Et quelque part, j’avais eu besoin que mon torse soit aussi bien sculpté que celui d’un athlète grec pour me sentir bien. Je ne pouvais pas ignorer que j’étais plus souvent 70% de lui et 30% d’elle, mais ça m’allait. J’avais mûri, je savais qui je voulais être… Aujourd’hui, mon corps me correspondait mieux que jamais, mais j’avais encore du travail à faire sur mon mental. Et mon mental était rattaché à mes poings qui s’étaient serrés. J’avais plus de force que jamais. Je le ressentais dans la pulsation de mon sang.

— Retourne à table, on arrive.

Evack avait haussé le ton.

Evack n’haussait jamais le ton sur Mathys. Plus qu’un petit cousin, il était un frère. Un petit frère qu’on emmenait absolument partout.

Ça ne me plaisait pas qu’il ait été obligé de le faire.

— Quoi ? J’ai interdiction de l’approcher ? Pourquoi ? Quel serait le problème ? Je ne suis pas une putain de proie. Tu entends, Ely ? Je n’ai rien de la proie que tu t’imagines. Si tu avais le cran de me regarder autrement qu’à la dérobé, tu t’en rendrais compte.

— Tys, sors de cette cuisine avant que je ne me fâche, lui soma Evack.

— Ouais, le p’tit con a compris. Mais je préférais mettre les choses au clair.

Mathys poussa sans doute Evack parce qu’il me bouscula à son tour. Je fixais un regard réprobateur dans le dos de l’adolescent. J’avais envie de croire à une crise, mais Mathys n’était pas le genre à en faire. Il avait juste craqué, comme j’aurais pu le faire ou n’importe qui dans ma sphère de fréquentation. Il avait des impulsions de colère, lui aussi.

— Merde… souffla mon pote en s’appuyant sur le plan de travail.

— Je suis désolée. C’est ma putain de faute. Je n’allais pas me gérer.

D’un geste identique, on se passa la main dans les cheveux, soupirant comme l’auraient fait deux vieillards.

— Le prie, c’est que de nous trois, c’est lui qui a raison.

Evack hocha la tête, d’accord avec moi.

— Bonjour, l’ambiance de Noël.

On se regarda droit dans les yeux, trop sérieusement, avant de rire comme des perdus. C’était la pression qui venait de redescendre. Rester fâché avec Evack, c’était comme dire « non » à mes chiens alors qu’ils prenaient leur tête de pauvres affamés devant mon assiette. Ça durait deux minutes, puis je craquais.

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