Décembre 2015 -30
ely
Margot avait convié tout le monde à dormir à la maison. Personne n’avait réussi à refuser, à part Perséphone et sa fille qui avaient pris leur train tard dans la soirée.
Dormir avec Adès et les jumelles n’était clairement pas ma meilleure idée. Adès avait une tractopelle coincée dans la gorge et Carmen parlait en dormant. Il était trois heures du matin quand je trouvais le courage de me faufiler dans le salon à la lueur des guirlandes scintillantes du sapin. Je savais qu’Evack y était resté, alors que ses frères et Mathys étaient montés.
La tête dans les pétunias, je ne distinguais du canapé que sa forme et la masse endormie. Je poussai les jambes de mon pote en me creusant une petite place avant de m’y installer et pliai mon bras pour m’en faire un oreiller.
— Enfin du calme, murmurai-je.
Avant de fermer les yeux, j’observais une masse au sol. Je devinais Narcisse. Elle était sur son tapis au coin d’un feu en cendre. Elle avait pris ses aises et passait une retraite bien méritée chez les Torrens.
J’entendis du mouvement contre le pied du canapé et ma main vint tâter une masse chaude entortillée dans un plaide. Je souris. Cerninos adorait se cacher sous ses couvertures. Par habitude, je cherchais sa truffe en faufilant ma main dans les plies du tissu, avant de pencher la tête sur l’accoudoir.
— Mais qu’est-ce qu’t’ as encore branlé ? Je ne fais pas la différence de ta tête et de ton cul, Gros lard, chuchotai-je.
— Ce n’est pas le chien. Et ta la main pile où…
…je ne devrais pas l’avoir, devinai-je. Je la retirais comme si cette partie de Mathys m’avait brûlé la peau.
— P’tain, mais qu’est-ce que tu fiches par terre ?
Ma voix s’était haussée.
— Je ne suis pas par terre, mais sur un matelas pneumatique qui se dégonfle.
— C’est pareil.
— Si tu veux.
Il soupira. Je fixais les formes de son corps dans un noir qui se détachait des ombres.
— T’… t’a pas froid ? demandais-je.
— Non. Cerninos me sert de bouillotte, alors je n’ai pas froid.
— Il est où ?
— Contre mon ventre.
Il étira sa main vers mon visage. J’hésitai à lui tendre la mienne. Il le devina.
— C’est lui que tu voulais caresser, alors donne-la moi et je te dirigerai sur sa truffe.
Il soupira un rire, alors j’oubliai la scène dans la cuisine et tendis mes doigts vers les siens.
Il les attrapa, sa main était carrément trop chaude, pas spécialement grande ou épaisse, juste douce et longue.
Comme il l’avait signifié, il guida mes doigts qu’il laissa glisser sur la tête de mon chien.
— Il est en boule contre toi ?
— Ou bien, je suis en boule contre lui, c’est à toi de voir.
Dans le noir, c’était facile de parler avec lui. Je ne le voyais pas. Je ne faisais que le ressentir, le deviner. L’entendre. Peut-être qu’il m’aurait fallu être aveugle pour l’apprécier sans me mettre des dizaines de barrières, et l’empêcher de rentrer. Mais il n’y avait rien de raisonnable dans cette pensée. Je la chassais presque aussitôt.
— Je tiens à m’excuser pour tout à l’heure, j’aurais dû la fermer, mais j’avais compris qu’Evack t’en avais parlé. Je sais qu’il y a pas mal de malaise entre nous, et j’aimerais qu’il y’en ait moins. Alors… fais comme si… je n’avais rien lu…
Il perdit le court de sa pensée. Chose inhabituelle. Je le sentais nerveux. Mais était-ce pour ce qu’il disait ou par notre proximité ?
— T’excuses pas. T’as raison. C’est moi qui ne suis pas sérieux. Je ne devrais pas donner trop d’imp…
— Ne finis pas ta phrase, Ely. S’il te plait. Laisse-la en suspens. Tu vas encore dire une bêtise. Juste, dormons. Il est tard.
J’acquiesçais silencieusement, laissant traîner ma main sur le bras de Mathys avant de le serrer légèrement et de l’abandonner. Une simple marque de remerciement.
— Je suis désolé. Désolé de te conforter dans tes sentiments pour moi. Mais tôt ou tard, tu verras, ils disparaîtront et je laisserais place à quelqu’un qui en vaudra la peine, dis-je.
Mathys resta muet, je m’apaisais.
Il comprendrait que je n’étais qu’un amour d’adolescent comme on en a tous eu. Il comprendrait que les sentiments qu’il croyait distinguer chez moi, n’étaient qu’une phase de reconstruction. Évidemment, j’avais le droit de le trouver à mon goût, de lui trouver de l’intérêt pour ce qu’il l’était. Intéressant. Il avait su me faire rire derrière un écran. Il avait su me faire parler. J’avais profondément aimé correspondre avec lui, même si j’aurais dû taire mon excitation sur certains sujets, surtout pas le conforter sur son amour pour moi. Ne pas oublier son âge. Tout ce qu’il croyait était en partie ma faute, parce que je n’avais pas su mettre les rubalises à temps.
Je l’aimais bien, comme on aime un ami qui nous a donné ce qu’on attendait depuis longtemps. Rien de plus.
Rien de plus…
Je ne devais pas.
Je pouvais pas.
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