Janvier 2016 -33

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Ely


Le Nouvel an au Hongrois, c’était toujours étroit et sans chauffage. Je terminais mon solo de clarinette, sur la petite scène avant de prendre Gueguette et d’être rejoint par mon groupe.

Quand Linda recommença à chanter, le monde qui s’était pressé sur la piste retrouva leur place pour l’écouter. Sa voix claqua dans la pièce où les discussions diminuaient à mesure qu’elle enchaînait les titres. Encore une demi-heure et le groupe s’arrêterait, remplacé par les baffes de la stéréo. J’en profitais, me coulant au corps de ma guitare préférée. J’envoyais quelques coups d’œil à mes collègues. On se souriait, prit dans notre groove. Je ne pensais plus à rien, rythmée par la musique qui jouait en moi. Mon pied dansait, ma tête se balançait, je me sentais libre, comme à chaque fois que la musique bourdonnait à mes oreilles. J’avais envie de danser, de me mouvoir sur la piste, de montrer comment on danse avec une Gueguette de compétition. Puis avant la dernière chanson, j’avais tourné la tête vers lui. Il me fixait, sa tête appuyée contre sa main, un doigt passant sur ses lèvres. Encore et encore. Je me demandais à quoi il pensait. Pourquoi il ne s’agitait pas comme la foule autour de lui ? Par quel miracle restait-il imperturbable, les yeux plongés dans les miens et sans l’intention de les quitter.

J’eu un mal fou à diriger mon attention sur autre chose. Mais je ne pouvais pas rester à me faire hypnotiser, à me faire avaler sans résister.

Pourquoi me sentais-je si petit dans son regard toujours trop vert et brillant ?

Les applaudissements accueillaient la fin de notre dernière chanson et je rangeais Clara et Gueguette précipitamment pour les mettre sous le comptoir. J’avais besoin d’être loin de la scène, loin des yeux de Mathys.

— J’te dis qu’il fait chaud ! gueula Pola vers Evack. La preuve, regarde Ely. Rouge pivoine.

Je sortis de ma bulle pour papillonner des yeux à l’entente de mon prénom.

— Qu’est-ce que tu veux ?

— Savoir pourquoi t’es rouge comme un coquelicot, s’amusa Carmin en glissant ses mains autour de mes épaules. Pola trouve qu’il fait chaud.

— Bah, ouais, fais chaud. T’as pas chaud ?

Carmen secoua la tête et m’embrassa la joue avant de se pendre au cou d’Evack à deux pas de moi.

— Tu m’étonnes, s’esclaffa-t-il. Tu ne risques pas d’avoir chaud dans cette tenue. Très bon goût d’ailleurs, ma puce.

— J’trouve aussi.

Elle se tourna vers moi, grand sourire.

— T’en dis quoi, Ely ?

— Canon, sans hésiter. Très jolie jupette.

— Ça t’irait bien, fit-elle remarquer en déclenchant les rires d’Evack.

Il était prêt à se rouler par terre.

— Ely, en jupe. T’as craqué, ma puce. Les seules parts de féminité qu’iel a, ce sont sa petite bouille d’adolescente à vie (je lui fis un doigt d’honneur), et son goût pour les trucs « choupitou ».

— Va chier, Vack, dis-je sur le ton de la rigolade.

Il n’avait pas tort. Ma féminité était ressortie dans mon adolescence et elle s’était dégradée à l’âge adulte. Les goûts changent

— Tu oublies sa délicatesse, se marra Adès derrière moi.

— Je peux être très délicate, si je veux, commentai-je en haussant les épaules.

J’avais la délicatesse d’une Narcisse de quatre ans dans un camping-car tout neuf. Presque zéro.

Evack me tendit ma limonade habituelle en s’essuyant ses larmes, tandis que Carmen secoua la tête et envoya les yeux au ciel.

— Les écoutes pas.

Elle me fit un clin d’œil rassurant avant de rejoindre Nathalie et Paul des tables plus loin. Je lui souris.

Le monde affluait et minuit approchait. Je m’étais calé entre Paul et Zéphyr, observant Mathys discuter avec Tina, la fiancée de Paul. Elle buvait littéralement ses paroles, la bouche entrouverte, les yeux ronds, comme une enfant apprenant un tas de nouvelles choses. Tina était mignonne. Un peu jeune, comme toutes les conquêtes de Paul et pas franchement cérébrale, mais attachante.

Bien sûr, je ne voyais que la rondeur de sa poitrine sur son décolleté plongeant. J’avais clairement du mal à regarder ailleurs et pourtant, je glissais lentement sur celui de Mathys. Son tee-shirt en V ne manquait pas d’attrait, lui non plus, et j’avais tout le luxe d’admirer ses clavicules si bien dessinées. Une envie de fermer les yeux me tendit, mais je continuai à détailler ce morceau de peau. Je remontais doucement sur son visage à la mâchoire carrée, caressant du regard les ondulations de ses cheveux châtain-blond. Je me forçais à tourner la tête, mais je laissais mes yeux poursuivre leur ascension. Quand je m’arrêtais sur le mouvement de ses lèvres, ni fines ni épaisses, j’accusais les volutes d’alcool qui m’entouraient. La tête me tournait un peu, et plus encore, quand il captura mon regard. Il s’était arrêté de parler, laissant la voix d’Adès et de Nathalie s’imposer autour de la table. Et il me contemplait comme je l’avais fait un instant plutôt. J’en déglutis bruyamment. La cohue autour de nous sauva les apparences. Mathys n’avait rien à voir avec toutes ses personnes alentour qui puaient la séduction. Il ne cherchait pas à me convaincre de cette manière. Avec lui, c’était toujours une question de regard trop intense, bourrée de mots trop tendre.

Je n’avais pas bien remarqué à Noël, mais, il avait encore grandi. Pas en taille, mais en clairvoyance. Ses prunelles me paraissaient tout connaitre, de moi, du monde, d’absolument tout. Aucune énigme ne lui résistait longtemps. Il épluchait la pensée des gens comme il aurait pu le faire d’un légume.

En sentant la profondeur qu’il mettait à m’observer, je finis par couper la connexion. Mes joues étaient en feu, ma gorge était sèche. J’avais envie de me ruer aux toilettes pour retrouver mon souffle, que je perdais. Alors je fis mine que j’allais bien, attendant quelques minutes pour me lever et me diriger, sans courir, dehors. Prendre l’air. J’en avais besoin.

Étrangement, il ne me suivit pas. Cela aurait dû me rassurer, mais au contraire. J’étais déçu.

En rentrant, le décompte avait commencé. Je me trouvais devant le couloir menant aux toilettes. Je n’aimais pas le regard de certains sur moi. On aurait dit des charognes prêtes à me sauter aux lèvres. Alors je me détournais et m’enfonçais dans le couloir. Je dépassai les toilettes et ouvris la porte des stocks, quand j’entendis « zéro » et des éclats de voix crier « bonne année ».

Avant d’avoir pu pénétrer la salle de stockage, je sentis une présence derrière moi. La chaleur d’un autre me paralysa un instant. Je me retournais, les poings serrés, prêt à cogner, mais une main attrapa un de mes poignets et le tira vers la douceur sans fin d’une bouche succulente.

Ce baiser qu’il déposa sur mon poignet lança mon cœur dans un marathon chaotique. Je le sentis vibrer sur toutes les parois de mon corps. Avais-je encore l’apparence d’un mur devant lui ? Ou la façade s’effritait suffisamment pour voir les fissures toujours plus grandes ?

— Bonne année, Ely.

Il me libéra et recula d’un pas pour s’adosser au mur. Je retrouvais mon souffle.

— Bonne année, Mathys.

Il sourit, toujours les yeux braqués sur moi. Il ne déviait jamais. Quand il me parlait, il me regardait. D’ailleurs, il avait toujours, posé sur moi, un regard. Où que je sois, quoi que je fasse. Il m’observait.

— Quoi ? demandais-je.

Il haussa les épaules.

— Je m’attendais à ce que tu m’engueules. Que tu me sortes un « Ne fais plus ça, Mathys » ou une phrase du même genre.

J’aurais pu. J’aurais dû, mais à la place, j’entrai dans la pièce derrière moi et tirai un sac en papier. Je l’avais confié à Evack pour qu’il le donne à Mathys le jour de notre anniversaire, mais j’étais là, et lui aussi.

— Tiens.

— Un cadeau ? s’étonna-t-il. Notre anniversaire est dans trois jours. Ça porte malheur.

— Je sais, c’est pourquoi tu l’ouvriras à la bonne date et n’imagines rien, OK.

— Je vais essayer.

— N’essayes pas, fais seulement ce que je te demande.

Il sourit encore une fois et acquiesça. En prenant le paquet, il continua de me fixer comme si mes yeux lui racontaient la plus passionnante des histoires.

— Merci. Ça me touche.

Il n’avait pas besoin de me le dire, je le voyais.

Dans trois jours, il aura seize ans. Moi, je fêterai mes trente-quatre ans.

— N’en fais pas tout un plat, dis-je en retournant à table.

Pas certain qu’il apprécierait l’inttention.

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