Avril 2016 -36
Ely
J’avais fini par rejoindre Jeck à La Belle Étoile. Tout le monde avait préféré les tentes. La mienne me paraissait exigüe et j’avais besoin d’air, de grand espace, de retrouver ce que je venais chercher ici : une sorte de paix intérieure.
Allongée, le regard plongé dans le ciel étoilé, je n’avais pas les mots pour décrire le superbe de ce spectacle. L’univers était grandiose, parsemé de mille autres histoires. Elles m’observaient par-delà le cosmos, et je tombais sous le charme de chacune d’elles.
Jeck commença à ronfler. Ce n’était pas un ronflement violent, mais plutôt celui d’un homme qui était simplement fatigué. Je l’écoutais les yeux vissés sur la voie lactée. Si blanche, si lumineuse. Je me sentais irrévocablement aspiré par l’espace immense devant moi. Je retrouvais ma place d’infime poussière sur Terre, les problèmes me coulaient dessus, comme s’ils n’avaient pas lieu d’exister dans cette nature coupée du monde moderne.
Un froissement de tente plus tard, des pas souples et un duvet posé à côté du mieux et mon cœur se resserra.
Son odeur était immanquable, comme la façon dont il marchait pieds nus sur l’herbes.
— J’aimerais que tu me dises à quoi tu penses quand tu regardes le ciel. Tu le fais si souvent. Qu’y a-t-il là-haut qui te fascine au point de te couper du monde ?
Sans me détourner des étoiles, je le laissais s’allonger trop proche de moi. Son épaule effleura la mienne et ses cheveux, encore plus longs qu’avant, glissèrent sur ma tresse ondulant sur le sol.
— La vérité, ajouta-t-il.
— Parce que je t’ai un jour servi autre chose que la vérité ?
Il ne dit rien, mais n’en pensait pas moins.
— Jerêve que je suis un oiseau volant par-dessus le ciel. Allongé comme ça, qui du ciel et de la Terre est à l’endroit ? Je vole, chaque fois plus loin. Je me sens appelé par la Mère. Je me sens primitif. Parfois élémentaire. Je me mélange à toute chose, oubliant le corps qui est le mien. Je me laisse complétement prendre par ce que je ne vois pas derrière l’obscurité ou la lumière.
— Je t’aime encore plus quand tu te dévoiles.
— Ne m’aime pas, Mathys. Parce que je ne ferais jamais l’effort de transformer mon « affection » pour toi en amour. Je te trouve trop jeune pour t’éprendre de quelqu’un comme moi.
— Um trentenaire ?
— Aussi. J’ai envie que tu vives, que tu voies, que tu comprennes…
— Avant quoi ?
— Avant rien, mentis-je. Je veux juste que tu te défaces de moi pour voir ce que je te cache.
— Et que me caches-tu ?
— Une multitude de choses, à commencer par des amours qui font grandir.
— Hum… Moi, quand je regarde le ciel, c’est ton image qui me vient à l’esprit, changea-t-il de sujet. Depuis la première fois que je t’ai rencontrée.
Un jour, il aura d’autres préoccupations.
— Il est temps de voir autre chose que mon visage. Le ciel peut être interprété plus poétiquement qu’en le référant à un grain de poussière, comme l’est un humain.
Je ne savais pas d’où me venait ce calme. Je n’avais pas envie de hurler. Je n’étais même pas énervé.
— Tu me repousseras toujours, Ely ?
— Toujours.
— Même quand j’aurais l’âge de Jules ?
J’entendis son reproche. J’entendis mot pour mot ce qu’il devait se dire « trois ans de plus que moi, et tu sors avec lui. Pourquoi ? »
— Même quand tu auras son âge ?
— Je te fais si peur que ça ?
— Tu n’as pas idée à quel point tu me fais me remettre en question à chaque fois que tu me parles. Tu pourrais finir par me foutre en l’air à force. Tu vois, ça prouve ce que j’avance : que tu es un gamin.
— J’imagine… Je ne peux pas vraiment ignorer ce que tu viens de dire. J’exagère. Et tu as raison de me mettre des barrières. Mais, tu ne parlerais pas comme ça à un « gamin ». Avec cette honnêteté. Je la reconnais. Nous savons nous parler. Et tu n’y pourras jamais rien.
—Tu devrais arrêter, là.
— Non. J’ai envie que tu te foutes en l’air pour venir jusqu’à moi.
— Arrête ça. Tu te fais du mal pour rien.
— Pardon, de ne pas te croire. Comment tu veux que j’ignore tes regards, tes gestes. Tes mains qui se posent sur mes reins trop délicatement quand tu veux passer. Tes regards hypnotisés, détaillant chaque parcelle de mon être. Tu passes ton temps à analyser les autres. Et je sais que tu ne vois pas les autres comme de simples êtres de chair, mais comme des toiles, comme de la glaise.
Il roula sur le ventre, se redressa sur ses coudes pour attraper le frisson qui parcourait mon corps à mesure qu’il parlait.
— Je suis la plus belle sculpture que tu aies vue depuis jamais. Tu n’aurais aucun mot pour me décrire.
Je soupirai.
— Arrogant. Ce mot te va parfaitement en ce moment même.
— Je trouve aussi.
Il se recoucha, prenant la peine de se décaler, me rendant de l’espace, et se tut.
Étrangement, je m’endormis un instant plus tard, comme si notre conversation m’avait permis de sombrer, enfin.
Tout à l’heure, Armand a parlé d’emprise. Tu semblais si inquièt.e. Crois-tu sincèrement en avoir sur moi ? Et si c’était moi qui en avait sur toi.
Je ne savais pas si je rêvai ses mots ou s’il me les avait murmurés.
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