Juillet 2016 -42
ely
Les voisins accrus à nouveau dans le jardin. Les rires reprirent leur place au bord de la piscine. J’augmentais alors le son de mon portable, les écouteurs bien enfoncés dans mes oreilles. Rien à faire, c’était toujours trop. Je me tournai vers trois chaises vides, habituellement occupées par Mathys, sa copine et leur pote.
Prune n’était plus là, partie dans la matinée avec le copain de Mathys. Ils passeraient les vacances ailleurs. Je me sentais étrangement bien, alors que j’aurais dû n’en avoir rien à faire.
Je suivis le mouvement ondulant d’un corps. Celui de Mélodie, en train de se faire embarquer par une Adès aux petits oignons. Qu’avait-elle encore derrière la tête ? Je haussai les épaules et me souvenai de la discussion de la veille avec Mélodie, à propos de Mathys, de ses études, des personnes qu’ils fréquentaient… Personne ne pouvait retirer les inquiétudes d’une mère. « Je me demande si je fais bien de lui laisser autant de liberté ». La liberté, dans le contexte, était l’âge de Prune. Dix-neuf ans. « Mathys est encore jeune ». J’avais ri. C’était quoi, trois ans de différence ? Puis, Prune avait encore les façons d’une ado. C’était Mathys qui était peut-être trop vieux pour elle. Je m’étais, bien entendu, gardé de le lui faire remarquer. « La fac était peut-être trop tôt pour lui ? ». Mathys apprenait absolument tout sur un sujet quand celui-ci l’obsédé. Ce n’était pas nouveau. Mélodie le savait. Son fils n’avait aucune limite quand il était question d’étancher sa soif de savoir. « Il sort souvent ». Pourquoi l’avoir laissé avoir un appartement en coloc ? Évidemment qu’il sort souvent. À seize ans, moi aussi, je sortais… avec Rex, et les quelques amis que j’avais encore. Mathys était un jeune homme sociable, avec lequel la discussion était facile. Il était beau, attirant…On avait envie de s’ne faire un ami.
Le problème de Mélodie est qu’elle avait du mal avec la sexualité « débridé » de son fils. Il passait d’une conquête à une autre. Sa bisexualité n’était pas un secret et Mélodie paniquait à l’idée qu’un jour, il puisse rencontrer des petits problèmes… ou des plus gros. « Je suis sa mère, je dois encore le protéger. » Mais il ignorait ce que je lui demande. Et tu, sais, il a toujours les bons arguments pour me faire douter de qui est l’adulte de nous deux. ». Je lui avais expliqué que son fils connaissait ses limites et qu’il n’irait pas outre. Qu’il avait de la jugeote en comparaison de quelques uns de ses camarades de fac.
Le bruit me fatigua vite et, sans attendre davantage, je pris mes affaires et me dirigeai vers le sous-bois. Je me glissai sur le sol ensoleillé entre les racines de vieux chênes, avant de reposer la tête contre l’écorce. Je retirai mes écouteurs et laissai la musique de mon téléphone voler autour de moi. J’inclinai la tête pour observer les environs, calme et reposant. Les voix me venaient très brièvement. J’étais à nouveau tranquille quand un froissement dans les buissons me fit me redresser. Toujours assis par terre, je me penchai en avant pour voir deux corps se grimper dessus. J’esquissai un sourire en comprenant que je risquais d’assister à une partie de jambe en l’air entre deux jeunes gens.
Un baiser furieux élargit mon sourire, avant que je surprenne son regard.
Mathys avait la langue dans la bouche du frère de Jeck. Marius, vingt-un ans. Un grand gaillard aux cheveux presque rasés et à la musculature d’un lutteur. Il était clairement beau gosse, mais un peu neuneu pour l’avoir déjà côtoyé lors d’une rando. C’était loin d’être un génie. Loin d’être le genre de Mathys. Mais après tout, qu’est-ce que j’en savais ? Mathys capta mon regard, tout en continuant d’embrasser Marius. J’arquai un sourcil, pour lui faire comprendre que son petit air ne m’atteignait pas, parce que je ne ressentais absolument rien pour sa gueule d’ange.
Je me redressai, remarquant mes poings serrés et la crispation de ma mâchoire. Je m’apprêtais à faire demi-tour, quand l’envie de le faire chier s’imposa.
Alors, je m’avançai vers eux, toujours les yeux plantés dans ceux de Mathys. Il se recula pour faire comprendre à Marius qu’ils avaient de la visite. Le Grand Colosse se retourna. Son air naïf me fit de la peine. Quel genre d’emprise avait Tys sur les autres ?
Je lui balançais, presque méchamment :
— Il est mineur, t’es au courant ?
Marius arqua un sourcil en hochant la tête. Mathys se mordit la lèvre pour ne pas rire de moi.
— Quoi ça t’amuse, Tys ? Tes parents sont OK pour Prune, mais pas sûr que ça leur plairait de savoir ce que…
— Tu me fais encore la morale, Ely ?
Son sourire s’effaça de son visage, et il posa sur moi un regard plus sombre que jamais. Il ne s’était sans doute pas attendu à ce que je m’oppose à son petit écart. Ou bien était-ce tout autre chose ?
— Je fais ce qu’un adulte doit faire, quand il pense que son autorité doit être mise en avant. Tu as seize ans, Tys. Pas dix-huit.
— Et tu crois que ça m’empêche de coucher avec qui me plait ?
L’arrogance de ce garçon !
Je n’avais pas envie d’entendre ça ou même d’avoir cette discussion.
— Non, mais ça t’empêche de foutre en l’air la vie de ce quelqu’un de plus vieux que toi.
— Je suis consentant, j’ai légalement le droit de faire ce que je m’apprêtai à faire et…
— …Et tes parents sont bien sûr au courant ?
— Bien sûr. Je leur ai envoyé un message.
Il me lança son portable que je rattrapai au vol.
— Tu connais le code.
Je ne connaissais pas son code.
— Donne-le-moi.
— Ta date de naissance.
Il se foutait encore de moi, pourtant j’accédai à ses messages deux secondes plus tard. Ma mâchoire se serra.
Je listais les messages qu’il avait envoyés à sa mère.
— Il n’y a rien. Ta mère n’est pas au courant.
— Parce que ma mère a du mal à comprendre que son « petit garçon » à la trique assez facilement et un besoin de vider ses bourses de temps en temps avec autres choses que sa main. Lis les bons messages, je te pris.
J’oubliais trop souvent son répondant. Il avait joué, le temps d’un baiser, et maintenant, il m’en voulait de le remettre, encore une fois à sa place.
— Max, précisa-t-il. Mais tu le sais déjà, pas vrai.
11h40 - Mathys
J’ai rompu avec Prune. Trop gamine. Elle me sort par les yeux. Des conversations incroyablement débiles. Trop empotée pour moi.
Trop empotée, ça signifiait, dans le langage de Mathys, pas assez mûre dans trop de domaines.
J’en concluais qu’il l’avait ramené sur un coup de tête dans le manoir familial. Ou que son pote, Adrien, avait des vues sur Prune et qu’il lui avait donné un petit coup de main. « un de perdu, dix de retrouvé ».
15h09 - Mathys
Au juste, le frère de Jeck me plait bien. Je pense que tu comprends où je veux en venir. Pas besoin de dessin. Bis.
12 h - Max
Pas plus de vingt-deux ans, mon amour. Pas d’imprudence et tu te protèges. Je t’aime.
Je relevai la tête, en me raclant la gorge. Il avait l’avale de Max, Mélodie devait être au courant.
Mathys secoua légèrement la tête, pour me montrer qu’il désapprouvait mon comportement.
— Encore deux ans, Ely, et je n’aurais plus besoin de demander la permission pour baiser qui je veux. Autre chose ou on peut continuer.
J’avais oublié l’accord qu’il avait passé avec ses parents. Pourtant Max me l’avait rabâché une bonne centaine de fois depuis qu’il savait que Mathys était sexuellement actif. « Jusqu’à ses dix-huit ans, il nous prévient de ses fréquentations. Pas plus de vingt-deux ans et de préférence dans la chambre de Mathys. Toujours protégé. Un petit message pour me tenir au courant. Avec qui, quand et où. » J’en avais eu des sueurs froides à chaque fois qu’il me parlait de leur « accord ». Je me demandai quel genre d’ado acceptait ce genre de compromis. Et j’étais certain que Mathys ne listait pas tout… Moi en tout cas, ; je ne l’aurais pas fait. À seize, on avait des secrets. Ado ou non.
Je m’avançai plus près, de quoi rendre son portable à Tys et de poser sur Marius un regard réprobateur, avant de me barrer bien plus loin.
Qu’ils s’envoient donc en l’air entre deux buissons, si ça les amusait.
Je partais d’un pas long, presque avec nonchalance, mais je bouillis de l’intérieur. La perspective que Mathys avait une vie sexuelle me dérangeait et je n’aimais pas y penser. Je n’aimais pas que ça me retourne les tripes, que ça me fasse crisper trop fort la mâchoire. J’aimais encore moins les pensées qui s’insinuaient dans ma tête. Elles étaient dramatiquement nauséabondes. Et pourtant elles étaient là, fatiguant mon esprit.
Je m’arrêtai bien plus loin, toujours dans le sous-bois, et cognai lourdement ma tête contre le tronc d’un arbre.
— Putain ! Est-ce que ça va sortir de ma tête ?
Je n’avais pas tant crié que ça, mais plusieurs oiseaux s’envolèrent au-dessus des branches.
— Quoi que tu veuilles t’extirper de la tête fais-le en silence, Ely.
J’aurais dû sursauter, mais je n’avais pas la force. Il faisait chaud, j’avais les nerfs en bloc et j’étais en mode « je m’en balance de tout ».
Je me tournai à peine et trouvai Jeck avec un magazine de rando sur la tête. Pendant un instant, je lui en voulais d’avoir ramené son frangin.
— Au juste, tu viens avec nous ? Tu ne m’as toujours pas donné ta réponse.
Il m’avait proposé de faire le puy-de-mary et y voir le soleil s’y lever. Évidemment, il y aurait Evack et Armand. Juste nous quatre…
Ça me ferait du bien de grimper un peu, loin de mes craintes.
— Quelle heure ? balançai-je.
— J’sais pas si je dois te le dire.
Jeck tira le magazine de son visage en souriant comme un psychopathe bon à enfermer.
— Peu importe, je viens, dis-je finalement.
— Je laisserai Evack te réveiller, s’amusa-t-il.
Ce qui signifiait qu’on se lèverait tôt et qu’il n’avait aucune envie que je lui grogne dessus.
— Arrête de rire comme un dindon, bon Dieu.
— J’arrive pas. Je n’oublie pas avec quel genre de voix tu te réveilles le matin. On dirait un camionneur qui a fumé trop de clope.
— Je te merde, soufflai-je en envoyant mon majeur en l’air.
Je m’éloignai. Ce n’était pas ici que je serai en paix.
Le rire de Jeck me suivit, rapidement remplacé par le bourdonnement des abeilles. Je me calais à la lisière du sous-bois et laissai mes paupières se fermer.
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