Juillet 2016 -44

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ely

Le trois quart des « poules » était resté en bas.

Assis au sommet de la colline, je contemplais le jour se lever colorant l’horizon.

Evack et Zéphyr se tenaient en retrait sur ma droite. J’observais leur main lovée, mais dissimulée sous le sac. J’espérai au fond de moi que le monde soit indulgent avec eux. Qu’un jour, ils puissent cesser de se cacher. Mais c’était sans doute parce que je les connaissais et que je les adorais que je pensais ainsi. En vérité, s’il s’était agi de parfaits inconnus, est-ce que j’aurais vu leur relation autrement ? Je n’en savais rien. Leur situation était problématique, mais cet amour qui faisait briller leurs yeux, je ne parvenais pas à l’ignorer. Comment repousser ce qui était évidant pour soi ? Ils savaient qu’ils étaient hors la loi, mais ça n’empêchait pas leur besoin de l’autre. Ils se trompent peut-être, avais-je pensé au début. Aujourd’hui, je ne me posais plus la question. Ce n’était pas mes histoires. Ils étaient adultes, vaccinés et consentants. Pour le reste, ils trouveraient leur équilibre. Je prédisais qu'un jour, ils disparaitraient et recommenceraient leur histoire ailleurs et au grand jour. Je savais qu’Evack avait fait une demande pour porter le nom de jeune fille de sa mère. Un act réfléchit si un jour il voulait présenter Zéphyr comme son partenaire.

Oui, un jour, ils partiraient pour vivre libres.

Je tournai le regard vers Armand, seul, au bord du vide. Il savait pour les frères. Pourtant, il ne démordait pas à remettre un jour le grapin sur Evack. Il n’avait pas encore pris conscience de ce qu’était la marque d’un amour trop fort pour s’en sauver. Il le saurait peut-être avec un autre. Il s’inclina vers Jeck qui montrait le ciel à Marius, et rit. D’ici, je n’entendis pas l’idiotie que notre aîné avait bien pu dire, mais je croyais à l’éclat de rire d’Armand et de Marius. ça avait du être drôle.

Je n’osais pas me retourner, sachant pertinemment à qui appartenait ce regard puissant dans mon dos. Je le sentais me surplomber, et j’imaginai sans peine, Mathys debout à moins de deux mètres de ma position, les mains dans les poches, le regard rivé sur la longue tresse qui serpentait au sol. Peut-être laissait-il courir son regard sur mes épaules tendues. Il m’avait fait remarquer qu’elles avaient encore élargi. J’avais repris mes exercices du matin et l’escalade me remplumait d’une année sur l’autre.

Nerveusement, je grattai la pierre sous mes doigts, avant de croiser les bras sur les genoux et de fixer le feu qui illuminait le ciel bleu. Le soleil poussait à l’horizon et je vis Mathys s’asseoir devant moi. Peut-être avait-il entendu la petite voix qui me hantait plus sérieusement que jamais. J’avais eu envie de voir ses boucles châtaigne briller sous le jaillissement de la lumière matinale. Un vœu qu’il exauçait.

Mes yeux vrillèrent sur le mouvement ondulant de sa chevelure chahutait par la brise estivale et se déposèrent sur sa nuque dégagée. Un port de tête si tendre, entre virilité et féminité. J’avais envie de mordre dans cette chair trop tendre et ça me flinguait à chaque fois que j’y pensais. Je détestais plus que tout ce qu’il me faisait ressentir.

Incapable de me détourner de lui, je détaillais son corps, refusant d’y voir celui d’un homme qui pourtant dominait de plus en plus le gamin de seize ans.

Ses yeux verts m’indiquaient la mélancolie qui habitait son cœur, et ça me fit mal de ne pas pouvoir me poser plus près de lui et lui mettre une main sur l’épaule. Même si je voulais avoir raison en disant que ce n’était qu’un gamin, quand il était ainsi, il me prouvait combien j’avais tort. Il était blessé. Il souffrait d’un mal plus envahissant que je n’aurais pu l’imaginer. Quoi qu’il eut en tête, ce n’était pas une préoccupation d’ado. D’ailleurs, qu’est-ce que ça voulait dire une « préoccupation d’ado » ? Non, chez Mathys, c’était plus compliqué.

Il avait toujours tout compris trop vite. Je trouvais ça triste. Mais… enfant, ado ou adulte, qu’est-ce que ça voulait dire ? C’était du temps avant tout. Une évolution, lente ou rapide. Tout se jouait sur l’environnement et l’entourage. Mathys avait vécu le pire lui aussi.

Je n’avais qu’à me pencher sur mon cas pour savoir que l’innocence pouvait se perdre tôt, consciemment ou non. Je savais aussi, qu’être adulte ne voulait pas dire grand-chose. C’était quoi ? Être fauché, épuisé, ne pas savoir remplir sa parperasse ? C’est gérer ses finances ? Acheté une maison, un appartement ? Faire un enfant ou adopter un chien ? Non adulte était surtout se forcer à se comporter comme quelqu’un qu’on n’était pas vraiment, et se mettre quelques chaînes en plus autour du cou. C’était prendre conscience qu’avoir dix-huit ans, nous empêchait d’embrasser notre amoureuse de seize ans en se demandant si nous n’étions pas hors la loi. C’était ce poser dix-mille autres questions et pleurer dans le noir à la recherche du pourquoi. C’était mettre plus de masques sur notre visage. Plus de barrières autour de notre cœur.

Je passais une main sur mon front, puis dans mon cou. En vérité, je n’avais pas beaucoup changé depuis, mais quinze ans. J’aimais toujours les mêmes choses, m’inventai des histoires, j’évitais toujours les médias, je riais devant des animées et quand je passais devant une vitrine trop mignonne, j’avais toujours les yeux brillants. Je restais « l’enfant ». Sauf qu’aujourd’hui les gens me parlaient d’enfant intérieur. Parce qu’après tout, j’étais un adulte avec des responsabilités.

Des responsabilités...

Qui n’en avait pas ? Au bout du monde, il y avait Nora 13 ans, qui n’était plus une enfant, elle avait connu l’horreur d’une guerre. Elle devait compter sur elle-même pour survivre. Comprendre et deviner. Faire des erreurs et devenir plus forte. À quinze ans, elle serait considérée comme une mère, en donnant la moitié de son repas à son petit frère dont elle essayait de préserver « l’innocence ». Petit frère qui avait vu des cadavres à ses pieds. Petit frère qui avait vu sa sœur se battre pour lui. Petit frère qui lui crirait un jour dessus en lui disant qu’elle ne l’avait préservé de rien. Qu’il avait tout vu, tout compris.

L’adolescence est l’évolution de l’enfance. Quand je suis devenu adulte, je ne l’étais pas du point de vue des papiers à remplir pendant un entretien d’embauche. Je ne l’étais pas, non plus quand je me suis auto-édité ou quand j’ai lu mon premier contrat d’édition ou quand j’ai pris mes rendez-vous seule ou quand mes parents sont tombés malades. Je ne le suis toujours pas, adulte… Parce que je ne comprends pas vraiment ce qu’il veut dire. Ce qu’il veut de moi. Je ne le saisis pas. Des responsabilités ? J’en ai toujours eu. À sept ans, je savais ce que voulait dire précarité. Je savais que mes parents ne seraient pas là pour le petit déjeuner. Je savais qu’avoir une maison au-dessus de la tête, c’était une chance que pas tout le monde avait.

C’est en observant qu’on grandit, en laissant notre curiosité bouffer notre candeur.

Être adulte, c’est se faire estimer par d’autres adultes, c’est le moment où notre avis compte un peu plus, c’est la loi avant tout. Le moment où plus personne ne te laisse rien passer. Pas même la grenouillère licorne avec laquelle tu traines les jours d’hiver.

Dans le dictionnaire adulte, c’est un être arrivé au terme de sa croissance. Il n’y a rien de plus vrai. Et la croissance à avoir avec un corps physique. Le moment où on s’arrête de grandir. Où notre taille et nos os se figent. Alors, adulte, qu’est-ce dans l’ordre de la psyché ?

Mathys le savait. Il savait ce que voulait dire "adulte" et s’était cela qui l’avait tant de fois fait rire. Et j’en revenais à cette discussion, un an plutôt, qu’il avait eue avec Paul, et à cette question simple qu’il avait lancée dans un débat : Qui considèrent-ont adultes ?

C’était facile en soi.

Une personne majeure.

Une personne autonome.

Une personne responsable de ses actes.

Mais dans la vraie vie, tout était plus compliqué.

Bien que je connaissais les lois, je ne pouvais pas arrêter le mouvement de mon cœur quand mes yeux se posaient sur Mathys. Depuis quand battait-il si vite ? Bien sûr, je l’ignorais. Parce qu’il n’avait pas le droit d’exister. Le simple fait que je le ressentais faisait de moi un hors la loi. Dans le langage judiciaire, ça portait un nom qui me donnait la gerbe. Et ça me renvoyait mon passé en pleine gueule.

Je ne serais pas un monstre si je répudiais le sentiment qui se formait dans mon cœur. Quel qu’il soit, il resterait enfermé dans les abimes de ma souillure et de ma malfaisance.

Je le protégerai. De lui, de ses croyances. Et de moi.

Moi... qu’étais-je vraiment ?

Une sorte d’adulescent ?

Terminé physiquement, mais encore manquant moralement ? C’était si compliquer à déterminer.

Un jour à trop réfléchir, je finirai par brûler.

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