Juillet 2016 -45
ely
Cette semaine, il y avait beaucoup moins de monde. J’appréciais le petit comité que je formais avec la famille Torrens. J’avais vraiment l’impression d’être à la maison, entouré d’un tas de frères et sœurs.
Ce matin, j’étais dans la cuisine, plus tôt qu’à l’accoutumée. Margot, la mère d’Evack, sortait une brioche du four alors que je me tartinais une tranche de gâteau au yaourt. Par la fenêtre, nous vîmes Zéphyr et Evack marcher d’un pas déterminé vers le sous-bois. Ils se souriaient. Je n’avais pas besoin de beaucoup plus pour savoir ce qu’ils allaient y faire. Loin des yeux de chacun.
Margot les suivit du regard et baissa la tête sur sa brioche avant de se retourner vers moi en souriant. Elle ne fit aucune réflexion sur eux et coupa un morceau de brioche qu’elle me donna.
— Attends que ça refroidisse, me conseilla-t-elle.
Je hochai la tête, les joues remplies et bu une gorgée de lait.
Je me levai pour prendre le pot de caramel beurre salé, quand je le vis les cheveux ébourifés et en caleçon. Mathys était matinal. Je prenais mon pot, le saluai, il sourit brièvement avant d’embrasser Margot. Elle remarqua tout de suite le suçon sur son omoplate et le lui fit remarquer.
—Tu ferais mieux de passer un tee-shirt avant que ta mère tombe dessus. Savoir que son enfant batifole est une chose. En avoir la preuve, c’est parfois difficile.
Mathys s’installa en face de moi, sur la petite table de la cuisine et haussa les épaules.
— Ma mère ne se lèvera pas avant une bonne heure. Ça devrait aller.
En me rasseyant, j’étendis mes jambes par habitude, avant de les rétracter et de m’excuser auprès de Mathys. Il arqua un sourcil avant d’hausser d’épaule.
— Ely ? dit-il d’une voix trop roque pour ne pas me faire frémir.
Comment un gabarit tel que lui pouvait avoir cette voix de rock star ?
— Hum…
Je continuai à déjeuner en acceptant la pomme que Margot me tendait. Elle me trouvait trop maigre, et depuis quelques jours, j’avais droit à des assiettes gargantuesques. Margot ne comprenait pas que j’avais l’appétit réduit l’été.
— Hier, j’ai rencontré la cousine de Jupiter.
J’arquai un sourcil à mon tour. Qu’est-ce que j’en avais à foutre ? Et pourquoi me faisait-il la conversation ? Il savait, comme tout le monde que je n’aimais pas parler le matin. Ce n’était pas nouveau.
— Elle voudrait parler avec toi de transition.
— De transition ? répétai-je. Pourquoi ? Et avec moi ?
Margot s’installa sur la troisième chaise, buvant son café et attentive à ce qu’on disait. Pas grand-chose pour ainsi dire.
— Elle a vu ta prothèse sous ton short de bain. Tu la mets souvent depuis quelque temps.
— Ah ! Et elle en a conclu que j’étais en transition. OK.
Margot écoutait sans me juger. Mathys savait quelque chose que j’ignorais. Il avait cet éclat dans ses yeux verts qui signifiait « j’ai découvert encore un truc te concernant ».
— C’est ça. Elle veut savoir où tu l’as acheté et qui est le chirurgien qui t’a fait ta mammectomie « sans te poser dix-milliards de questions ».
— Il ne pratique plus.
— Je vois.
Il mangea silencieusement, fixant son regard sur moi.
— Pourquoi tu dis elle, si elle pense à devenir il ?
— Pour que ça te soit compréhensible. Jupiter n’a pas de cousin en transition, mais bien une cousine… pour le moment.
— Hum… merci Mathys. J’irai… heu… lea voir plus tard.
— OK, c’est chouette.
Il apporta sa tasse de thé à ses lèvres, où il ne mettait jamais de sucre et plongea son regard dans le mien. Ça brûla, mais il était hors de question que je l’évite. Je le retins, buvant une autre gorgée de mon lait. Margot rit en nous voyant faire.
— Deux grands enfants qui se jaugent. Ah ! Vous m’amusez tous les deux. Vous me faites penser à ma belle-sœur et son époux.
Sa belle-sœur avait seize ans quand elle avait rencontré celui qui serait son futur mari. Une histoire épique, que la plupart aurait pointée du doigt en criant au scandale. Le mari en question avait vingt ans de plus qu’elle. Mais gentlemen ou par acquis de conscience, il avait attendu ses vingt-et-un an avant d’entretenir une relation avec elle. Selon Margot, ils passaient leur temps à se dévorer des yeux, luttant contre ce qu’ils ressentaient. Aujourd’hui, ils étaient encore ensemble. Et Max avait été la production de leur amour.
Elle termina son café et retourna à ses préparations. J’ignorai la remarque.
Je posai mon bol, luttant contre le regard de Mathys. Hors de question de baisser les yeux avant qu’il ne le fasse.
Je sentais toute ma sévérité à le fixer. Toute la colère que je ressentais envers moi-même. J’aurais dû, depuis toujours, lui donner moins d’importance.
Il finit par céder ou peut-être bien que non. Il s’était sans doute lassé de ce que je lui reprochais et ce que je m’évertuai d’ignorer à l’intérieur de moi.
— Ely ?
— Hum…
— Tu es quelqu’un de lent à la détente, mais c’est plutôt une bonne chose que tu marches si doucement vers tes vérités. Ça me laisse le temps de te rejoindre.
Je me levai, sans précipitation et déposai mon bol dans le lave-vaisselle. Je rangeai mon bout de table, saluai Margot et quittai la cuisine.
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