Juillet 2016 - 46
ely
Une main se posa sur mon épaule et je sursautai dans mon lit. Je me redressai encore en proie à mon cauchemar et dans un grognement bestial, je tombai sur l’impudent qui avait osé pénétrer mes draps. Je serrai son cou, quand la lumière de ma chambre jailli, aveuglante. Je fermai les yeux déboussolés avant de les rouvrir sur Evack. Zéphyr arrivait derrière nous. Je lâchai immédiatement ma prise, en nage. Je parvenai à peine à articuler un pardon. Evack se frotta la gorge, en rigolant. Zéphyr me fixait hébéter et soupira en reportant son regard sur son frère.
— Je t’avais dit d’allumer, avant de réveiller Ely. T’écoutes pas. Encore.
— Ça va. C’est pas comme si c’était la première fois.
— Bah, justement, dis-je la voix enrouée. Un soir, ça va finir mal. Putain, Vack, je t’ai demandé, trente-six mille fois, de faire gaffe. Ne t’approche pas trop près quand je cauchemarde. Un jour, je vais te mettre plus qu’une mandale.
Evack rit.
— Tu l’as déjà fait.
— Raison de plus pour être prudent, emmerdeur.
Je soupirai en fixant mon lit. Un vrai champ de bataille Combattre mes fantômes avait été compliqué. Je me demandai si un jour, ils partiraient. À quoi me servait mon suivi psychologique depuis les dernières années si les cauchemars réapparaissaient à chaque fois que Mathys se tenait trop près ?
Evack passa une main dans mes cheveux, avant de l’arrêter sur ma nuque.
— On allait se faire un bain de minuit. Viens avec nous et détends-toi.
Je me tournai vers Zéphyr comme pour avoir son aval. Il me sourit.
— Oui, viens te changer les idées.
Je ne cherchais pas à refuser ou à leur laisser leur intimité, je les suivis dehors, m’éloignant de ma couche en bordel.
Devant le bord de la piscine. J’observai Zéphyr barboter, alors qu’Evack attendait que je lui parle.
Ça faisait déjà de bonnes minutes qu’il s’impatientait en silence.
—C’est Tys ? demanda-t-il enfin.
— Heureusement, mes cauchemars ne sont pas toujours de son ressort. Peut-être que ses paroles ce matin m’ont contrarié, mais ce n’est pas lui. C’est moi. Mon corps. Je… Il y a quelque chose en moi qui n’est pas complet. Je...
Evack s’allongea sur le dos, tout en levant nos jambes, dans un jeu enfantin.
—Tu sais plus.
Il lisait facilement dans mon esprit. Je ne parvenais plus à lui cacher la moindre part de qui j’étais.
— C’est ça. Je ne sais plus. Mon corps recommence à ne plus me convenir. J’aimerais plus. Me sentir plus moi. Mais il y a des peurs qui font que je reste inachevé.
— Quel genre de peur ?
— Le genre : est-ce que je ressentirais toujours du désir ? Quelle douleur je devrais subir ? J’t’ jure que j’aimerais être un métamorphe. Ne pas me soucier si je fais le bon choix ou pas. Me dire que de toute façon, je pourrais me transformer à volonté.
— Qu’est-ce qui te tracasse au fond ?
Il tourna la tête vers Zéphyr qui continuait à faire des longueurs.
— De vouloir un corps qui s’avérerait être une erreur. Pourtant, monte en moi un désir que j’ai grand mal à repousser. Un désir que je ne peux pas assouvir totalement. J’ai été elle depuis ma naissance. Iel depuis mes vingt-huit ans… J’ai trente-quatre ans et peut-être que j’aimerais être lui. Mais tu me connais, j’ai besoin d’être rassuré. De sentir le bon équilibre.
— Alors, tu cauchemardes parce que tu as peur de changer ?
— Entre autres. Je me demande aussi, si je suis comme ça, parce que j’ai vécu ce que j’ai vécu. Et si c’était un pur manque de confiance en moi. Si j’avais encore du mal à accepter ma féminité.
— Ely, tu as accepté ta féminité. Elle est là. Comme ta masculinité. Tu en joues. Très bien même. Et quand les deux sont de sortie, c’est terriblement excitant. Moi, je crois que tu sais qui tu es, mais que tu veux encore un peu de temps pour y réfléchir. Tu m’as un jour dit « je suis un mérou ».
— Ouai… Un truc comme ça.
— Laisse-toi le temps d’évoluer.
— Tu m’as pris pour un pokémon ?
— Un truc comme ça, rit-il.
Il se redressa, avant de m’embrasser la joue.
— C’est toi qui m’as dit qu’on passait notre vie à apprendre. C’est un fait. On apprend ce qu’on aime, ce qu’on est, qui on veut et où partir pour de prochaines aventures.
Je levai la tête vers lui avant de me redresser à mon tour. Ce que j’aimais chez lui, c’est qu’il n’oubliait pas ce qu’on disait avec le cœur. Il me rappelait ce que j’avais dedans. Et ce n’était pas seulement des ombres.
— Laisse-toi surprendre par toi-même. Ça peut être révélateur, lança-t-il les yeux rivés sur son frère.
J’entendais sa pensée. Son amour sincère et un peu meurtri.
Je lui passai la main entre les deux omoplates, et murmurai à son oreille :
— Vas-y, j’ai pas besoin de toi pour me rendormir.
Je sortie les pieds de la piscine et me redressai. Evack me suivit du regard, un sourire amical accroché aux lèvres. J’entendais son sempiternel « Merci ». Celui qui signifiait « Tu comprends." et je t’en serais éternellement reconnaissant.
Incapable de me rendormir , je parcourais le sous-bois, les mains dans les poches de mon bas de pyjama. Non loin du pré voisin, je contemplais la nuit. La lune étalait ses rayons et j’y voyais presque comme en plein jour. La terre humide, l’herbe fraîche me caressait la plante des pieds et doucement, je me relaxai, quand j’entendis les premières notes d’un instrument que je n’avais pas écouté depuis l’hiver dernier.
Je me cachai derrière les ombres, accueillant le son mélancolique d’un violon. J’accrochai mon regard sur un corps presque nu du musicien. Il jouait dans la solitude. Plus le temps passait, plus il était à l’aise avec son corps. À vrai dire, il l’avait toujours été.
Je me retins de détailler les formes qui transparaissaient sous son caleçon et lui tournai le dos, en fermant les yeux. Tranquillement, je rejoignis le sol et m’y allongeai. Je me laissai emporter par la musique qui s’excitait à travers le voile enténébré des arbres.
Mathys avait de multiples dons et savait les mettre en pratique pour émouvoir, pour séduire, pour obtenir ce qu’il désirait. Je le savais calculateur, mais ce soir, il était lui. Seul dans le sous-bois, extériorisant l’état de son cœur en un son saisissant. Je vibrais à chaque emportement du violoniste. Et une question se précisa : comment pouvait-il mettre autant de force à faire couler mes larmes ? Quel était ce grand tourbillon qui l’affolait ? Ce cri tonitruant qui parvenait jusqu’à mes retranchements ? De quoi parlait cette musique ? De lui ? De quelque chose qu’il ne voulait partager à personne. Sinon, pourquoi venir si loin, en pleine nuit ? Je n’aurais pas dû écouter. C’était à lui. Mais j’avais besoin de rester, d’écouter jusqu’au bout ce qu’il me disait si souvent et que je ne voulais pas entendre : « j’ai souffert, Ely. De multiples façons. J’ai grandi avec ça en moi. Je te ressemble, quoi que tu en penses. Je sais ce que je ressens quand il m’est permis de le ressentir. »
Je tremblais à chaque minute, à chaque fois que le violon prenait les traits de sa voix, à chaque fois que je retirais les voiles sur Mathys. Ceux que j’avais empilés pour ne pas le voir. La musique les envoyait valser au loin, et je pleurai en silence de cette vérité qui me faisait souffrir plus qu’une autre. Je pourrais me cacher les yeux autant de temps que je voudrais, me ligaturer le cœur en sa présence, ça n’atténuerait en rien le sentiment trop violent qui grandissait en moi chaque fois que je le regardai.
Je me tournai vers la terre, sentant les sanglots devenir trop puissants. Ma peine et ma rage s’entrechoquaient. Je mordais mon bras pour que la musique ne soit jamais interrompue.
Un jour, je l’aimerai et il partira.
Il comprendra. Il murira et il aimera plus fort, un autre que moi.
Je resterai une image figée dans ses souvenirs. Un amour d’enfant, d’adolescent.
Il me faisait mal. Et la douleur montait de plus en plus vite en moi. J’avais envie de crier, mais la voix du violon finit par m’achever. Et de fatigue à avoir lutté contre mes émotions, je m’endormis.
La terre et l’herbe pour seul lit. Et la danse d’un violoniste fantôme comme seul rêve.
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