Aout 2016 - 48
Ely
Je rentrai à la maison après un coup d’un soir qui s’était éternisé. J’avais un vague espoir que personne ne sache que j’avais découché, et en poussant la porte, je me disais que mon souhait avait été exaucé.
Max, Mélodie, Lucien et Mathys passaient une semaine de vacances chez moi. La maison de Margot et Carls avait eu droit à une remise au goût du jour. Du coup, tout le monde avait été dispatché. J’avais la charge de la famille de Max. Evack avait des amis à coucher. Perséphone n’habitait plus à Toulon, alors Paul l’avait logé. Adès traficotait, on ne savait quoi avec Pola.
En écoutant le calme de la maison, je savais que Cerninos et Narcisse étaient partis eux aussi à la plage. Tout le monde devait s’y retrouver. Il n’y avait pas d’horaire fixe, alors je profitais de mon chez moi silencieux.
J’avais chaud. Une bonne douche s’imposait. Alors j’envoyais mon tee-shirt et mon pantalon valser dans le salon, repositionnant par habitude ma prothèse dans mon boxer. Ça devenait une partie de moi et il m’était de plus en plus difficile de la retirer. Quoi que je veuille faire. Hier, je m’étais frotté à la jolie blonde que j’avais devinée être clitorienne. J’avais gardé mon boxer. Elle avait gardé sa culotte. Et on avait joué comme ça jusqu’à s’endormir et remettre le couvercle toute la matinée. Une jolie cinquantenaire, tout fraîchement divorcée et en mal de nouvelle expérience.
Je poussais la porte de la douche en ébouriffant ma chevelure lâchée - elle me chatouilla les cuisses - avant de me stopper net.
Devant moi, Mathys, une serviette autour de la taille, les cheveux trempés, et le début d’un sourire narquois qui dessinait ses lèvres humides.
Sous le choc de le voir si dénudé, je refermai la porte sans reculer. Je me la pris, inévitablement, en pleine tronche.
— Putain, Tys, y’a un loqué ! Ferme cette putain de porte, quand tu prends une douche !
Ce n’était pas la première fois que je le lui disais. Pas la première fois que je le voyais torse nu ou avec les boucles gorgées d’eau. Mais c’était bien la première fois qu’il était à poil avec une simple serviette accrochée négligemment autour de la taille. Je n’avais pas loupé le haut de ses cuisses puissantes. Celles d’un danseur, ni la fine pilosité au plus bas de son ventre.
Je me reculai en fermant la porte dans un claquement sonore et fermai un instant les yeux, avant de les rouvrir. Ce gosse allait finir par m’achever. J’avais hâte de ne plus l’avoir sous les yeux. Encore quelques jours et il partirait. Je n’aurais plus besoin de me soucier de s’il était dans un coin de la maison, prêt à surgir et à mettre à sac mes émotions.
La tête dans le frigo, à la recherche d’une poche de glace, je sentis sa présence derrière mon dos.
—Tys, pas si près, s’il te plait. Et va t’habiller.
— Je suis habillé.
Je me retournai. Il portait un short trop court et un débardeur trop lâche.
— Autant pour moi. Qu’est-ce que tu fiches ici ? Pourquoi t’es pas avec les autres ?
— Je me suis réveillé tard. Et il n’y avait plus personne. Juste un mot qui stipulait de ne pas t’ennuyer si tu rentrais et de rappliquer aux Mytres. T’étais où ?
Sa question avait un goût acide qui n’arrivait pas à cacher aussi bien qu’il le voulait. Étrangement, je trouvais ça mignon, mais toujours dérangeant.
— Avec Evak.
— Ah, justement, il a appelé, il voulait savoir comment ta soirée avec la jolie blonde était terminée. Je me suis permis de lui dire que comme tu avais découché, t’avais dû la finir en beauté. C’était comment ?
— Tu vas trop loin, Tys. Ça ne te regarde pas.
Je fermais le frigo, une poche de glace sur le front.
— Tu saignes.
— Sans déconner ? J’avais pas remarqué.
— Tu veux que…
— J’me débrouille.
Je le dépassais, ignorant son regard de chien battu. Ce regard. Un jour, il finira par me faire cramer la cervelle.
— J’suis pas un âge, Ely. Arrête de me prendre de haut. J’n’aime pas ça.
Je le fixai, droit dans les yeux, avec une fine animosité. Je bouillais de l’intérieur, et je n’aimais pas ce que je ressentais. Pourquoi ne voulait-il pas s’arrêter ?
— T’n’es pas un âge, je te l’accorde, mais tu as un âge. Et c’est tout là notre problème. Une dernière fois, Tys, Tu ne m’intéresses toujours pas. J’t’aime bien. T’es un bon gars. Et franchement, t’es le mec que tout le monde rêverait d’avoir. En te voyant, je sais que tu deviendras un type super, mais arrête ça. Tu crois qu’il se passe quelque chose entre nous, mais c’est faux.
— Alors, j’interprète mal tes regards, ta façon que tu as de te détourner quand je le remarque ? J’imagine des choses quand nous discutions pendant des heures, et que ça nous garde éveillés longtemps après que tout le monde soit couché ?
— On parle de musique, Tys.
— On parle de ce qui ne te posera pas un cas de conscience.
— Tys…
— Arrête-toi aussi. Je sais ce que je vois, Ely.
C’était ma faute. Je ne devais pas lui donner ce temps, ces moments. Peu importe à quel point j’aimais sa façon d’apporter la vision de certaines lectures ou sa facilité à décomposer une peinture. J’étais carrément en tort. Parce que la vérité, c’est que j’en avais rien à foutre du sujet, j’avais juste envie de l’écouter parler. Ça me tuait de restreindre sa voix, de ne pas pouvoir écouter les autres sujets qui débordaient de lui.
— Tu imagines. Tu édulcores.
— Bien entendu. C’est moi qui rêve ?
—Totalement.
— J’te crois pas.
— Ne me force pas à parler avec tes parents.
— Est-ce ta seule défense ? Mes parents ? Tu sais, un jour, tu ne pourrais plus te cacher derrière eux.
— Tys, grinçais-je. Concentre-toi sur Marius et tes futures conquêtes. T’es beau, t’as rien à te prouver.
— Je suis au courant. Mais tu noies le poisson.
— Mathys ! grondais-je.
Il se figea en se mordant les lèvres. Son regard avait toujours cet éclat que je répugnais à comprendre.
Il serra ses poings, en secouant la tête. Si j’étais énervé, Tys l’était tout autant que moi.
Il prit un instant pour plonger ses yeux verts dans les miens. Je détestais ce regard, cette puissance contre laquelle je luttai de toutes mes forces.
— Comme tu veux !
Il se détendit en souriant sagement et se dirigea vers la bibliothèque comme si nous n’avions jamais eu cette discussion, et ça me foutait en l’air. Cette désinvolture. Cette capacité à ravaler ses émotions.
— Tu devrais te préparer, lui lançais-je.
— Je vais juste chercher un livre.
Je le regardais disparaitre derrière l’embouchure de la porte en me maudissant.
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