Octobre 2016 - 53 ely
Main dans la main avec Eden, je mordais dans le quignon de pain tout en écoutant les discussions des passants. Le marché perdait en qualité d’année en année, mais Eden aimait bien y acheter ses légumes.
Eden me retira la baguette des mains avant de l’enfourner dans son sac de cours.
— Après, tu n’auras plus faim, et dis-moi à quoi cela servira que je te prépare à manger ?
Je souris, amusé par sa façon de me gronder et de me dire en même temps qu’il tenait à moi. Personne ne m’avait préparé des plats aussi succulents que ceux faits par Eden. C’est dans chaque bouchée, que je goûtais à ce qu’il me susurrait quand on faisait l’amour.
Je m’excusai en embrassant sa joue, quand une voix reconnaissable entre cent me parvint. Je me tournais vers un stand d’olive et rencontrais le doux visage de Margot, la mère d’Evack.
Elle s’approcha de moi, me saluant comme si j’avais été son enfant, puis elle déporta son regard sur Eden.
Elle nous observa un instant avant de sourire.
— On fait le marché en amoureux ? demanda-t-elle.
Je hochai la tête, sans véritable gêne, et lui présentai Eden, comme étant mon petit ami. Il l’était. Et bizarrement, ça ne me posait aucun problème d’avoir une personne comme lui dans ma vie : quelqu’un à aimer sans complexe, quelqu’un avec qui s’était facile d’être soi.
Margot embrassa sur les deux joues Eden, laissant à ma vue sa joie de me savoir heureux.
Samedi, je veux tous les enfants à la maison pour mon bon plaisir. J’imagine qu’Evack a oublié de te faire la commission.
Il l’a oublié, effectivement.
Ce n’était pas rare qu’il oublie et que je le voie se pointer chez moi pour me traîner chez ses parents quelques heures avant les repas.
Il va falloir penser à m’appeler directement, Margot.
Tu sais bien que j’ai peur de te déranger lorsque tu écris.
Un texto ne me dérange pas lorsque je suis sur vibreur.
Je me tournai vers Eden pour savoir s’il voulait bien, mais une hésitation me prit alors que je lisais sa réponse dans le brillant de ses yeux.
Les vacances scolaires avaient débuté et je savais que Mathys se ramènerait. Il ne savait pas que je fréquentais quelqu’un, et quelque part, cela n’aurait pas dû me contrarier. Ce ne serait pas la première fois que je ramenais une conquête chez les Torrens, mais là, avec Eden, il saurait que c’est différent… ou peut-être bien que non.
Margot sourit comme une mère comprenant l’état d’âme de son enfant.
— Il n’y aura que les triplets, Evack, la fiancée de Paul et sans doute Pola. Et selon ses disponibilités, Carmen nous fera un petit coucou. Nous serons en petit comité.
J’arquais un sourcil en acceptant l’invitation, puis finalement me détendis.
Margot resta à bavarder avec nous. Eden répondit à quelques questions. Je lui avais parlé de cette femme, grande et élégante, qui considérait les amis de ses enfants comme la famille.
Avant de partir, Margot me serra dans ses bras et glissa à mon oreille ce qui m’avait turlupiné quelques minutes auparavant.
— Mathys est partie en Italie avec des amies. Il ne sera pas là, de toutes les vacances.
Elle avait compris. J’avais honte.
Eden ne savait que le strict minimum sur Mathys. Il ne savait ni ce que je ressentais pour cet adolescent trop sur de lui ni ce que Mathys désirait de moi. Et je le laisserai dans le vague le plus longtemps possible. Je pouvais compter sur Margot pour garder Mathys loin d’Eden le temps qu’il le faudrait.
Cette femme avait le regard intelligent. Elle savait beaucoup de choses qu’elle taisait souvent. Elle comprenait les cœurs et prenait soin d’eux avec des sourires et des caresses tendres. Si j’avais eu une mère comme elle, est-ce que j’aurais été qui je suis ? Quel impact ont les autres sur nous ? À quel point ils peuvent nous définir ? Si je n’avais pas vécu ceci ou si je n’avais pas connu cette personne… je aurais été différent aujourd’hui. Peut-être de pas grand-chose, mais différent quand même.
J’aimais cette femme, comme on aimait une tasse de chocolat chaud dans un hiver glacial. Je retrouvai un semblant d’innocence lorsqu’elle me couvait du regard. J’étais un enfant. Un grand enfant. Mais un enfant quand même.
En la regardant partir, je sentis Eden se rapprocher de moi. Je me tournai vers lui, vis la panique dans ses yeux.
— Il faut que je lui fasse bonne impression, déclara-t-il en me tirant derrière lui. Il me faut une nouvelle tenue.
Je pouffais de rire. Il ne s’en offusqua pas, souleva à peine les épaules.
— Ris pas. C’est important. Tu m’as dit que la famille d’Evack était importante pour toi.
— C’est vrai. Mais des vêtements ne changeront rien sur qui tu es. Margot t’aime déjà. Pas besoin d’un nouveau pantalon. Par contre, je connais son péché mignon...
Eden s’arrêta brusquement. Mon nez s’écrasa sur sa nuque. Il se tourna et planta ses yeux vert clair dans les miens.
— Parle, sous peine que j’oublie le repas de ce midi.
J’affichai une moue faussement boudeuse, qui me faisait ressembler à un poisson lune. J’avais goûté plusieurs fois à la cuisine d’Eden et j’en étais fou.
Un grand sourire se forma sur les lèvres de mon copain.
— Je t’écoute.
Je capitulai, l’estomac grondant.
— Dessine-lui Narcisse et Cerninos en utilisant des tons violines. Elle te tombera dans les bras.
Margot aimait l’art. La peinture et le dessin plus précisément. Elle avait une pièce consacrée à plusieurs artistes indépendants chez elle, et les murs y étaient presque invisibles tellement il y avait de tableaux et de cadres. Elle aimait aussi mes chiens. Plus que l’art. Je la savais capable de brûler chaque peinture pour permettre à mes bébés poilus de vivre un an de plus.
Margot prenait soin des autres. Elle aimait sans condition les personnes qu’elle faisait entrer dans son cœur.
— On rentre ? demandai-je.
— Allons chercher de la peinture avant.
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