Octobre 2016-55 Ely
Margot montrait encore une fois la jolie peinture qu’elle avait reçue en cadeau d’Eden. Fière, elle avait demandé à son mari de planter un clou dans le salon pour accrocher le portrait de Narcisse et Cerninos. Ils vadrouillaient entre les chaises autour de la table, inconscients que les invités contemplaient leur minois figé à jamais dans la peinture.
Le repas se terminait autour de la table basse, sur les canapés. Evack me parlait d’un jeune chanteur qu’il ferait venir au Hongrois deux fois par mois. Un prodige du jazz électro, selon lui. Je n’avais absolument aucune idée de qui il me parlait, mais j’écoutais, sensible à cet inconnu qui adorait flirter avec plusieurs genres.
— Tu vas l’adorer, laissa-t-il tomber.
— Si ce n’est pas un con, j’en suis sûr.
— Je vous vois bien former un duo.
— Je suis déjà dans un groupe, je te rappelle.
— Ouai, mais tu sais bien que Linda et ses hommes projettent de partir ailleurs pour se marier, non ?
C’était un fait. En France, un trouple était vu comme une anomalie… Linda et les gars n’avaient pas un grand avenir ici. Ils voulaient se marier, fonder une famille.
— Hum… je sais.
La jambe d’Evack trainait sur celle de Zéphyr qui discutait avec la fiancée de Paul. Il ne semblait pas avoir encore remarqué combien Evack se tenait près de lui. À vrai dire, leur façon de se tenir l’un à côté de l’autre semblait si naturelle, si habituelle que le temps de comprendre qu’ils n’étaient pas seuls mettait du temps à se frayer un chemin vers leur conscience.
Il n’y avait pas Perséphone pour leur remettre les pendules à l’heure dans un regard glacial. Et finalement, personne ne paraissait s’intéresser à cette façon dont ils avaient de chercher la main de l’autre tout en discutant.
Margot s’approcha de moi, caressant le visage d’Eden qu’elle considérait désormais comme un membre de la famille. Il lui avait offert le plus beau des présents. Celui que personne n’aurait pu imaginer lui faire plus plaisir. Eden accepta la tendresse en souriant. J’avais eu raison de le choisir. Il était parfait et il se fondait à la perfection dans mon quotidien.
— Ely chérie, tu nous jouerais un peu de clarinette ?
Margot m’avait appelé dans la matinée pour que je prenne Clara avec moi. Un dîner chez les Torrens sans musique, c’était une journée sans soleil. Habituellement, c’était Mathys qui s’y collait. Parfois, nous deux à la fois. Jouer avec lui avait tendance à me transcender. Quand la voix de nos instruments s’entremêlait, c’est comme si nos âmes s’animaient hors de notre corps pour danser en plein milieu des regards admiratifs.
— Bien sûr, lui dis-je en me redressant.
Je quittai le fauteuil, la discussion avec Evack et la cuisse d’Eden. Il riait avec Pola.
Installé devant la cheminée, je plaçai le bec de Clara contre mes lèvres, j’inspirai profondément, alors que mes doigts comblaient les trous. Un son enflammé dévora le salon. Je voulais voir Margot et Carle danser. Et à peine quelques instants plus tard, ils étaient tous les deux debout à agiter leur corps, à tournoyer, à claquer leur semelle de chaussure dans un flamenco que seuls eux comprenaient. Ils furent rejoints par Paul et Tina. Adès tira Zéphyr à elle. Pola entraina mon petit copain. Et j’eus tout le luxe de le voir tourner comme une toupie. Ça riait. Ça faisait les idiots. Evack dansait seul, jusqu’à ce qu’Adès lui cède la main de Zéphyr. Dans l’agitation de tous ces corps en mouvement, j’étais seul à pouvoir observer leur regard pétrifié d’amour. Zéphyr tira Evack vers Pola et vola sa mère à son père. Carl se trémoussait. Je continuais à jouer jusqu’à ce que le souffle me manque et que je fus remplacé par la stéréo et un son plus ensoleillé.
Eden vint vers moi avec un verre d’eau. Je le bus en une rassade avant d’accepter de sortir un peu dans le jardin histoire de me rafraichir. Le mois d’octobre était encore chaud à Toulon.
Seuls sous les glycines, nous observions les ombres et écoutions les chats errants.
— Tu joues si bien. Est-ce qu’un jour tu ne joueras rien que pour moi ?
— Bien sûr que je jouerai pour toi. Je l’ai fait. Quand je joue, c’est pour le monde.
— C’est beau quand tu parles comme ça, El. Tu n’imagines pas ce que ça me fait.
— Alors dis-le moi.
— Demande-le moi.
Je lis dans son regard combien il donnerait tout de lui pour me garder à tout jamais.
— Qu’est-ce que ça te fait ? susurrai-je.
Il approcha son visage du mien, plongeant ses yeux verts dans les miens. Ils étaient plus foncés que d’habitude et, comme une décharge électrique, je sentis que mon esprit jouer encore avec moi. Quand Eden m’embrassa, ses cheveux blonds et raides, devirent châtains et bouclés.
Il n’y avait absolument aucune raison pour que je pense à Mathys dans un moment pareil et pourtant…
Eden enroula ses bras autour de ma nuque, cherchant plus franchement mon contact que je n’osai pas lui donner. Parce que si lui ne voyait que moi à cet instant, ce n’était pas vrai pour moi.
Je me figeai un peu plus, me demandant de quelle façon Mathys embrassait.
Une brise fraîche se glissa dans mon dos, éveillant à nouveau la personne censée que j’étais. Je me forçai à regarder Eden et inspirai son parfum. Je plongeai mes mains sous sa veste en jean, pour me remémorer les courbes de son corps.
Il me provoqua en attirant mes mains jusqu’à ses fesses. Je le soulevai légèrement, remarquant, peut-être pour la première fois, qu’il était plus mince que moi. Est-ce que les randonnées avec Evack avaient à ce point développé ma musculature ? Je faisais peut-être trop d’exercice.
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