Décembre 2016 -56 Ely

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Je balançai mon sac de couchage au visage de Paul qui l’envoya à Zéphyr.

Cette année, Noël en famille se passe dans le bar d’Evack. Une idée loufoque de Carl. On se doutait bien que c’était à cause du parquet tout neuf, installé il y avait quelques jours.

Je passai une main dans mes cheveux lâchés avant d’aider Margot, Evack et Adès à sortir les plats de la dizaine de sacs. J’ouvrais une à une les boîtes, retirais le papier aluminium. Pola plaça les boisons tout en faisant les yeux doux à Adès. Je mettrais la main à couper qu’il y avait plus qu’une histoire de cul entre elle. Leur façon de regarder posait en évidence l’histoire qui se construisait.

Je quittai les tables, installées les unes à côté des autres en un grand buffet. La musique latine donnait l’ambiance de la soirée.

Max me rejoignit derrière le comptoir où j’étais partie ranger les sacs. Il se pencha sur moi. Je me redressai, un sourcil arqué. Qu’avait-il à me dire ?

Il s’approcha encore un peu comme pour me susurer un secret. Je tendis l’oreille avec un demi-sourire aux lèvres.

— Tu n’as pas invité ton soupirant ?

Il le murmura en jetant un œil vers le sapin que les jumelles, Lucien et Mélodie terminaient de décorer. Il dévia son regard sur Mathys qui bavardait sérieusement avec Perséphone. Magalie et son père étaient à l’étage. Je les regardai un instant se faire des passes avec les sacs de couchage. Ayron était un ancien rugbyman et sa fille avait hérité de sa passion. Si Magalie était aussi belle que Persé, elle n’en avait pas moins la corpulence de son père. Je ne me risquerai pas à la titiller.

Sur le même ton secret, je levais mes lèvres pour lui répondre tout près :

— Eden est mon petit-ami, pas mon soupirant. Et il est avec sa famille.

— Quoi ? Il ne t’a pas proposé de fêter Noël avec toi ?

— Il l’a fait. Mais j’ai refusé. J’ai pensé que c’était un peu trop tôt.

— Trop tôt…

Max sourit en posant sa main sur mon épaule.

— Je suis content pour toi, Ely.

— Pourquoi ?

— Parce qu’on dirait bien que tu as trouvé ce que tu cherchais avec Eden.

Il continuait de chuchoter. C’était le réveillon, et personne n’aurait voulu que notre réunion se passe mal.

Tys ne savait pas grand-chose de ma relation avec Eden. Le connaissant, il se disait simplement que c’était encore un gars de passage. J’étais presque certain qu’au moment où j’y pensai, il devait croire que nous n’étions plus ensemble.

Je souris à Max, cependant mon cœur se resserra presque aussi tôt. Je n’avais pas vraiment trouvé ce que je cherchais. C’est juste que tout était plus simple avec Eden et que je pouvais volontiers m’en contenter le temps que ça durerait.

Margot sonna la cloche qu’elle faisait retentir à chaque repas. Tout le monde rappliqua devant le buffet qu’elle avait arrangé. Les marches de l’escalier tremblèrent et bientôt, nous étions tous avec une assiette à la main en train de piocher notre repas de réveillon. Narcisse et Cerninos avaient terminé leur gamelle, alors ils vinrent réclamer la suite de leur repas de fête. Chacun donna quelque chose. Je roulai les yeux avant de tomber sur une banquette. Pola m’y rejoint avec Adès. Je me poussai pour leur faire de la place, jusqu’à ce que ma cuisse en rencontre une autre. Je ne me tournais pas tout de suite, écoutant ce que Pola avait à dire du faux-foie gras.

Une tuerie !

Et c’était vrai. Il était super bon.

Après avoir échangé sur la bouffe dans nos assiettes, que mon regard était allé se poser sur Evack et son épaule contre celle de Zéphyr ou sur Margot qui se trémoussait avec son beau-fils une coupe de vin à la main, je me décidai à tourner la tête vers mon voisin.

Oh. Il n’y avait pas de grande surprise. J’avais déjà reconnu son contact et les mèches châtains qui étaient venues me chatouiller la joue. J’étais collé à Mathys. Pas par volonté, mais parce que tout le monde avait préféré la banquette aux chaises.

Quand il me sourit, j’eus pour la première fois du mal à soutenir son regard.

Il ne dit rien. Je me taisais aussi, préférant écouter la vie autour de nous. Mais d’être serré contre lui, sentir son bras, sa cuisse, son genou contre moi, éveillait une tempête de chaleur dans mes entrailles.

Ne rien laisser transparaitre était devenu une seconde nature depuis mon adolescence. Avec lui à mes côtés, cela était compliqué de ne montrer aucune des fissures que son contact, que sa proximité zébrait à l’intérieur de mon cœur. Il m’enveloppait de son aura, de son odeur. Et son reflet à la fenêtre me broya les nerfs. Depuis cet été, il avait encore changé. S’il ne grandissait plus vraiment en taille, mais la structure de son visage continuait de se massifier. Je décelai une barbe d’un jour qui ombrageait sa peau dorée. Dans un peu moins de deux semaines, il y aurait dix-sept ans et je fêterai mes trente-cinq ans.

Peut-être étais-je trop insistant à le regarder en catimini dans le reflet des vitres. Peut-être devinait-il trop vite quand il s’agissait de moi et de mon regard. Mathys plongea ses yeux dans le mien. Pas directement. Juste dans le reflet de la vitre. Et je crus que la salle entière avait entendu l’exposition qui venait de faire cramer ma cervelle. Je ne détournai pas les yeux, rendant mes iris plus sombres. Si j’avais une arme incorporée au corps, c’étaient bien mes yeux. Ils montraient combien je pouvais être dangereux. Combien je l’étais.

« Ne t’approche pas, Mathys. »

C’est ce qu’ils voulaient dire.

« Ne t’approche pas plus sous peine que je te tue… »

Le tuer ? J’avais cette envie parfois. Le rouer de coup parce que je voyais trop facilement son amour pour moi. Je ne voulais pas qu’il m’offre quoi que ce soit de lui, et dans ses regards, il me proposait le monde. Un monde où je serai entièrement moi.

Tragiquement. En le comprenant, je me redressai pour me reservir, quand Margot sautilla vers moi et me tandit Clara. Elle avança vers Mathys et lui tendit son étui de violon.

Etait-ce bien compliqué de comprendre ce qu’elle voulait alors que Carl éteignait la stéréo ?

Tys posa son assiette et ouvrit son étui avant de sortir son instrument. Je l’imitais restant devant le buffet alors qu’il se positionna au milieu de la pièce, m’offrant un long regard. Je comprenais tout de suite ce qu’il disait.

« Es-tu prêt.e à me suivre ? »

Seulement en musique…

Lorsque Mathys fit glisser son archè sur les cordes de son violon, j’écoutais en vibrant à chaque note. Très vite, je l’accompagnai, connaissant aussi bien que lui les chants de Noël. Pendant un laps de temps, il n’y avait plus que lui et moi et la voix de nos instruments. Au lieu d’observer le public, j’enfonçai mon regard dans le sien. Et « vive le vent » avait subitement quelque chose de plus tempétueux, de plus étourdissant.

L’instant d’après, Carmen et Nathalie nous rejoignîmes, laissant leur voix s’emmêler à celle de nos instruments. « Last Christmas » avait la puissance de deux prodiges vocales qui préféraient dire qu’il ne s’agissait que d’un don mal utilisé.

À l’étage, alors que les triplets dépouillaient Ayron, leur beau-frère, de ses déserts aux jeux de cartes, les jumelles et Magalie regardaient une série sur leur portable. Evack et Zéphyr avaient disparu dans la rue. Max et Mélodie continuaient de danser avec Carl, Margot et Pola au rez-de-chaussée.

Je sortis sur le balcon pour m’aérer l’esprit. La brise de décembre était fraîche, mais pas piquante. Elle avait la douceur du Sud.

— Tu vas attraper froid à sortir avec un simple marcel.

Mathys jeta sa veste sur mes épaules. Je lui rendis gentiment.

— Si je suis sorti en marcel, c’est parce que j’ai chaud. Ne va pas attraper froid.

Il la reprit. La balança négligemment sur son épaule.

— Tu ferais mieux de rentrer.

Je me sentais mal à l’aise en étant seul avec lui.

— Je ne compte pas t’importuner, je voulais juste te demander ce que tu fiches avec le deuxième volet de ta saga.

J’arquai un sourcil, surpris qu’il puisse m’en parler. Il m’en avait déjà fait part. Et depuis, rien de ce que j’écrivais n’avait pu s’arranger. Je me sentais fatigué d’écrire cette histoire. Pas parce qu’elle n’était pas intéressante, mais parce que j’avais peur qu’elle ne soit pas comprise. Que les lecteurs passent à côté des valeurs et du sujet. Qu’ils ne voient que le côté dérangeant du récit et qu’ils ne lui laissent aucune chance.

— De la merde.

— Ouais, c’est peu de le dire.

— T’es venu pour m’enfoncer ?

— Non. Pour te donner ça.

Il me tendit une clé USB. Ses mains étaient sacrément longues. Ses doigts, fins.

— C’est quoi ?

— Une autre approche à ce que tu aurais dû mettre en lumière. On dirait que tu veux minimiser le sujet principal en le cachant sous pleins de remarques qui ne font que ruiner ce que tu avais proposé de bon depuis le début.

— Tu te fous de moi ?

J’ignorai sa main tendue, un peu blessé dans mon égo. Ce sale gosse est en train de m’apprendre mon taffe. J’étais en-dessous de tout et je n’aimais pas que Tys puisse le remarquer. J’étais en train de me ridiculiser.

— T’en veux pas parce que c’est moi ou parce que tu as peur que je sois meilleur.

— Va te faire fout…

Je me mordis la langue, ravalant ma colère.

— …et merde ! Excuse-moi. J’aurais pu dû dire ça.

— Dire quoi ? Quand il s’agit de moi, tu te maîtrises plutôt bien. Pourquoi tu ne me le dis pas, ce « va te faire foutre » ? Parce que j’suis un pauvre gamin à qui une grande personne devrait montrer un vif respect.

Il se paie ma tronche ?

Non. Il avalait difficilement la « maîtrise » que j’avais encore lorsque je m’adressai à lui. Je ne loupai pas la douleur dans ses yeux vert hypnotique. Je lui faisais mal et je n’en étais pas fier. Ça me bouffait de devoir regarder sa tristesse sans pouvoir caresser sa joue, sans pouvoir m’excuser en lui disant que je voudrais que ça soit autrement. Mais je restais dans mon rôle. Je restai concentré.

— Ouais, voilà. Exactement comme tu dis. J’te remercie pour ton aide, mais je vais me débrouiller…

— Ce n’est qu’un avis constructif. Rien de plus, Ely.

Il s’approcha. Je me tendis.

Putain !

Pas si proche, Tys. Pas alors que l’ambiance se prête à te donner un baiser. Recule. Pars.

Une vive chaleur malaisante m’attrapa au corps, j’étais prêt à le repousser, mais Mathys saisit mon poignet avant de me refourguer la clé USB.

Les battements de mon cœur tonnaient jusque dans ma gorge.

— Ça ne mange pas de pain de lire. Tu en fais ce que tu veux. Mais arrête de me dire non à chaque fois. Ne me dis pas non, pour ça. Laisse-moi cette place…de lecteur assidu.

Il se détourna et avant de rentrer, il me glissa plus doucement :

— Il ne faut pas être inquiet comme ça, ce n’est pas bon pour le cœur.

Putain !!!

— Je vais finir par me le faire, façon bouchère, grinçai-je, en regardant le rideau se replacer.

Je n’étais clairement pas assez détaché et qu’est-ce que ça me gavait !

Non… en fait, ça m’épuisait.

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