Décembre 2016- 57 Mathys
Paul avait rejoint Tina. Les jumelles et Ayron dormaient déjà. Magalie était descendue rejoindre sa mère. Adès ne me quittait pas du regard en positionnant son duvet près de l’escalier. Je la soupçonnais de privilégier ce côté-là, pour se rendre plus facilement aux toilettes.
La force qu’elle mettait à me scruter m’affirmait qu’elle avait vu un instant plutôt, avant qu’Ely s’enfonce dans son sac de couchage, notre échange de regard.
Elle me pointa du doigt, avant de l’agiter pour m’appeler. Je roulai les yeux et me délogeai de la banquette où j’avais pris refuge. Comment ignorer que j’étais toujours un gosse aux yeux de tous ?
— Qu’est-ce que tu veux, Adès ?
Elle s’installa en tailleur, les bras croisés, et m’invita à faire de même.
— Que tu arrêtes de te faire du mal .
— Qu’est-ce que tu entends par « te faire du mal » ?
Ce n’était pas toujours évident de comprendre ce que les autres avaient en tête, surtout Adès. Peut-être avait-elle plus de difficulté que les autres à organiser ses pensées avant de formuler une phrase.
— Tysou, Ely a un copain. Tu sais bien qu’il ne se passera jamais rien. Alors pourquoi tu t’acharnes ?
— C’est ça mon mal ?
Elle arqua un sourcil.
— Pourquoi ? Ce n’en est pas un ?
— Bien sûr. Dis-moi ce que ça te ferait que la personne que tu aimes se force à ignorer tes sentiments ? Qu’elle te juge toujours trop jeune ? Qu’elle pense qu’un âge détermine la puissance de ton amour pour elle ?
—Tysou… Ely n’a pas…
— Ne nie pas, toi aussi, ce que tout le monde voit. Il n’y a pas rien, Adès. Avant peut-être. Quand j’étais beaucoup plus jeune. Et je le conçois. Je trouve cela très bien même. Mais maintenant ?
— Tys, Ely est bien plus âgée. Elle ne te verra jamais autrement que comme un gosse.
— Iel a d’autres sentiments pour moi, je le sais. Je le sens.
— Même si c’était le cas. Votre différence d’âge est un frein pour « iel ». Et puis, je vois très mal Ely tenter quoi que ce soit avec toi. Elle… Ely a trop de respect pour tes parents. Ely est amie avec Max et ta mère.
—Et alors ? Tu penses que mes parents n’accepteront pas ? Crois-tu que ce soit leur genre de dire non à une relation pour un âge ? Dois-je te rappeler qu’ils m’ont élevé dans l’acceptation de la différence ? Ce serait malheureux qu’ils refusent… Et puis quel mot aurait-il à dire ?
— Tu es mineur.
— Et quand je ne le serai plus, est-ce que mes sentiments auraient un peu plus de valeur pour vous tous ? Me laisser partir en vacances avec mes amis, ce serait OK, mais pas Ely ?
— Ely est de la famille, Tys. Ce serait douloureux s’il se passait quelque chose de mal entre vous. Et puis, elle a son mot à dire, non ?
— Iel a trop peur du jugement pour avouer que je lui plais.
— « Iel » a une conscience. Mathys. Ely se cherche beaucoup. Sa vie n’a pas été tendre. Je ne sais toujours pas de quoi il ressort, mais j’ai juste à la regarder pour me dire que, peut-être, elle regrette qu’il n’y ait pas eu plus de personne pour la protéger dans sa jeunesse. Ce que je sais, en revanche, c’est que pendant longtemps Ely s’est terré loin de son cœur, de ses envies.
Je connaissais les détails de sa vie. Je connaissais ses souffrances et ses peurs. Mais je connaissais aussi la façon dont iel me regardait. Et je constatai, à chacune de nos rencontres, le changement de ses yeux sur mon corps. Iel prenait plus de liberté quand je lea faisais « chier ».
— Laisse-la vivre. Et comprends, que ce n’est pas un problème avec moi ou tes parents, mais avec elle aussi. Comment tu ne peux pas comprendre qu’elle ne veuille pas être ce genre de personne ? Une adulte qui endoctrine un gamin.
— M’endoctriner ? Comment ?
— Tys…
— Tu sais qu’elle est ma maturité, Adès. Tu sais comment je réfléchis. Tu sais que je peux comprendre ce que ressens Ely. Mais… la souffrance dans laquelle vous me plongez quand vous êtes incapable de me voir comme je suis est indigeste. J’ai grandi trop vite, Adès. Quoi que ma mère ou Max aient voulu. Mon innocence est partie avec mon père, avec tout ce qui a suivi, avec les questions qui m’ont toujours rongé l’esprit. Je suis conscient que pas toutes les personnes avec un Q élève ont la maturité qui va avec, mais dans mon cas, ce serait une offense de l’ignorer trop souvent.
Adès soupira, mais la manière dont elle se tordait les doigts me prouva qu’elle entendait l’homme plus que le garçon.
— S’il doit se passer un truc, Tys, ce ne sera pas aujourd’hui, soit en certain.
— Alors tu veux bien croire que je plaise à Ely.
Adès ne répondit pas, comme si elle cherchait à m’épargner les vérités.
En haussant les épaules, je retournai sur ma banquette et reprit la lecture de mon bouquin. Par moment, je sortais de la lecture pour déposer un regard sur le sommeil d’Ely.
Iel avait mis son sac de couchage devant la fenêtre. Depuis iel dormait en boule. Je ne voyais plus que sa longue tresse échouée sur le sol. L’aimer avait toujours ce goût de cendre dans la bouche. Iel ne m’épargnait pas non plus le poing qui serrait mon cœur chaque heure passée à ses côtés.
J’avais du désir pour iel. Une envie de poser mes lèvres contre les siennes et de sentir son pouls contre mes doigts.
Combien de temps devrais-je continuer à lui faire l’amour à travers les autres ?
Je n’en étais pas fier, mais je comptais encore les jours qui feraient de moi : un homme acceptable pour Ely.
Adès tomba de sommeil et commença à ronfler.
Il n’y avait plus personne d’éveillé à l’étage, alors je m’installai tout près d’Ely et contemplai son visage endormi. Aimerait-iel son cadeau ? Est-ce que j’oserai le glisser dans son sac à dos ?
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