Janvier 2017-59 Ely
La musique tonnait entre les murs du Hongrois.
Raton, le chat qu’Evack avait ramené de la SPA deux mois auparavant, était en boule sur le comptoir, façon poule convant son œuf. Depuis qu’Adès lui avait fait découvrir le bar, Mister Matou prenait ses aises et la musique ne semblait absolument pas le perturber. Sa tête de vieux truc décrépi s’imposait comme étant le chat du propriétaire des lieux. Il avait la même expression que l’émoticône : « va te faire mettre avec ta main ». Elle n’existait pas, mais Raton aurait pu l’inventer.
Il ignorait superbement les mains tendues vers lui, parfois il laissait la marque d’un croc, juste pour rappeler qui on avait en face de soi. Étrangement, je n’avais pas encore eu droit à son baiser cruel de vieux Félin cabossé par la vie.
Je m’approchai de lui avec mon verre de limonade et commençai à gratter entre ses deux oreilles mutilées. Evack n’aimait pas la cruauté. S’il avait eu les « connards » qui avaient maltraité Raton, il leur aurait fait découvrir l’asphalte de la route, à la façon d’un mafieux des temps modernes.
— Bah alors Minou, Tu ne me martyrise pas le bras.
Il posa un regard sombre sur la blancheur de ma peau et sur les fines cicatrices qui balafraient encore mes poignets avant de sortir le bout de sa langue rose et rappeuse. Il me lécha les doigts. Pas longtemps, juste de quoi comprendre qu’il m’aimait bien.
— Tu causes à Raton, toi ?
Adès me passa derrière en entraînant Paul. Il était un peu éméché et avait grand mal à sortir son portable de sa poche.
— Un coup de main ? lui proposai-je.
— C’pas un portable dans une foutue poche qui va me…
Il se tortilla et enfin, sortit son portable. Il fit glisser son doigt sur l’écran, consulta ses textos en asseyant sur un des tabourets.
Une main soutenant ma tête, je regardai par curiosité l’écran. C’était Mathys.
Quand Paul réussit à ouvrir le fichier, je pus admirer la joie pétillante qui éclairait le visage de l’adolescent.
Il était avec ses amis dans une boîte que je devinais être gay. Il tenait une bière sans alcool dans la main - je l’espérais. En gros, il s’éclatait bien en Angleterre. Il avait retrouvé des amis de là-bas, aux dires d’Adès.
Mais ce qui me gêna dans cette photo, c’était la main baladeuse de la fille derrière lui et le préservatif qu’elle glissait dans la poche de Tys. Ça me fit serrer mon verre.
Paul le remarqua aussi. C’était plus évident que je ne l’avais pensé.
— Venez, on lui envoie une photo sympa aussi.
Paul tendit son bras, pour faire un selfie, peut-être trop près de Raton. Avant qu’il n’appuie sur son appareil, il se prit une méga griffe de félin. Le portable glissa entre mes mains. Je regardais la photo, que Paul avait finalement réussi à faire.
— Ah ! Il va adorer, me marrai-je.
Je montrai la tête de Paul à Adès. Son rire éclata plus bruyant qu’elle n’aurait voulu. Des clients se tournèrent vers nous.
— Envoie-lui, elle est trop ! me pressa-t-elle.
Alors, j’appuyai sur envoyer avant de sentir Eden s’affaler sur mon dos.
— J’ai soif, réclama-t-il.
Mon verre quitta ma main, rejoignit ses lèvres.
— Je ne te dérange pas.
— Non, El. Pas du tout. Merci.
Il embrassa ma joue. Ses cheveux chatouillèrent mon visage. Je souris. J’entendis un clic se perdre. Je l’ignorai, préférant regarder Eden retourner se trémousser sur la piste de danse avec ses amis.
Je secouais la tête, amusé. Eden était ce qu’il me fallait. Doux, facile, ouvert…
En me retournant, j’observai Paul examiner sa blessure et Adès, taper un message. Surement un truc comme : « Paul, c’est fait éventrer le bras par un Raton démoniaque. Tu verrais son bras pisser le sang ».
Je recommandai une limonade à Pola qui remplissait des verres à une vitesse affolante. Une pro. Ses seins se balançaient dans son décolté, ravissant certains clients, mais ne convenant pas des masses à Adès. Elle vrilla un regard noir vers certains hommes autour du comptoir avant de caresser la main de Pola discrètement quand elle m’apporta ma commande.
Je ris doucement, mon verre à la main. Je bus plusieurs gorgées, avant qu’une envie de pipi vienne m’ennuyer.
En direction des toilettes, mon portable vibra. J’entrai dans la cabine, me soulageai, puis me lavai les paluches avant de regarder le message.
Mathys.
Pièce jointe.
Je déglutis.
Il n’était pas encore minuit.
Sans doute qu’il voulait ironiser sur la photo reçue.
J’ouvris le fichier et tombai sur un graph de rue montrant deux personnes que tout opposait, mais qui se tenaient par la main. Une inscription en bas du dessin : « On s’aimera quand même ». Je serrai le poing en lisant le message qui suivit.
Mathys- 23h05
Adès m’a envoyé une photo de toi et de ton belâtre du moment. Elle me dit de laisser tomber. Qu’apparemment, ce serait l’"amour". Ça y ressemble. Et je crois bien que je préférerai que tu sois amour.euse. Ça serait plus facile de laisser tomber. Mais Ely, comprends-moi. Ce n’est pas que je ne veux pas t’oublier et passer à autre chose. C’est que je t’aime, tout simplement. Que j’aurai beau me jeter sur des cœurs tendres et réconfortants, ça n’enlèvera pas la marque de toi sur mon cœur. Je ne crois pas en cette photo. Mais je sais combien tu veux y croire, alors, je te laisse avec cette illusion…
Si je n’avais pas eu besoin de mon portable pour taffer, je l’aurais explosé sur les carreaux des chiottes.
Je supprimai le message avec une folle envie de hurler. À la place, je pris une grande respiration et enfonçai mon portable dans la poche de mon jean.
En revenant dans la salle, Eden s’élança vers moi et me traîna sur la piste. Je le laissais s’articuler frénétiquement autour de moi, avant de le calmer en le collant à moi. Il était toujours là quand j’avais besoin de me canaliser. Toujours là quand Mathys s’invitait dans mon esprit.
Qu’est-ce qui lui était passé par la tête pour m’envoyer un truc comme ça ? Qu’est-ce qui connaissait de mes sentiments ? Est-ce qui lui arrivait de douter ? Ou n’était-ce que la provocation d’un ado trop sûr de lui ?
Un tel manque de réserve quand il s’adressait à moi ! Pourquoi lui inspirais-je ce sentiment d’impudicité ?
J’embrassai le cou d’Eden. Il collait, mais je m’en fichais.
Il enroula ses bras autour de ma nuque. Je plantais mes mains sur ses hanches, descendant doucement sur ses fesses.
Serré contre lui, jouant avec le gonflement de son sexe et me rappelant les mots de Tys, je murmurais à son oreille :
— Tu veux bien mettre des affaires à toi dans ma penderie ?
Il s’arrêta de danser, les yeux ronds.
Il avait compris.
— Tu veux que…je vive chez toi ?
Je souris en haussant les épaules, le rapprochant à nouveau de moi.
— Disons que c’est dans l’idée, et que ça tombe plutôt bien. Ton bail s’arrête ce printemps et j’aime assez te voir déambuler dans mon salon en peignoir marmotte.
— Je ne sais pas. C’est vrai que ce serait un idéal, mais, je suis un peu encombrant.
— Et j’ai une grande maison.
Je passai une main sous son t-shirt. Il se cambra.
— Dis oui. J’ai envie de te voir chaque matin.
— Laisse-moi réfléchir.
Il se frotta contre moi, un sourire en coin. Il me montra les toilettes d’un regard de concupiscence.
— Trop de monde…
Je lui fis un clin d’œil et le tirai derrière moi à travers la foule avant de sortir.
À l’intérieur de la voiture, garée dans la pénombre, j’abaissai mon siège, retirai ma prothèse pénienne sans érection pour la remplacer celle que j’avais achetée dans un sex-shop - de quoi attendre la prochaine, en confection. Je la coinçai dans mon boxer harnais en observant Eden cul nu, les doigts pleins de lubrifiant. Oui, j’avais un sac pour mes petits plaisirs dans la bagnole. Seulement quand j’étais avec Eden.
— On fait n’importe quoi, rit-il.
— On va faire l’amour. C’est pas n’importe quoi.
— Dans une voiture. J’ai la tête qui cogne le plafond.
Était-il en train de me dire qu’il ne l’avait jamais fait dans une voiture ?
J’attrapai ses fesses alors qu’il m’encadrait de ses bras. Plus par praticité. Ses cuisses étaient remontées jusqu’en haut de mes flancs où mes tatouages étaient gravés. J’aimais la façon dont il les regardait. Toujours curieux.
Excité, je n’attendis pas plus longtemps, et le pris. Un cri sortit de ses lèvres. La douleur lui avait fait serrer les cuisses et crisper les doigts. Mais très vite, entrainé par mes assaults, il commença à se déhancher. Je me redressai, pris d’une frénésie et basculai Eden. Ses pieds étaient retenus par le siège. Il n’avait plus la possibilité de mouvement et je le faisais sautiller sur mes cuisses. Ses fesses claquaient, rendant tout plus excitant, plus enivrant. Ses halètements se renforcèrent, vite remplacés par des gémissements de plus en plus sonores.
Je n’avais plus de retenu, plus de courtoisie, plus rien de très humain, quand, dans l’ombre, Eden portait les traits de Mathys et réclamait plus de brutalité.
Je cognais plus dru contre ses fesses. Il gémissait plus fort.
La voiture dansait sur notre rythme.
Je répétais le prénom d'Eden comme un mantra.
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