Janvier 2017- 62 Ely

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Je sortis de mon lit en nage. Narcisse me suivait. Cerninos avait sa truffe collée sur mon mollet. Je peinais à reprendre mon souffle. Eden n’était pas là.

Ce n’était pas plus mal. Je n’avais pas envie qu’il puisse me voir dans cet état.

Avais-je crié ?

J’avais pleuré en tout cas.

La porte de la salle de bain passée, j’allumai les lumières. Je clignais plusieurs fois des yeux, avant de pouvoir réaliser la tête que j’avais.

Je me passai de l’eau fraîche sur le visage, encore et encore, pour noyer le cauchemar qui s’accrochait à ma mémoire.

Je n’avais plus rêvé de mes parents depuis des années. Depuis que je les avais enterrés.

Six ans.

Je coupai le robinet et m’assi un instant sur la chaise derrière moi. Mon pantalon y était étendu. Je respirai plus calmement tout en fixant mon reflet dans le miroir. J’étais pâle comme un mort, les yeux rougis, les joues creusées et les cheveux en bataille.

J’avais la tête d’une personne qui allait passer l’arme à gauche.

Putain ! Qu’est-ce que j’ai tout à coup ?

Je me passai les mains sur le visage, puis dans les cheveux.

Il se pouvait bien que les questions de ma jeune lectrice aient pu me retourner plus que je ne l’aurais voulu.

Mes parents ne m’avaient pas fait de mal… mais ils avaient glissé en moi toutes leurs peurs, tous leurs doutes, tout leur peu de confiance en eux. Ils n’avaient jamais su me parler, me soutenir. On ne parlait pas beaucoup de soi à la maison. Les mots d’amour ou affectueux n’existaient pas. Ils m’avaient appris, peut-être malgré eux, à dissimuler mes émotions, à ne jamais trop en montrer, à rester discret. Observer. Me taire. Ils n’avaient jamais eu beaucoup de persévérance. Je ne savais pas d’où je tenais la mienne.

Mes parents avaient rendu les murailles de mon cœur plus solides. J’étais devenu plus observateur, plus silencieux… plus dans mon monde.

Ils ne m’avaient pas fait de mal… Ils m’avaient enchaînée à leur problème. Et un jour, quand j’ai eu envie de vivre ma vie, ma mère est tombée malade et mon père a fait un déni. J’ai ignoré mes envies, comme je l’avais toujours fait, et j’ai pris le rôle de parent. Ma mère devenait ma fille. Une petite fille qui ne savait plus faire grand-chose. Plus tard, mon père a eu son accident. Il marchait de moins en moins bien et la santé de ma mère l’avait atteint. Il avait juste évité d’en parler.

Quand ma mère est morte, le lendemain, je retrouvais mon père, une balle dans la tête, son fusil au sol.

J’aurais voulu être soulagé cette semaine où je les avais enterrés, mais je m’étais résolu, des années avant, à vivre pour les autres. À ne plus jamais penser à moi. à ne plus rêver. Je pensais que ma vie trounerait autour de la leur.

J’étais né dans le vide. J’avais grandi dans ce vide. Je le sentais encore, ce vide…

C’était leur héritage : le vide et les peurs.

Une enfance difficile ?

Quel sens voulait-on comprendre ?

Oui. Elle avait été difficile.

J’avais vécu avec des tournes disques aux vinyles rayés. J’avais été abusé, plusieurs fois, par un homme et ils ne l’avaient jamais remarqué. J’avais eu besoin de soutien, d’une main derrière moi pour me montrer un chemin plus simple, plus lumineux. J’aurais tellement voulu qu’ils m’aident à rejoindre la lumière, mais ils ne voyaient que leur propre passé, leur propre enfance difficile.

C’étaient des parents qui ont connu les coups, la tromperie et l’ignorance, pouvaient-ils donner plus à leur enfant ? Plus qu’un toit, plus que des sourires de bêtes blessées ?

Je replongeai mes yeux dans le miroir et contemplai mon reflet.

Je les détestais d’être ceux qu’ils étaient, m’avouai-je enfin. Bien sûr que j’ai eu une enfance difficile. J’étais souvent seule, avec les chiens. Seule dans ma chambre. Seule avec le monstre. Seule avec mes peurs. Seule avec mes rêves…

Seule…

Je n’avais plus envie d’être seule.

Ni seul.

Pourtant, j’avais ce vide toujours en moi. Un héritage de mes ancêtres ?

Je sortis de la salle de bain pour me rendre dans la cuisine et ouvris le frigo.

J’attrapai n’importe quoi avant de me faire un plateau que je posai sur la table.

Il était trois heures du mat’, et je m’empiffrai pour combler le vide et effacer les douleurs du passé. Je n’avais plus le temps pour elles.

Plus le temps pour avant.

J’avais trop à faire avec le présent.

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