Mars 2017 - 67 Ely

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Eden discutait en avant avec Armand, alors que je sentais Mathys s’approcher dangereusement dans mon dos. Il était là pour le week-end et dormait chez l’ami d’un ami. Mélodie ne semblait plus aussi craintive que par le passé. Elle laissait de l’air à son fils. Peut-être trop. Je savais de Max que plusieurs disputes avaient éclaté au sujet de cette surprotection qu’exerçait Mélodie sur Mathys. Je la comprenais totalement. Ce gosse avait une curiosité monstrueuse à assouvir et il avait la bougeotte. Le connaissant, les remparts que sa mère avait laissé dresser avaient dû le rendre fou. On ne met pas un Mathys en cage avec des règles pour un ado lambda. Non, ce n’était pas sérieux. Je l’entendais hurler : « Je ne suis pas mon âge. » Merde ! Ça va bien au bout d’un moment ! ». Je l’entendais jusque dans mes tripes. Et je ne pouvais pas l’ignorer, pour la simple raison qu’il était raisonnable et responsable. Sauf avec moi… Quoi qu’il n’eût jamais rien tenté.

Je le sentais qui scrutait chaque part de moi, imprimant le tout dans sa mémoire. J’aurais pu le deviner au bout du monde ce regard.

— Pourquoi tes « conquêtes » ont toujours un quelque chose de moi ? demanda-t-il, après un lourd instant.

Il se tenait à quelques pas de moi. Ses potes se trainaient un peu plus loin, alors que notre groupe habituel marchait comme s’il s’agissait de raccompagner « Mémé » chez elle.

J’aimais la tranquillité de mes pas qui me menaient sagement sur les bords de falaises. Je me ressentais l’agilité d’une chèvre des montagnes. À tout instant, j’imaginai des ailes sortir de mon dos pour caresser les cieux.

— Parce que tu es physiquement mon genre, répondis-je sans me tourner vers lui. Mais ce n’est pas une nouveauté. J’aime les yeux verts. J’aime les boucles. J’aime les petits gabarits. Et ça, même avant que tu sois né. Le premier à correspondre à ce canon de beauté s’appelait Quentin. J’étais en quatrième. Et toi, tu n’étais pas né.

Il émit un ricanement sombre.

— Ça ne me blesse pas, Ely. Que tu sois né dix-huit ans avant moi.

— Et ce n’était pas le but.

Mensonge.

Que devais-je faire pour l’éloigner de moi, pour lui faire entrer dans la tête qui ne se passerait rien ? Mais plus je le répétais, plus il grandissait et plus il "m’aimait ?". J’avais du mal, parfois, à rester trop près de lui et à ne pas le toucher. Mon corps était habitué à sa présence, à ses effleurements et à la chaleur diffuse de sa peau.

— Eden est mignon. Mais je le trouve trop doux pour toi. Caractériellement parlant, c’est un peu mou. Mais s’il est encore là, c’est qu’il doit avoir quelque chose de satisfaisant.

Je m’arrêtai brusquement. J’entendis ses semelles râper sur le sol. Sans me retourner, je savais qu’il m’avait évité.

— Tys. Ce n’est pas un bougie d’ambiance. Du respect, s’il te plait. Je ne crois pas me permettre de critiquer tes « conquêtes » ? Ni les trois amis que tu as ramenés avec nous.

— Tu leur reproches quoi ?

— Ils sont mous du genou. Non ?

—Ils n’ont pas l’habitude. Laisse-leur une chance de te prouver qu’ils en valent la peine.

— Pareil pour Eden. Laisse lui te prouver qu’il est parfait pour moi.

— Si tu veux. Je sais faire des efforts.

— T’es pas possible. Tais-toi et marche.

J’avançai plus vite pour rejoindre Jeck qui avait jeté son sac sur une restanque. On lèverait le camp ici. Tys laissa de la distance entre nous, mais je sentais toujours son regard sur ma nuque. Il détaillait mon nouveau tatouage ou ce qu’il en voyait. Il en cherchait certainement la forme sous mon pull. C’était une chaine fissurée où du lierre s’entortillait. Il y avait une inscription sur la chaine : « La force, brisera. ».

Elle brisera les chaines qui me retiennent encore en arrière. La force me fera avancer là où je dois aller.

*

Après un repas à base de sandwichs et de soda, les potes de Mathys nous proposèrent de nous présenter une chorégraphie.

— Ah ! Mais c’est vrai que tu danses, Mat.

Il n’y avait que Jeck pour appeler encore Mathys comme ça. Je n’étais pas fan. Je préférai de très loin, Tys. Sans doute parce que c’était moi qui lui avais donné.

— T’es sérieux, mec ? Il danse depuis qu’il a quatre ans, lança Armand.

Armand avait connu Tys avant nous. Il était le copain d’Evack au lycée. Evack qui n’était pas venu, préférant se morfondre dans son appartement.

Je m’installai à côté d’Eden qui observait le petit groupe de danseurs se mettre à l’aise. Il frissonna en voyant le plus grand retirer son pull. Les autres restèrent en habits moulant. Louise, la seule fille de leur troupe, ayant eu le courage de faire du camping, se plaça à côté de Mathys. Elle déposa sa main sur sa taille. Un instant, je ne vis que ça. La finesse de sa taille et la musculature de ses épaules carrées.

Dani, celui torse nu, sortit un wakman de sa poche et lança un CD. C’était quoi encore ce truc ?

Une musique entre le classique et l’électro glissa dans l’air, emportant avec elle les premiers mouvements.

Je ne lâchai plus Tys du regard. Incapable de fermer les yeux sur ce corps dansant. Il portait ses habits du soir, moulant à en faire péter les coutures. Trop moulant pour que j’ignore ce qu’il cachait sous ses jeans à coupe droite. Je déglutis bruyemment, avant de me tourner vers Eden. Il était captivé par les pas qu’enchainait le petit groupe. Il n’avait pas entendu…

Doucement, je m’accoudai au sol, pour prendre de la distance et ne pas me faire prendre à rougir devant les déhanchés envoûtants de Tys.

Quand son corps s’arqua en arrière, j’admirai la force de ses jambes et la beauté de ses mouvements, toujours plus séduuisant que jamais.

Plusieurs fois, Louise et lui se tournèrent autour, dans une tension palpable. Je comprenais que danser, vraiment, ça ne signifiait pas bouger sur une piste dans un bar, coincé entre une dizaine d’autres corps. Non. Il y avait une histoire derrière chacun de leurs gestes. Ce n’était pas juste le besoin de libération et de défoulement que je cherchais, parfois, en soirée. C’était l’expression de ses sentiments.

Mathys me parut plus vieux encore. Il était certain de chacun de ses mouvements. Il porta Louise. La souleva. La rattrapa. Il cherchait à l’avoir elle, dans un entêtement violent et fou, tout en rejetant, encore et encore les avances d’Andréas. Le jeune homme, brun aux cheveux courts. Il avait le même gabarit que Tys et jouait un amant en prise au désespoir. Il essayait de faire entendre raison à celui qui le regardait à chaque fois qu’il rattrapait une Louise plus flottante, plus évasive.

Leur danse me criait : « Ne fuis pas ce que tu désires ! Arrête de courir après des illusions ! « N’aies pas peur et donne-moi la main ».

J’interprétai ainsi l’histoire de leur mouvement.

À la fin, Mathys avait lâché le bras de Louise et s’était blotti dans ceux d’Andréas.

J’en tremblais.

C’est quand ils nous saluèrent et que les applaudissements retentirent que je remarquai ma position. Je m’étais recroquevillé, une jambe rabattue sur mon torse, l’autre pliée, les bras enroulés autour de ma cuisse et la tête posée sur mon genou. J’étais presque en boule, le corps complètement crispé et la mâchoire serrée.

Je venais de me manger une réalité en pleine face et c’était suffisamment douloureux pour que j’ai envie de hurler. Je ne le fis pas. Ou peut-être que si.

Je hurlais sur les débris de mes principes.

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