Mai 2017 -71 ely
Un week end sans Eden, ça me faisait bizarre. Sans doute parce que je le voyais tous les jours. Je m’habituais à notre couple. Je m’habituai au fait que nous soyons fiancés. Je réalisai qu’un Eden dans un quotidien, c’était agréable.
Je le désirai. Il me comprenait. C’était facile. Sans cri. Sans incompréhension. Eden était ouvert d’esprit. Il était doux, artiste. Je l’adorai.
Je jouais avec Clara en écoutant Linda chanter les dernières paroles que j’avais écrites pour le groupe. Quelque chose sur l’acceptation d’être une étoile. Bien sûr, il y avait une histoire derrière la lumière de cette étoile. Je parlais avant tout de ce que je commençai à vouloir pour moi, pour ma sérénité, mon équilibre mental et pour mon corps… Certaines questions trouvaient leur réponse après des années à tourner en rond.
En voyant Pola lever les bras en l’air avec un grand sourire, je devinais qu’un membre des Torrens venait d’arriver. J’imaginais Paul ou les parents d’Evack. S’il s’agissait d’Adès, Pola aurait usé d’un regard séducteur.
Mais à l’évidence, je me trompai. Un jeune homme avec une veste de motard, les cheveux enfermés dans une longue tresse épaisse, l’embrassa sur les joues. On était Samedi. Qui était-ce ?
L’homme se retourna. J’en crus à peine mes yeux. Mathys. Ce n’était pas sa dégaine habituelle. Il y avait un truc de plus. Un quelque chose de dangeureux.
Mathys venait passer le week-end à Toulon. Était-il prévenu que l’appartement d’Evack était un vrai taudis ?
Je quittai Clara dans son étui et portai Gueguette sur mes genoux. Je commençai à gratter. La voix de Linda prit un ton plus chaud.
Mon regard tomba dans un vert profond et hypnotique. Un verre à la main, Mathys me contempla. Pas de sourire. Pas de hochement de tête pour me saluer. Il était n’importe quel inconnu dans la salle. Accoudé au comptoir, une jambe fléchie, il ressemblait à un homme.
Non.
C’était un homme.
Je voyais les fissures qui grillageaient ses yeux trop aspirant. Et je me demandais depuis quand il les portait ?
La soirée se poursuivit. Nous arrivions à la fin de notre représentation. Mathys avait trouvé Evack affalé sur une banquette et depuis, ils discutaient ensemble. Je sentais parfois son regard sur moi. Me forçais à ne pas me retourner vers lui.
Pourtant, je dus m’y résoudre lorsque Pola agita les bras vers moi en me pointant leur direction.
Evack venait de s’écrouler parterre. Mathys le souleva et le coinça contre lui et la table pour le garder debout. C’était troublant, l’expression qu’il affichait. Je donnais Gueguette à Linda avant de me précipiter vers eux. J’attrapai Evack par la taille, plaçant son bras autour de mon épaule. Mathys m’imita.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demandai-je.
— Il a voulu aller pisser, mais il s’est rétamé. Je te laisse comprendre tout seul pourquoi ?
À l’odeur, ce n’était pas compliqué de comprendre qu’il avait bu jusqu’à s’écrouler. C’était son nouveau mode de vie. Ce bourrer la gueule pour s’anesthésier l’esprit.
On le porta jusqu’à son appartement. Heureusement, il se situait juste au-dessus du Hongroie. On le coucha, retirant ses chaussures et son pantalon. Je tirai la couette sur les tremblements de son corps. Ça me faisait mal de voir mon pote en boule, les poings serrés et les larmes lui coulant sur les joues.
— Tu as soif ? lança Mathys en shootant dans des cannettes.
Je ne dis rien et le suivis dans le salon. Il se perdit un instant dans la cuisine et revint avec deux bières.
— C’est tout ce que j’ai trouvé.
Il m’en tendit une. Je la pris.
Je n’aimais pas l’alcool, mais j’avais soif. Un verre d’eau aurait suffi, mais j’avais envie de voir comment Mathys buvait une bière. J’aurai du l’en empêcher. Mais j’étais pas assez con pour penser qu’il n’en avait jamais bu.
Quand il la décapsula, je n’eus pas de doute qu’il en avait déjà bu un paquet. Quand il l’apporta à ses lèvres, dans une attitude nonchalante, et qu’il me jeta un coup d’œil, je sus qu’il avait dû en faire tourner des têtes. Sa façon de tenir sa bouteille d’une main ferme laissa un frisson s’écouler dans mon dos.
Assis l’un en face de l’autre, lui sur le canapé, moi dans le fauteuil, nous écoutions les pleurs provenant de la chambre. Les sommeils d’Evack étaient agités de souvenirs.
Mathys soupira, impacté par l’attitude d’Evack. J’étais fatigué de voir mon pote dans cet état.
Je laissais courir mes yeux sur la guitare que Zéphyr avait laissée derrière lui. Mathys la regarda aussi, puis la prit et commença à gratter dessus. Je reconnus « i’ll stand by you » de Predenter.
Je l’écoutais, plus à l’aise que je n’avais l’habitude de l’être quand il était à proximité. Sans doute parce que je le trouvai étrangement calme.
Il termina le morceau en fredonnant, puis sourit en disant qu’il préférait le violon. Je la lui pris, me surprenant à esquisser un sourire à mon tour.
Je réinterprétai un vieux son que je modifiai en captant le regard de Tys sur moi. J’aimais ça, qu’il me regarde, même si je savais ce que ça signifiait. Je ne l’encourageai pas pour autant.
Avant que je ne m’en rende compte, je chantai.
Regarde le ciel, aujourd’hui.
C’est la merde, j’te le dis.
Il faut bouger avant d’être trempé, avant que tes formes me condamnent à t’aimer.
Courrons ensemble une dernière fois, il sera temps de nous quitter sur le bitume, un jour de soleil ardant.
— Tu lui fais des concerts privés à lui aussi ?
Mathys posa sa bière sur la table basse, une jambe pliée sur son torse et un bras soutenant sa tête inclinée.
Il parlait d’Eden. L’animosité dans sa voix lui était toujours destinée.
Je ne répondis pas. Il arqua un sourcil. Il lui était si facile de comprendre ce que je lui cachais. Et en même temps, ne venais-je pas de tout lui dire en chantant ? Qu’est-ce que je foutais ?
— Bien sûr que tu ne lui en as jamais joué en dehors du Hongrois… Ely. Un jour, à force de jouer le gros dur, tu vas finir par craquer. Tu ne veux pas arrêter cette comédie et accepter que tu m’aimes toi aussi ?
— Dans tes rêves, Tys.
— Dans mes rêves… ? Crois-moi, tu n’aimerais pas y passer quelques minutes dans mes rêves. Tu n’apprécierais pas voir ce qui se joue à l’intérieur.
Il fit disparaître le contenu de sa bière et approcha près de moi. Il se pencha au-dessus de mon visage. Je me raidis. Il sourit en coin. Ça l’amusait, le petit con !
— Je trouve que tu mets du temps à quitter Eden.
— Peut-être parce que je n’en ai pas l’intension ?
— Peut-être pour te rassurer… Dis-moi Ely, combien me ressemble-t-il une fois dans le noir ? Tu as bien dû le remarquer depuis.
— Qu’est-ce que tu vas encore imaginer ?
J’abandonnai la guitare et me redressai, prêt à quitter le salon et à vérifier une dernière fois le sommeil d’Evack avant de partir, mais Tys me bloqua l’entrée de la chambre. Son regard hypnotique me fit tourner la tête et pendant un laps de temps, je ne parvenais plus à bouger ou même à respirer. Je retenais mon souffle envahi par Mathys et la puissance incompréhensible de ses putains d’yeux vert. C’était quoi cette supplique dans le noir de ses prunelles. Pas son genre.
— Imaginer ? Tu sais, je n’ai pas une imagination si complète. Moi, ce que je te demande, c’est combien de fois tu m’as baisé en utilisant son corps ?
Mes poings se contractèrent d’eux-mêmes.
Ce mot dans sa bouche, cette vulgarité, cette demi-colère à peine teintée d’envie me traversa la raison.
Putain. Évidemment qu’il n’était plus un gamin.
Qu’est-ce que je croyais ?
— JAMAIS !
Mensonge.
— À quoi tu penses ? Tu crois qu’avoir dix-sept ans ou vingt, ça changera quoi que ce soit entre toi et moi ? Mathys, c’est quand que tu vas redescendre de tes illusions ?
Avant qu’il n’ait le temps de dire quoi que ce soit d’autre, je marchai vers la porte et parti, furieux.
Que venait-il de dire ? Pourquoi l’avait-il dit ? Mathys ne pouvait pas parler comme ça ! Mathys n’avait pas ce putain de langage. C’était… C’était…
Je n’arrivais pas à le dire.
Fais chier.
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