Juin 2017 - 73 Ely
J’entrai dans la voiture de Max, direction un salon du livre à Montpellier, quand je vis Mathys sur le siège arrière. L’espièglerie dans son regard me cloua et, quoi qu’il fichât là, je m’attendais au pire. Depuis notre interaction le mois dernier, je ne l’avais pas revu. Et comme pour me rappeler cette fichue soirée, « I’ll Stand be you » passait à la radio.
Max avait dû voir mon visage se décomposer parce qu’il se sentit obligé de me dire ce que faisait son beau-fils avec nous. Je retenais moins bien mes émotions.
— Mathys doit aller à une conférence, je lui ai proposé de venir avec nous, vu que c’est dans la même ville.
J’avais plus de mal à faire comme si Mathys n’était pas un jeune homme captivant et ô combien énervant.
Je haussai les épaules tout en m’installant sur le siège passager.
— Salut, dis-je seulement.
J’étais un peu fatigué. J’avais eu du mal à trouver le sommeil la nuit dernière. Je n’arrêtais pas de me poser dix milliards de questions, à commencer par : « est-ce que la psychiatre me délivrera un certificat de dysphorie des genres » ?
Je trouvais aberrant de devoir demander l’autorisation à une femme, qui était certes ma psy depuis des années, sur un sujet qui m’était intime et personnel. Putain, j’avais trente-quatre ans. Évidemment que je savais ce que je faisais.
Ça m’avait renvoyé des années plutôt, devant une gynécologue, et à des douleurs de règles sauvages, à qui j’avais demandé, presque supplié, de me retirer mon appareil génital. Plus de règle, plus de douleur. Plus de sang. Pas d’enfant surprise. Tout ce qu’elle avait été fichue de dire, c’est : « Vous êtes encore jeune. Vous risquez de changer d’avis. Et puis, penser à votre conjoint. Il veut peut-être des enfants ».
Si je ne m’étais pas senti humilié et rabaissé, je lui aurais craché : « S’il veut des enfants, bien à lui de se trouver une femme pondeuse. Je ne retiens personne ».
J’avais entendu, dans ses explications, qu’une femme devait être mère et que ce n’était pas de son choix, mais de celui de son conjoint. J’étais reparti avec un stérilet qui m’avait gardé au lit trois semaines. Que j’avais dû faire retirer. Ma souffrance, elle n’en avait rien eu à foutre.
Est-ce que les hommes cis avaient le même problème quand ils allaient se faire une vasectomie ?
Avaient-ils droit aux mêmes murs se dressant devant eux ?
C’était quoi cette manie d’infantiliser les gens, de leur faire croire qu’il n’avait pas la maturité pour prendre une décision qui touchait leur bien-être ?
Une décision, ça se réfléchit. Tant pis pour ceux qui ne le font pas. Mais putain, ça faisait dix ans que je me sens entre deux. À peine six ans quand j’ai pu mettre un mot sur ce que j’étais. Et trois pour me rendre compte que mon corps n’avait pas suffisamment changé pour que je sois tout à fait moi-même.
Max commença à me faire un topo du salon. L’entrevue que j’aurais à 15 heures et le nombre de livres qu’il avait dans le coffre.
J’écoutais distraitement et somnolant.
Mathys restait silencieux. Je captais la ferveur de son regard posé sur moi. J’aurais menti si j’avais dit ne pas aimer ce que son regard me procurait quand il le faisait glisser sur moi. Je me sentais étrangement bien et toujours parcouru de frissons.
La main sous le menton, je m’endormis, bercé par le ronron de la voiture. Je sentis le siège s’allonger. Sans ouvrir les yeux, je savais que Mathys en était la cause.
Sa voix flotta autour de moi, alors qu’il parlait à Max. Je n’en compris pas un mot, sombrant vers un monde de rêve.
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