Juin 2017- 75 ely
J’étais encore à réfléchir comment j’avais fini dans le jardin de Max le ventre plein et prêt à apprécier une nuit sous les étoiles d’Aubagne. Max était faible quand il s’agissait de sa fiancée, mais moi, comment je m’étais démerdé à assurer à Mélodie que je serais là pour le dîner ? Qu’est-ce que je fichais dans le même secteur que le seul type que je devais éviter ? Qu’est-ce que je voulais à la fin ? Je n’en savais tellement rien. J’étais à côté de mes principes, obnubilé par cette soirée, par le visage de Tys trop près du mien.
Je jouais avec le xylophone que Lucien m’avait prêté. Ce gamin était génial. Plus il grandissait, plus il était attentionné. Sa sensibilité serait-elle un frein quand il serait plus âgé ? Cette question semblait peser à ses parents. Je me la posai aussi. Les gamins empathes comme Lucien se font souvent bouffer quand ils deviennent adultes. Une seule personne toxique et ce serait une tragédie.
La nuit se chargeait en humidité. Un instant, je regardai ma montre. Presque minuit. J’avais envoyé un message à Eden. Il m’avait appelé en riant de moi et de ma faiblesse face à Mélodie. Il viendrait me récupérer demain matin. J’avais hâte de le retrouver, hâte qu’il me fasse oublier ce regard qui trainait sur moi. Tys s’installa sur le transat à côté du mien, la tête basculée vers le ciel. En quelques secondes, la mélodie du xylophone changea, prenant des notes plus dramatiques… peut-être plus romantiques aussi. Je me mettais à parler à Tys dans un langage que nous connaissions bien, lui et moi. Celui de la musique. Il posa sa joue contre son épaule. Son regard habituellement inquiétant et hypnotique était étrangement doux, ce soir. Il me sourit comme s’il savait que ce son lui était destiné.
— C’est beau, dit-il.
Dans le noir, sa voix grave était encore plus terrible. Plus envoûtante. J’avais envie de l’entendre chanter. Ce grondement qui sortait de lui, mais qui ne portait que de la douceur et un désir non dissimulé.
Pourquoi ?
Je fermai les yeux un instant, voulant croire à un nouveau rêve maudit.
— Ça me plait beaucoup, mais ce n’est pas la première fois que j’entends ce son. Tu l’as déjà joué quand tu te pensais seul l’année dernière, au manoir.
Il savait que c’était pour lui.
Il savait que je le ressentais à distance.
Je n’avais jamais besoin de me retourner pour savoir qu’il était là. Et qu’est-ce que ça me faisait chier ! C’était admettre que je ressentais plus que je ne devais pour un gamin de dix-sept ans.
Je restais enfermé dans un mutisme pesant et continuais de faire vibrer mes sentiments changés en note.
— Tu ne devrais pas le faire espérer, Ely. Eden est un chic type et à l’évidence, je suis celui qui te fait ressentir.
À l’évidence ?
Si tu savais, Mathys. Si tu savais comment je vais t’éloigner de moi une bonne fois pour toute, est-ce que tu joueras encore les arrogants ?
Il ne savait pas que j’étais fiancé. Je n’avais pas de bague. Eden et moi avions opté pour des bracelets en argent gravés à la date de nos fiançailles. 02.06.2017. À peine deux semaines.
Adès, Pola et Evack étaient les seuls au courant. Et bien sûr, toute la famille et tous les amis d’Eden. Il aurait pu faire dérouler une banderole dans le ciel, pour repeindre le ciel de nos deux noms.
Je continuai à jouer jusqu’à ce que Mélodie nous rejoigne. Sa poitrine était plus gonflée que d’habitude. Un nouveau soutien-gorge ? Je les quittai des yeux.
Mélodie me demanda des nouvelles d’Evack.
Je mentis un peu.
— Ça va un peu mieux. Il évacue comme il peut.
On ne parlait jamais vraiment de Zéphyr ou du fait que son départ avait anéanti son frère… Son amant. On faisait semblant de croire qu’Evack était en vrac pour un sujet tout autre. Lequel ? Personne n’aurait pu lui donner un nom.
On fermait les yeux. On disait que ça passerait. Mais on savait tous qu’il coulerait indéfiniment. Evack avait perdu sa bouée de sauvetage, la seule personne capable d’équilibrer la puissance de ses colères.
— L’été approche à grands pas. Il retrouvera le sourire. Je lui donne deux mois pour se requinquer.
J’esquissais un sourire qui devait plus ressembler à une grimace, parce que mieux que moi savait combien c’était faux.
Mathys regarda sa mère sans la juger, parce qu’il savait qu’elle savait. Mais son visage resta vide d’expression.
Quand il plongea ses yeux verts dans les miens, j’y lu une profonde souffrance. Comme s’il comprenait l’état dans lequel se trouvait Evack.
C’était inconcevable qu’il puisse en deviner le quart, alors j’ignorai ce qu’il projetait à l’intérieur de moi. Je repoussai ce qu’il me disait en silence.
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