Adès retira les chaussures d’Evack affalé sur son lit. Il était défoncé. Comme souvent. Ça n’irait pas en s’arrangeant, quoi que pensait sa famille. Ça ne lui passerait pas. Jamais. Il continuerait à se foutre en l’air, à se blesser pour atteindre Zéphyr. Pour le faire souffrir. Mais Zéphyr ne voyait absolument rien de sa descente.

Je m’assis sur le lit d’Evack, me passai une main sur le front, tout en me demandant ce qu’on allait faire de lui.

— Le mois prochain, Eden part avec son frère en Europe de l’Est pendant un petit mois. Je peux le garder avec moi, proposai-je.

Adès avait commencé une reconversion dans l’immobilier et je savais qu’elle y mettait beaucoup d’ardeur.

— Tu ne tiendras pas. Au rythme où il enchaine les boissons et je ne sais quoi d’autres, il va finir par te faire péter les plombs. La dernière fois, j’ai failli l’étrangler.

— On ne dirait pas comme ça, mais je suis plus solide qu’un bon paquet de personnes.

Adès s’allongea contre son petit frère, retira ses mèches de ses tempes avant d’y poser un baiser.

— Ça me tut de le voir comme ça, Ely. C’est pire que pendant la période où on était à la fac avec mes frères. Je revenais parfois les week-ends. Mes parents ne savaient plus comment le prendre. Moi non plus. Je savais que ça avait un lien avec Zéphyr, mais j’arrivais pas à me l’entendre dire. Il se mettait minable. Il se faisait du mal. Enfin, tu n’es pas aveugle. Tu vois bien les cicatrices sur ses bras. Il peut les dissimuler sous ses bracelets, on les voit toujours. Je suis terrifiée à l’idée qu’il recommence à se scarifier. « À faire sortir le mal » comme il disait.

Elle posa son front sur celui d’Evack. Il dormait et de grosses gouttes perlaient sur sa peau.

— Tu n’imagines pas comme j’en veux à Zéphyr d’être parti comme ça.

Elle essuya une larme.

Il a juste disparu, en laissant deux lettres à la con derrière lui. Je crois que j’aurais tout accepté pour ne jamais plus voir Evack dans cet état. Ils auraient pu partir au bout du monde, refaire leur vie. Nous envoyer des cartes postales en faisant croire qu’ils étaient à deux endroits différents. L’un en Californie, l’autre en Oregon. On aurait compris qu’ils étaient ensemble, peut-être mariés. On l’aurait accepté, même en sachant qu’ils ne seraient plus vraiment dans notre vie. Mais ça…

Adès se recroquevilla, cachant son visage dans sa main.

Elle ne parvenait plus à aligner un mot. Alors je m’approchai d’elle et caressai son dos.

Ses sanglots envahir la chambre. Zéphyr n’avait pas abandonné Evack, il avait fait un trait sur nous tous… Par peur d’être heureux un jour. Car il aurait pu l’être.

Ils auraient pu l’être, si Zéphyr avait attendu qu’Evack l’emmène au bout du monde.

Mais voilà.

Ils étaient frères.

De sang.

Ils avaient vécu leur enfance ensemble.

Pour Zéphyr, cet amour ne devait pas exister.

Je suis sûr que ça partait d’une bonne intention. Mais voilà, ça avait flingué tout le monde. Margot et Carl ne disaient rien. Qu’y avait-il à dire ? La perte d’un enfant, vivant ou mort, laissait de vive blessure.