Juillet 2017 - 81 Ely
Je dépliais encore une fois la lettre que Zéphyr avait envoyée à ses parents et qu’il m’avait adressée. Une lettre manuscrite. Loin des lignes impersonnelles qu’il envoyait à ses parents, une fois par mois.
Le tampon provenait de Thaïlande. Il n’y avait été que de passage, lui ou quelqu’un d’autre. Je le devinai parce que le timbre était japonais, comme le papier qu’il avait utilisé. Un papier spécial qui se faisait envoyer par sa correspondante. C’était là-bas qu’il était. Est-ce que Margot l’avait deviné ?
Elle avait réceptionné la lettre avant de me la remettre. Il n’y avait que nous deux à l’avoir eu. Et seulement moi qui en connaissais son contenu. Margot ne voulait pas savoir. C’était à moi et pour moi.
« Ely,
Je sais que tu n’arrêteras jamais de m’envoyer des messages. Ce sera la seule fois où je te répondrai, pour la raison qu’il faut que j’oublie celui que j’étais, que je me construise une nouvelle vie. Et cela, même si l’ancienne me hante encore. J’ai espoir que le temps atténue sa douleur et la mienne.
Je ne peux pas.
Je n’y arrive pas.
Je l’aime.
Fort. Je ne saurai pas te décrire la force de mon amour pour lui. Mais il y a ce sang entre nous. Cette enfance qu’on a vécue. Nous n’aurions jamais dû nous aimer de cette façon.
Tu n’imagines pas un instant combien j’ai supplié le ciel, pour qu’Evack soit un enfant adopté. Il ne l’est pas. Il n’a pas été échangé à la naissance. Non. Il est mon frère, mon sang. Je n’ai jamais eu le droit de l’aimer comme un homme. C’était mal.
Mais je l’aimerai toujours, quoi que je fasse, avec qui que je sois.
Je l’aimerai dans mon cœur, dans mon corps, et dans mon âme.
Un jour, dans une autre vie, nous aurons droit à notre histoire.
Je suis si désolé qu’il ne puisse pas le supporter. Crois-moi, ce n’est pas quelque chose d’évident pour moi non plus. Il est un manque constant.
Ely. Protège-le de ce mal que je lui ai fait. Dis-lui que le bout du monde n’aurait pas changé ma culpabilité envers notre famille, envers lui. Dès le premier instant, quand j’ai ressenti ce mouvement puissant du cœur, j’aurais dû le condamner. Au lieu de ça, j’ai laissé Evack m’embrasser. Je ne l’ai pas arrêté. Au contraire. Je l’ai embrassé plus fort. Je l’ai approché de moi. Je l’ai senti. Partout. Et ensuite, j’ai fui pour la première fois. La fac. Je croyais nous sauver. J’ai eu tort. On en a souffert.
Mais aujourd’hui, nous ne sommes plus si jeunes.
Peut-être qu’un jour ce sera trop dur d’être loin de lui, et je reviendrai nous bousillant un peu plus.
Ely, je me suis marié à mon amie Yuko. Pas par amour. Elle est malade et elle voulait un bébé. Moi, je voulais une raison de rester loin d’Evack. J’ai des responsabilités de mari et bientôt de père.
Garde mon secret. Ne le lui dis pas. Jamais.
Zéphyr. »
— Nankurunaisa, sifflai-je en repliant la lettre.
Eden passa la tête par l’embrassure de la porte. J’étais assis sur le tapis de la bibliothèque.
— Ça veut dire quoi ?
Mon regard croisa le sien.
— « Avec le temps, tout se règle. »
Comment je savais ça ? Je l’avais appris lors d’un salon. Grâce au artbook d’une jeune mangaka Toulousaine.
— Un problème ?
Il s’avança avec une pile de T-shirts à la main. Il terminait de boucler ses valises.
— Je ne saurais pas te répondre, mon Ange. En est-ce un ou non ? Disons que c’est une décision qui a été prise et que deux personnes en pâtissent.
— Evack ?
— Pas envie d’en parler. Ce ne sont pas franchement nos affaires. Le soutenir, ne veut pas dire décoder son esprit. Tu as besoin d’aide ?
Je pointai ses valises dans le couloir et enfouillis la lettre dans ma poche.
— Bientôt terminé, sourit-il. Mais tu peux nous préparer un bon repas.
— Asiat ou mexicain ?
— Les deux ?
Je ris en lui donnant une pichenette sur le front.
— Choisi.
Il eut son petit sourire coquin et je compris avant de me lever qu’il me proposait tout autre chose.
Plaqué contre le mur, je laissais les lèvres d’Eden me gouter.
— J’ai envie de toi, El.
C’était vrai. Il avait souvent envie de moi. Et j’avais envie de lui, surtout quand dans la pénombre, je voyais deux hommes m’enlacer. Je ne savais plus lequel me rendait dingue.
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