Aout 2017-85 Ely
La porte était entrouverte. Evack avait dû vouloir la flanquer, et elle avait dû rebondir. Ce qui signifiait qu’il n’avait pas perdu de temps.
Mathys me devança et entra dans la chambre où des gémissements nous avaient fait croire au pire.
À sa suite, je pénétrai dans la chambre obscure. Si Mathys semblait voir où mettre les pieds, je me fracassai l’épaule contre le mur en glissant sur des vêtements. Ce qui eut l’obligeance de nous apporter un peu de lumière alors que je shootais dans une lampe au sol. Il faudrait faire une machine.
J’eu à peine le temps de me redresser et d’attraper les hanches d’un Evack complétement nu, et Mathys, de tirer les draps sur le gamin de quinze ans avant que quoi que ce soit ait pu se passer.
— Il a quinze ans, s’époumona Tys vers Evack.
Plus pour le faire réagir que pour l’engueuler. En soi, mon pote n’avait certainement pas demandé l’âge de ce… Je me laissai un instant, pour regarder l’adolescent.
Merde. Je m’y serai fait avoir aussi. Il était plus grand que Tys. Plus en chair et en muscle. Des cheveux courts à la militaire et une barbe de quelques jours sur un visage déjà impacté par le temps.
Impossible qu’il ait quinze ans, pensais-je. À quinze ans, on n’avait pas cette gueule-là.
Mathys capta ma surprise et comme s’il avait lu en moi, gronda :
— Il a quinze ans et il est tout ce qu’il y a de plus vierge.
Je m’étonnais de sa remarque, lui qui prônait ne pas être un âge. Aurait-i compris, ou cela s’appliquait seulement à "monsieur"?
— Mathys ! cria le gamin.
— Quoi ? J’ai tort ?
— Le dis pas comme ça. C’est humiliant.
— D’être vierge ? Nous l’avons tous été un jour. Il n’y a aucune honte à l’être. Et surtout pas à quinze ans.
Il secoua la tête comme le ferait un grand frère.
— Léon, quoi que tu ais décidé cet été, fais-le avec une personne de ton âge. T’as pas idée de ce que tu allais faire.
— Quoi ? Et c’est toi qui dis ça ? T’as seulement deux ans de plus que moi et tu te tapes des vieilles de quarante ans.
— Léon ! rugit Mathys. Ferme-là. Ça ne regarde que moi. Et pour ta gouverne, je vérifie à qui j’ai affaire avant de baisser mon caleçon.
Je savais Mathys actif, mais l’annonce me déplut au plus haut point. Quarante ans ? Vu sa tête et le regard qui venait de me lancer, c’était vrai.
Evack tenait à peine sur ses pieds. Il était dans le vague. Je n’étais même pas sûr qu’il suivait la conversation. Je le tirai vers le salon, ramassant son pantalon.
En lui enfilant, j’écoutais la dispute dans la chambre d’ami. Je n’avais pas envie de m’en occuper. Mais j’étais conscient qu’il y avait deux mineurs, dont un qui avait failli finir à la casserole.
— Mais merde ! C’est mon choix !
Léon sortit de la chambre, rhabillait. La contrariété mangeait son visage.
— Pourquoi tu ne veux pas comprendre, Léon ! Un partenaire sexuel, c’est important, même pour une putain de nuit. Si en plein milieu, tu veux arrêter et que l’autre ne veut pas. Tu y as pensé ?
— Tu crois que j’étais à poil pour quelle raison ? Tys, j’en avais très envie.
— La première fois, ça fait mal, s’époumonna Mathys.
Il avait raison.
— Et alors ?
— Et alors ? Tu me poses vraiment la question ?
Il pointa du doigt l’épave qu’était Evack.
— Tu crois qu’il serait allé avec des pincettes dans son état ? Il cherche de la baise, pour oublier ! Il cherche à se noyer dans le sexe le plus cru ! Tu veux te sentir comme de la merde pour ta première fois ? Sans douceur, avec un mal de chien et l’incapacité de te redresser sans serrer les dents ?
Tys se passa la main sur le visage. C’était du vécu. Il connaissait cette douleur dont il parlait à Léon. L’avait-on abusé ? Serait-ce si étonnant qu’il se soit fait prendre sans son consentement ?
— Ne te bute pas. J’ai juste envie de t’éviter les connards, d’accord ?
Il ne faisait absolument pas ses dix-sept ans et ça me troubla plus qu’à l’accoutumée.
Cette façon qu’il avait de vouloir protéger ce gamin, qui était à peine plus jeune que lui, me le découvrit sous un nouveau jour. Je pouvais dire ce que je voulais, il n’avait pas grand-chose à voir avec les jeunes de son âge. Il avait cultivé sa maturité et là, elle m’éclatait à la gueule. Il savait ce qu’il faisait. Il avait eu des loupés, il en aurait d’autres, mais il apprenait plus vite que la moyenne, et ça depuis toujours.
— Je te ramène à ta sœur. Ce n’était pas une bonne idée de t’amener ici.
— Je suis pas un gamin.
— Ouais, je sais. Mais pour beaucoup, tu l’es, quoi que tu en penses, quoi que tu en dises et quoi que tu fasses. Ça fait mal, mais il faut juste laisser du temps au temps pour que les autres nous voient comme nous sommes. Pour le moment, j’veux juste que tu choisisses mieux ta première fois. Tu penses que le temps presse, mais c’est faux.
— Je t’ai demandé d’être mon premier. T’as pas voulu. Pourquoi ?
Léon se tourna vers Mathys qui se raidit.
Il lâcha un sourire conciliant. Je vis à cet instant cette vieille âme qu’il possédait. Cette sagesse qui me manquait parfois. Mathys ne serait jamais tout le monde. Et personne ne pourrait dire, « il me ressemble avant un long moment ». Il ferait encore des conneries, il devra passer les obstacles, mais ça, c’était la destinée de tout un chacun. Il n’en resterait pas moins lui : une personne avec du savoir. Le savoir, c’était un pas vers la morosité du cœur. Plus on savait, moins on était innocent.
— Ça ne peut pas être moi, Léon.
— Mais pourquoi pas ? Hélène dit que tu le fais avec qui te le demande.
Tys se raidit plus violemment, sachant pertinemment que j’entendais tout. Il me tourna le dos. À quoi cela lui servait-il ? Pensait-il que voir son dos me ferait oublier toute cette conversation, toutes ses choses de lui.
— C’est faux. Et ma sexualité ne regarde que moi.
— La mienne aussi, s’engaillardit Léon.
— Tu as raison. Je ne devrais pas m’en occuper, mais voilà, il y a toujours des choses à savoir avant de se lancer tête baissée. Tout ce que je te demande c’est de bien choisir ton partenaire. Pourquoi pas Mike, le frère d’Eric. Il y a du feeling entre vous deux, non ?
— Il fait gamin.
— Ah ! Gamin ? Ça ne l’a pourtant pas empêché d’avoir une érection le week-end dernier quand tu as dansé sur la terrasse avec ton t-shirt mouillé.
Léon haussa les sourcils, surpris.
— Sérieux ?
— C’est fou comme tu es observateur. Allez ! Je te ramène à ta frangine. Et pas un mot sur ce qui s’est passé. Sinon, elle ne te laissera plus jamais sortir de ta vie.
— Il ne s’est pas passé grand-chose.
—Et tant mieux, demain tu auras l’occasion de voir Mike. Tu auras plus de chance avec un mec comme lui.
Léon croisa les bras, en souriant, et sortit sans même prendre une seconde pour me saluer.
Tys tourna à peine la tête vers moi, me montrant toujours son dos.
— Je le ramène et je reviens. Ce soir, je reste avec notre épave. Toi, rentre chez toi. T’as l’air fatigué.
Et il avait raison. Entre les injections et Evack, je fatiguais plus sévèrement.
— Comment tu comptes le ramener ?
— Sa sœur m’a laissé sa voiture sans permis. Je te rappelle que j’en ai une moi aussi.
Il se l’était payé avec l’argent d’une application qu’il avait mise en place. Max m’en avait rebattu les oreilles. Mais je n’avais rien retenu. Juste la somme de 20 000 euros. C’était peu et énorme à la fois. Suffisant pour Mathys, de toute évidence.
Il ne me laissa pas le temps de m’exprimer avant de fermer la porte derrière lui.
Cette voix, sombre et grave grignota la corde sur laquelle je m’équilibrais depuis que je le voyais d’une façon moins innocente. Aujourd’hui, à cet instant, je sentais un sentiment plus fort m’empaler le cœur. Je savais que ça pourrait être pour toujours.
Qu’il ne quitterait plus mes pensées.
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