aout 2017 - 86 ely
Aout se terminerait dans quelques heures et je profitais de ce corps svelte endormi à côté de moi. Il était beau, simple, facile à aimer et à désirer. Le fait est que je serais un de ces jours « il » lui importait peu. Eden pouvait répondre à toutes mes attentes. C’était l’homme idéal.
Il remua. Ses cils papillonnèrent avant que ses yeux se braquent sur moi.
— Ça va ; mon ange ? susurra-t-il en glissant jusqu’à moi.
Je roulais sur le flan sentant son ventre contre mon dos.
— Ouais, très bien, mentis-je.
Rien n’allait. Rien du tout. Je perdais les pédales et c’était peu de le dire.
— Mon ange. Parle-moi. Je suis là pour toi, et avec toi.
Mon état était trop visible pour faire semblant.
— Je n’ai pas très envie d’en parler.
— Je vois… Tu te prends trop la tête. Evack finira par se rendre compte que ce n’est pas normal ce qui fait subir à ses proches.
Il pensait qu’Evack était mon plus gros problème. Il en était loin. Evack était gérable. Ce que je ressentais, beaucoup moins.
J’avais encore du mal à digérer la mandale que j’avais donné à Mathys, tout comme j’avais encore du mal à me faire à l’idée que Mathys m’avait embrassé. D’ailleurs, je ne m’étais attendu à rien ce soir-là. Tys était chez moi pour le reste de ses vacances. Une embrouille avec la personne chez qui il « créchait ». Le bleu sur son cou m’avait fait serrer les dents.
Je n’avais pas refusé son retour. Il m’aidait avec Evack, et ce n’était pas de tout repos. Ni pour lui ni pour moi.
Il était 20 heures. Evack « travaillait ». J’étais supposé venir le chercher à la fermeture. En soi, je n’étais pas seule avec Tys. Pas longtemps. Et puis il était supposé être en soirée ce jour-là. Je ne m’étais pas vraiment attendu à ce qu’il rapplique, l’air complétement détruit. Je n’avais pas ignoré le rouge sous ses yeux.
J’étais sur mon pc comme une grande partie du temps, les chiens à mes pieds, la musique de Paganini envahissant la salle à manger. Il s’était pointé devant moi, avait fermé mon écran, avant de tirer sur ma chaise pour que je lui fasse face. J’étais resté interdit. Surpris surtout. Il s’était assis sur le rebord du canapé, la mâchoire crispée, les yeux rougis. Il m’avait fixé longuement avec un sérieux qui m’avait fait dresser l’épiderme.
— Ça va pas ? j’lui avais demandé.
Non, ça n’allait pas. Le demander avait été stupide parce que je savais pertinemment quand Mathys n’allait pas bien. Je le côtoyais plus souvent que je n’aurais voulu, et ça depuis que je l’avais rencontré, cinq ans plutôt. J’avais clairement passé trop de temps à le regarder, à essayer de déterminer ce qu’il y avait dans sa tête pour qu’il raisonne comme il raisonnait. Quelque part, il m’avait toujours fasciné. D’une façon tout à fait innocente au début, mais plus les années passaient, plus il me perturbait. Et je n’aimais pas l’être. Pas par lui. Pas part un …gamin.
Il n’était plus un gamin.
Je le savais très bien.
Ce n’était pas un gamin devant moi, mais un homme déçu qui avait appris le pire. Un homme à qui on ne laisserait aucune chance.
— Evack m’a annoncé une nouvelle, qu’apparemment tout le monde connaissait. Adès, Paul, Persé, Max et ma mère.
— Evack ? Je croyais que tu étais à une soirée.
— Au Hongrois… répondit-il sévèrement.
— OK. Calme-toi. Quoi qu’il ait pu dire, je te rappelle qu’il n’est pas lui-même, ces…
Je m’interrompis sous le regard trop dur et trop vert de Tys.
— Tais-toi, donc. Je sais dans quel état est Evack.
Il se passa une main sur les lèvres.
— J’ai compris à quel point j’étais un idiot. Un putain de « gamin » comme tu le dis si bien. Si souvent. Et toujours en me regardant droit dans les yeux. J’ai vraiment cru que tu pouvais m’aimer et pourquoi pas m’attendre. Que je t’avais cerné. Que ce que je voyais à longueur de temps avait la signification que moi je lui donnais. Tes regards. Tes paroles. Ta façon de rester loin de moi pour vouloir me protéger de « toi ». Maintenant, le doute me bousille et je ne sais plus si je t’ai un jour compris. Est-ce que tout ça est vrai ?
Il m’avait montré plusieurs objets appartenant à Eden.
— Où tu veux en venir ? avais-je demandé.
— Tu t’es fiancé et dans moins d’un an, tu te maries ?
Ce n’était certainement pas comme ça que j’aurais voulu qu’il l’apprenne. Je ne sais pas vraiment pourquoi j’avais demandé à tout le monde de la mettre en veilleuse. Max et Mélodie m’en avaient cependant remercié. Ils n’avaient pas été aveugle, mais pensaient, eux aussi, que c’était juste un fantasme de gamin. Mais ce soir-là, ce n’était pas le regard d’un gamin au cœur brisé que j’avais eu devant moi. Et ça m’avait démoli.
Tous les sentiments qu’il me portait avaient grandi avec lui.
— Oui, avais-je dit en restant détaché.
Qu’aurait-il pu accepter d’autre ? Certainement pas ma pitié.
— C’est tellement n’importe quoi ! Je croyais qu’Eden c’était juste de la baise.
— Surveille ton langage.
— Pourquoi tu n’as rien dit ?
— Pour ne pas te blesser.
— Pour ne pas me blesser ? Alors tu n’es pas aussi aveugle que tu veux bien le faire croire, tu sais que je ne te mens pas sur mes sentiments.
— Je ne l’ai jamais cru. Tu me l’as trop souvent dit. Mais je ne…
— Tais-toi. Ne me mens pas en me regardant droit dans les yeux. Que tu ne veuilles pas voir, entendre ou même comprendre tes sentiments à mon encontre passe ; mais tu es seul à te voiler la face.
Je ne savais pas s’il en eut assez d’attendre après moi. Si la violence qui faisait briller ses yeux verts avait trop débordé. S’il en avait plus que marre de voir ce qui me déchirait à chaque fois que je posais mes yeux sur lui ou que j’acceptais qu’il se colle un peu trop à moi parfois. Quelque chose déborda et je ne m’y attendais pas. Mathys s’était redressé vivement, m’avait empoigné au col, me forçant à me lever, et avait posé un baiser chaud et déterminé sur mes lèvres. J’avais bouilli si fort, que pendant une fraction de seconde, je voyais le monde tout en blanc. J’avais bogué sur place, complétement médusé, à peine capable de respirer. Ses lèvres, je les avais senties avec profondeur. D’une rudesse passionnée et carrément entêtante. Quand il avait capturé mon visage et le bout de ma langue, quand il s’était glissé trop loin dans la profondeur de ma bouche, j’avais voulu goûter à toute sa saveur, mais je l’avais repoussé dans un hoquet de stupeur. Plus fort que je l’avais désiré. Il s’était retrouvé par terre entre la chaise et le canapé, la lèvre ouverte par un coup de poing non mesuré de ma part. J’avais vu dans son regard le désespoir le plus profond et j’avais eu un mal de chien à l’ignorer, ne réussissant qu’à sortir un « putain ». J’avais pris la tête entre mes mains, et en voyant le sang couler sur son menton, je m’étais baissé pour arranger ce que je pouvais arranger. Visiblement, il l’avait mal pris. Il avait reculé la tête, des larmes plein le visage. Il les avait chassés énergiquement et s’était relevé en cognant la main que je lui tendais.
— Putain, Tys, excuse-moi. J’voulais pas faire, ça. T’aurais pas dû… Où tu vas ?
Il s’était dirigé vers la porte furieux. Je n’arrivais pas à le retenir. J’avais de la force, je m’en étais servi sur lui. Je n’avais pas envie de le refaire.
— Pars pas comme ça. Reste, on peut parler.
— Parler ? Va te faire foutre !
C’était la première fois qu’il me parlait si rudement, avec toute la rage qu’il contenait depuis plus longtemps que moi.
La porte avait cogné. Les chiens me suivaient. J’étais à deux doigts de m’encastrer la tête dans un mur pour me remettre les idées en place. Quel con ! Putain, mais qu’est-ce que j’étais con parfois.
Je l’avais finalement suivi. Il était déjà en train de fermer le portail. J’avais distingué une voiturette. Celle de son amie. Son sac était encore dans la chambre des invités. Il reviendrait surement, le cherchait. Mais je ne pouvais pas le laisser partir comme ça. Je n’y arrivais pas. Parce que dans ce baiser, il n’y avait pas eu d’âge. Il n’y avait eu que lui et moi. Je le déplorais d’une certaine façon, mais je me détestais de lui avoir envoyé mon poing dans la gueule. Il ne l’avait pas mérité. Ça n’aurait pas dû finir comme ça.
J’avais attrapé mes clés de voiture pour le rattraper. Je ne savais pas où il était passé pour me semer aussi vite, mais j’eu beau faire le tour du quartier et l’appeler mille fois sur son portable, je ne le revis pas, préférant m’emplâtrer dans une poubelle.
— Je vois bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Dis-le-moi.
Eden se colla contre mon dos, ceintura ma taille.
Fais-moi tout oublier.
— Vraiment pas envie, Eden.
J’avais aucune envie de lui parler de ce que j’avais fait à Mathys. En revanche, Adès était au courant que j’en avais décroché une à son petit cousin, façon Mike Tyson.
Moi qui ne buvais jamais, je n’arrêtais pas depuis mon altercation avec Mathys. Je prenais trop le pli sur Evack
— Tu sais, beauté, dans un couple, on se dit les choses. Ça évite de souffrir tout seul dans son coin.
Eden se glissa derrière moi, embrassa ma nuque, c’était bon, mais pas comme le baiser de Mathys. C’était bon, mais pas assez pour que je l’aime vraiment. Pourtant, j’essaierai jusqu’à m’en convaincre.
Je continuai à faire de la merde. Mais je refusais de ressentir plus que de la sympathie pour Mathys.
Je ne pouvais pas.
Qu’est-ce qu’on dirait de moi ? De nous ?
J’étais un criminel, enfermé dans la cellule de son esprit.
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