Octobre 2018- 87 Ely

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— Mon fils est une merveille ! Vous vous rendez compte ! Il est incroyable. Dire qu’il a réussi sa licence de psychologie et que maintenant, il se dirige vers les arts. Il a été accepté. Je ne sais même pas où il a pris le temps de s’inscrire en école de beaux-arts.

Autour de la table, Max s’agitait sur sa chaise. Il parlait encore de Mathys pour changer.

Depuis juillet, tout le monde savait qu’il avait eu sa licence de psychologie. Cependant, personne n’avait pu le féliciter de vive voix. Il était parti en vacances à San Francisco avec des amis. Et s’il n’était pas là aujourd’hui, c’était parce qu’il se remettait d’une opération de la cheville.

— Il nous a surpris, dit-il en regardant Mélodie et la petite Eunaisyl qui tétait. Il ne nous en a pas parlé. Ni de son inscription, ni de son portfolio. Je ne savais même pas qu’il continuait à dessiner. Il a toujours été très discret avec ses dessins. Il les cachait. Il ne voulait jamais les montrer. Et pour le peu que j’ai pu admirer. Il a un sacré coup de crayon. En bref, il nous a annoncé deux jours après son retour qu’il s’installait en coloc à Lyon, qu’il débutait une licence de beaux-arts.

Si ce n’était pas une nouvelle, ça. Après tout, il avait bien le droit de faire ce qu’il voulait. Il avait atteint la majorité.

— Mathys nous laisse toujours sur le cul, s’amusa Paul en câlinant Tina.

Les deux fiancées étaient toujours éperdument amoureux et c’était beau à regarder.

— Et la psychologie ? Pourquoi n’a-t-il pas continué ? demanda Tina.

—Ah ! ça. Il a dit qu’il avait pris cette filière pour comprendre ce qu’il se passait dans la tête des gens. Selon c’est dire, répondit Mélodie en levant les yeux au plafond.

— Qu’est-ce qu’il est secret, notre petit génie.

Margot avait cette fierté dans la voix quand elle parlait de Mathys. Elle savait qu’il ferait plus de ce qu’on s’attendait. Il aimait surtout surprendre. Lui et les autres. Il voulait toucher à tout. Il en avait la capacité.

— J’aurais pensé qu’il s’oriente vers la danse, poursuit Eden. Pour l’avoir vu, c’était quelque chose.

Il me passa la panière de pain que je lui avais demandée et retourna à la conversation.

— Moi aussi, figure-toi, s’exprima Mélodie en posant la petite dans son couffin. Mathys me fait tourner en bourrique. Il veut faire mille choses. Il ne se stabilise pour rien.

J’aurais voulu lui dire que c’était faux. Qu’il n’avait jamais cessé de me vouloir.

— Au moins, il les termine, dis-je sans vraiment m’en rendre compte.

Pourquoi les Beaux-Arts ? Depuis quand dessinait-il ? Je ne l’avais jamais vu esquisser le moindre dessin. À quoi ressemblaient-ils ?

— Enfin, tout ça pour dire qu’il sera occupé. Il viendra beaucoup moins. Monsieur, veut subvenir à ses dépenses seul. Il a trouvé un job dans un restaurant en soirée et il travaille tous les week-ends dans une supérette.

— Et il ne compte pas se reposer ? Intervint Carl en ramenant le dessert.

— Ah ! C’est exactement ce que je lui ai dit ! Vous savez ce qu’il m’a répondu.

— « J’peux gérer », répondis-je.

— Exactement !

Max se leva en tapant sur la table. Mélodie secoua la tête, d’un air faussement saoulé. Elle roula les yeux et attrapa le plateau de fromage qu’Adès avait l’intention de rapatrier en cuisine. Mélodie avait toujours des fringales, malgré qu’elle ne soit plus enceinte. Elle avait mis un terme à la possibilité d’avoir d’autres enfants. Cinq étant plus que suffisant.

Il n’y avait rien d’étonnant à ce que Mathys prenne sa vie en main. Il avait dix-huit ans. À force de lui rabâcher qu’il était trop jeune, il avait pris la mouche. Peut-être que je n’avais rien arrangé avec mon mariage auquel il n’était bien sûr pas venu. Ses parents lui en avaient voulu, mais peut-être qu’aujourd’hui avaient-ils tous compris que Mathys était profondément amoureux de moi.

J’en étais très conscient, en ce qui me concernait.

Max était comme un fou à radoter comme un vieux. La fierté dans son regard contamina tout le monde à table.

Les Torrens m’avaient adopté. Je remplaçais Evack qui venait de moins en moins. J’appréciai cette ambiance. Je ne pourrai plus m’en passer.

— Mon fils est un miracle ! criait Max.

Mélodie riait de lui et de ses mouvements de joie.

— Il est merveilleux !!! continua-t-il.

Lucien souffla en réduisant à néant son mille-feuilles.

Mathys l’était. Plus encore, il m’impressionnait. Comment faisait-il ?

Il avait obtenu sa licence de psychologie en juillet et le voilà qui revenait à une passion que personne ne lui avait imaginée.

Je ne sais pas jusqu’où il irait, mais je me demandais si son besoin compulsif d’apprendre et de s’élever dans d’innombrables disciplines ne cachait pas autre chose. Peut-être me prenais-je trop la tête, mais j’avais le sentiment qu’il faisait tout ça pour moi. Pour me prouver qu’il vivait. Qu’il l’avait toujours fait plus que moi. Mais j’avais certainement trop d’égo. Sa vie ne tournait pas autour de la mienne. Et en vrai, qu’est-ce que je connaissais vraiment de Tys ?

Depuis notre accrochage en aout de l’année dernière, je ne l’avais pas revu. Il avait ignoré toutes les invitations des Torrens. Et quand je m’étais rendu chez Max et Mélodie, il avait pris ses mesures en partant chez un ami, pour réviser. Tout le monde savait qu’il ne révisait pas. Il n’en avait pas vraiment besoin. Max pensait qu’il y avait une fille là-dessous… Moi, je n’en étais pas si sûr. Ça me minait le moral. Plus d’un an qu’il m’ignorait superbement. Mes mails étaient restés sans réponse. Mes appelles aussi.

Je mens… Il n’était pas le seul à fuir. Moi aussi, je prenais garde à ne surtout pas le croiser. L’appeler n’impliquait pas grand-chose, le voir… aurait été différent.

Eden me tendit son poivron du bout de la fourchette et je le gobais tout rond. Ce que j’aimais ça. Le poivron et notre histoire. Simple, avec du goût. Je pourrais m’en contenter et ignorer le reste.

J’observais l’alliance qui brillait à mon doigt, un simple anneau. J’étais marié depuis un peu plus de quatre mois maintenant, et Mathys emprisonnait mes pensées plus que je ne l’aurais voulu.

Ma souffrance à ne pas pouvoir être avec lui, je la retranscrivais en musique. Et parfois, je restais des heures dans mon minuscule studio à composer des sons pour lui. Ce que je n’avais jamais fait pour personne.

— Elyas, m’appela Margot.

Elyas, c’était mon nouveau prénom. Celui que Margot m’avait donné lorsque je le lui avais demandé. Elyas, c’était tout ce que je devenais jour après jour. Elyas était harmonieux avec ma mâchoire carrée, mon corps toujours plus masculin.

Mais Elyas n’était pas encore reconnu comme un homme. Et je savais qu’il y aurait encore un long chemin pour devenir « lui». J’y étais préparé. 

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