Mars 2019- 88 ely

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Evack était sorti de désintox. On savait tous qu’il pouvait retomber en un claquement de doigts, pourtant on ne s’empêchait pas de vivre pour autant. Il était maître de sa vie.

Il m’apporta un plat en cuisine, ressortit. Je l’entendis discuter avec son frère, Paul. Le mariage de Paul et Tina approchait à grands pas. Tout le monde en discutait. Eden, Pola et Tina terminaient leur assiette en riant sur les robes ridicules qui circulaient sur les réseaux.

— Je suis content. Evack me parait beaucoup mieux. Tu ne trouves pas, Fils.

Margot plongea une autre assiette dans l’eau mousseuse. Carl sourit en attrapant un plat argenté pour la suite du repas.

Fils. C’était comme ça que l’on m’appelait depuis un moment déjà. J’avais trouvé auprès de Carl et Margot des parents. Des vrais, de vrais. Des parents qui prenaient de mes nouvelles, qui me nourrissaient, qui s’intéressaient à mon travail et à ma vie.

— Oui. Espérons que ça dure.

Je retournai dans le salon avec un saladier de frites. Perséphone observait Evack qui fixait le portable de sa mère sur la commode. Il n’arrêtait pas de sonner. Quelqu’un envoyait des messages à Margot. Ce pouvait être le jeune Lucien qui n’était pas avec nous ou Mathys qui ne ratait jamais une occasion de prendre des nouvelles de Margot.

Les jumelles regardaient elles aussi le portable. Puis elles s’en détournèrent.

La sonnerie clinquante qui suivit eut raison d’Evack. Il attrapa le portable et regarda quel était l’imbécile qui harcelait sa mère.

Quand il se figea, j’eus comme un mauvais présentiment.

Il resta un moment statique, interpellant le reste de l’assemblée. Tout le monde se retourna vers lui. Son calme n’avait rien de rassurant.

Sa mère se tenait dans l’angle de la porte. Carl s’avança avec le poulet.

Un froid tragique nous traversa.

— Depuis quand ?

Son regard bleu marine se posa sans douceur dans celui de sa mère, ce qui eut le don de réveiller Perséphone (qui était bien trop calme envers son frère).

Elle vrilla un regard ferme sur le portable et répondit à la place de sa mère.

— Depuis que Nina est née, précisa-t-elle.

Nina, c’était la fille de Zéphyr. Et tout le monde l’avait rencontré chez les Torrens au travers d’un écran. Personne n’en avait jamais touché un mot à Evack.

— Nina ?

— Notre nièce. La fille de notre frère.

Evack serra le portable dans sa main avant de le balancer contre un mur.

— Non ! Tu mens !

— Evack, reprends-toi. Pas de scandale. Tiens-toi bien.

Perséphone ne savait toujours pas tempérer son petit frère. Elle voulait préserver ses parents, mais de quoi. Ils avaient toujours su ce qui se passait entre leurs deux fils. Ils n’avaient simplement rien dit, fermant les yeux et priant pour que leur vie ne soit pas remplie de souffrance.

— De scandale, grinça-t-il méchamment.

— Papa et Maman sont là.

— Et alors ? Que veux-tu que cela me fasse.

— Evack. Ecoute-moi bien. Zéphyr est un papa heureux, cracha sèchement l’aînée.

Un rire cruel envahi la pièce, personne n’osa bouger. Seule Perséphone faisait face. Mais à l’évidence, elle ne savait pas dans quoi elle s’engageait.

Ce n’était pas de la colère sur le visage de mon ami, mais une rage qui pouvait exploser à tout instant, et personne ne serait à l’abri.

— Ah! Parce qu’il suffit d’être marié et d’avoir des enfants pour être heureux ? Première nouvelle venant d’une femme qui n’a jamais aimé son mari et qui rêvait d’autre chose qu’être mère de famille. Une femme qui ne va plus tarder à demander le divorce.

Magalie écoutait la dispute en même temps que tout le monde. Un coup d’œil vers elle me suffit pour comprendre le mal qu’on venait de lui faire. Son histoire était celle d’un enfant non désiré qui s’était pointé et qu’on n’avait pas pu retirer. Il y avait eu dénie et Perséphone était retournée auprès de celui qui était son ex. Ça, Magalie ne le savait pas.

— Il ne sera jamais heureux ! Pas alors que je ne suis pas avec lui.

— Evack, ferme ta bouche ! gronda-t-elle.

Elle jeta un regard léger vers ses parents. Il n’y avait qu’elle pour croire qu’ils n’étaient au courant de rien. Ils l’avaient su, les premiers.

— Ne les regarde pas, pauvre idiote que tu es. À quel moment as-tu cru que tu savais tout ? Tu crois être la seule à avoir tout compris ? Adès et Paul le savaient depuis belle lurette, même Ely l’a capté rapidement. Tu prends les autres pour des demeurés, mais ils ne le sont pas. Tu n’as protégé personne et aujourd’hui, personne n’est heureux. Tu vois de la joie depuis qu’il est parti ? Paul et Adès n’ont plus leur jumeau. Maman et papa ont un fils en moins et moi, j’ai perdu mon cœur. C’est toi qui l’as fait fuir. C’est tes inepties qui l’ont contraint à s’éloigner de moi, à se ranger et à faire comme n’importe quel crétin. Tu l’as coupé de sa famille, de son oxygène. Tout le monde a toujours fermé les yeux sur notre relation. Pourquoi t’es-tu senti obligé de t’en mêler ?

Il cogna la table plusieurs fois, faisant sursauter les convives, avant de balancer une chaise contre le mur le plus proche de Persé.

Elle sursauta avant de se figer aussi raide qu’une statue.

— Jamais. Tu m’entends. Jamais je ne vous pardonnerai de ne pas l’avoir retenu. Et toi, je te ferais toujours payer son absence. Alors tiens-toi prête à te briser encore une fois.

Il fixa sa sœur droite dans les yeux. Ce n’était pas de la haine qui recouvrait ses prunelles, mais bien un sentiment au-delà. Il l’aurait tué sans un soupçon de compassion. Et elle le comprit enfin.

De rage, Evack partit. Paul et Adès se levèrent, mais je fus le plus rapide. Je m’élançais déjà vers mon ami. Il était comme fou et tout ce qui lui passait dans les mains finissait brisé.

Je ne saurais jamais à quel point il souffrait, car la souffrance ne se mesure pas, elle se vit de multiples façons.

Son amour pour Zéphyr était au-delà de ma compréhension et certainement de la sienne. Il l’aimait, sans véritablement savoir pourquoi.

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