Septembre 2020- 90 Ely

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Le gâteau d’anniversaire de Lucien était digéré depuis une bonne heure. Nous étions tous dans le jardin de Max et Mélodie. Lucien jouait avec ses amis pendant que nous écoutions un Max déchainé pour changer. Comme si c’était devenu un rituel, il nous rebattait les oreilles avec Mathys. Mélodie chercha plusieurs fois à lui faire comprendre qu’il radotait, mais il continuait.

Mathys n’était plus qu’une ombre, que certains d’entre nous parvenaient à entrevoir le temps de quelques heures et quand lui l’avait décidé. En ce qui me concernait, j’avais arrêté d’espérer le croiser.

— Eh ! Je vous ai dit qu’un de ses professeurs a exposé son travail dans une galerie Lyonnaise ? Il est à peine en deuxième année de son cursus. C’est juste incroyable.

Il sortit sa tablette et commença à nous montrer ses croquis. Parce qu’il s’agissait de croquis faits au fusain. Carmin et Nathalie remarquèrent vite que Max n’avait pas pris les meilleurs croquis en photo, alors elles sortirent leur portable et nous eûmes le droit d’admirer plusieurs fois les mêmes esquisses. C’était un délice. Et quand le portable de Nathalie m’échappa, Margot me préta le sien.

— Les filles me les ont toutes envoyés. Elles sont si fières de leur petit frère.

Elles ont raison. Mathys a plus qu’un simple coup de crayon.

Je laissais les croquis défiler sur le smartphone de Margot. Elle se tenait à mon bras, sa tête posée sur mon épaule.

Peut-être avait-elle deviné le regret que je portais au fond du cœur.

— Eden est parti en voyage avec son frère ? demanda-t-elle, histoire de faire la conversation.

Depuis que Max parlait de Mathys, je m’étais enfermé dans un mutisme qu’on n’ignorait plus vraiment. À chaque fois que son prénom était prononcé, je devenais attentif à ce qu’on disait de lui.

— Hum… Oui. Au Viêtnam. Il revient la semaine prochaine.

— C’est un bon garçon.

— Il l’est.

Je répondais de façon monotone, plus impressionné par le travail de Mathys que par Eden, en vacances.

— Pourquoi n’es-tu pas parti avec eux ? Eden l’espérait.

— Je ne voulais pas rater l’anniversaire de Lucien. Et puis je me prépare pour ma première opération.

— Le mois prochain ?

— Si ce n’est pas encore reporté.

J’arrêtai mon doigt sur un croquis qui mettait en scène une guitare, un violon et une clarinette. Des mains les retenaient. Pendantes vers le sol.

Les deux personnages semblaient être de dos… ou bien de face. Difficile à savoir, quand on ne voyait que leur jambe dissimulée sous les instruments. Le violon et la guitare arboraient la forme d’un ancien cadeau que Mathys m’avait offert et que j’avais jeté dans une boîte métallique.

Je compris.

Les personnages étaient de dos. ça ne pouvait être autrement.

— Tu devrais réfléchir pour ton cœur aussi, mon Elyas.

Je tournais le visage vers Margot. Elle me sourit tendrement avec un éclat de tristesse au fond des yeux.

— Oui, tu devrais laisser ton cœur choisir plutôt que penser trop souvent à ce qui te semble le mieux. Regarde ce qui s’est passé avec mes fils.

Nous étions éloignés des autres, suffisamment pour qu’elle se confie. Ce qu’elle n’avait jamais fait. Pas à ma connaissance.

— Je savais depuis longtemps. Depuis qu’ils n’étaient encore que des enfants. Leur affection me semblait à la limite du raisonnable. Je pensais me faire des idées, alors j’ai tout ignoré. Plus tard, j’ai compris qu’ils étaient différents et que leur amour aussi.

— Pourquoi n’avoir rien dit ?

— Entrer en conflits et risquer de les perdre ? C’est un amour immoral. Mais c’est un amour quand même. Un que je ne peux expliquer. Aujourd’hui, j’aurais voulu ne plus les voir pour toujours, mais savoir qu’ils étaient là l’un pour l’autre, dans une autre vie où personne n’aurait su.

Evack était retourné en désintox après une tentative de suicide. J’avais été le chanceux à le retrouver, abruti de médoc. Une image qui ne quittait plus mes nuits depuis l’événement. Il en était arrivé là. À ce moment où la vie n’était plus rien qu’une odeur de fumée.

— Qu’y a-t-il à dire ? Ou à faire ? Qui prétend tout savoir d’un cœur, de ses émotions et de ses sentiments ? Qui suis-je qu’une mère, qu’une femme… qu’un humain qui parcourt sa propre vie.

Je détachai mon regard d’elle et l’accrochai à nouveau sur le portable.

Qui étions nous pour nous immiscer dans la vie des gens… Croire que nous pouvions penser mieux à leur place.

— Est-ce que Zéphyr sait pour Evack ?

— Non. Il ne sait rien, parce qu’il nous a fait jurer de ne plus lui en parler.

Quelle douleur devait-être celle de cette mère ?

Nous vivons tous avec des blessures. C’était le temps et la vie qui le voulait ainsi.

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