mai 2022- 92 elyas
— La seconde phase de ma phalloplastie antébrachiale s’est bien passée. J’ai eu deux opérations. Bientôt la troisième phase en juillet. Je fatigue beaucoup depuis cette année écoulée. La rééducation de mon bras, les cicatrices, les douleurs… Je ne me savais pas si fort. Je suis fier de mon parcours. Fier de me transformer. De devenir un autre moi.
J’avais arrêté quelques mois les séances chez ma psy. J’avais besoin de me reposer, de ne plus parler, juste d’exister. Mais voilà, si je voyais Madame Careult c’était pour quelque chose. J’avais encore beaucoup de démons.
— Que se passe-t-il, Ely ? J’ai l’impression que nous ne parlons pas de ce pourquoi vous êtes venu.
Elle avait raison. Elle commençait à bien me connaître.
— C’est vrai. Je ne suis pas venu pour parler à nouveau de ma transition. Je mentirais si je disais que c’est toujours facile, mais aujourd ‘hui, j’avais envie de parler d’autre chose.
— Et vous savez que rien ne sortira de ses murs.
— Je le sais.
Elle était prête à écouter mes confessions, les aveux que j’avais déjà trop gardés en moi.
Je pris une grande inspiration, et expirai tout l’air dans mes poumons. Mes doigts se tortillaient comme ceux d’un gamin.
— Je n’arrive plus à faire semblant. Eden le ressent. Il sait que je ne l’aime pas. Mais il reste. Je ne sais pas si c’est par besoin d’être avec moi ou si c’est pour m’accompagner jusqu’au bout. Pour assister à la naissance de l’homme qui se créait. Il a le droit d’être curieux, de vouloir me voir pour la première fois et peut-être pour la dernière.
— Eden, votre époux.
Je hochai la tête.
— Il arrive parfois, qu’un couple se sépare, même s’il y a toujours de l’amour. Parfois, on ne se comprend plus, on n’est plus sur la même longueur d’onde. Ça ne fonctionne plus et les émotions se figent.
— Je ne l’ai jamais aimé.
Elle prit quelques secondes pour mesurer ce que je lui disais.
— Pourquoi le pensez-vous ?
— Parce que c’est vrai. Je le désire, l’apprécie, l’affectionne, mais je n’arrive pas à l’aimer. Je reste avec lui parce qu’il est bon avec moi, parce qu’il entend et comprend ce que je lui dis. Il ne me juge pas. Et surtout, il lui ressemble. Je pourrais l’aimer, si je n’avais pas un autre dans le cœur.
Je m’arrêtai pour reprendre mon souffle. Ce n’était pas tant un soulagement de parler que de dévoiler ce que je portais dans le cœur.
— Mon problème n’a jamais été Eden. Mon problème a toujours été Mathys.
Je lui en avais déjà parlé et elle s’en souvenait.
— Mathys. L’adolescent que vous aviez peur de blesser à cause de votre passé de victime ?
— Hum… Lui-même. J’ai lutté. Je lutte encore. Je n’arrive pas à trouver normale mon attirance pour lui, pour ce qu’il était ou ce qu’il devient. Je ne suis même pas sûr si c’est normal de regarder ses réseaux sociaux pour avoir une représentation de l’homme qu’il est devenu.
Mme.Careult hocha la tête, professionnelle.
— Vous m’aviez dit que vous vous étiez disputé il y a quelques années. Voulez-vous me dire à quel sujet ?
— Il m’a embrassé, j’ai aimé et je lui en ai mis une. Il n’avait que dix-sept ans. J’en avais trente-cinq. Ça ne pouvait pas exister. C’était mal. Mal d’avoir envie de lui, mal de le vouloir plus prêt. C’était pour son bien que je l’ai éloigné. Il n’a pas accepté et depuis ce jour, je ne l’ai plus jamais revu.
— Vous vous sentez coupable qu’il ne soit plus là.
— Bien sûr.
— Mais vous avez été soulagé qu’il sorte de votre vie.
— Oui. Je n’étais plus un monstre.
— Vous n’êtes pas un monstre, Elyas. Vous avez eu des sentiments envers une personne qui en avait pour vous.
— C’était un enfant.
— Un adolescent, si je peux me permettre. Un adolescent qui ne se gênait pas pour vous faire du rentre dedans.
Elle avait tout noté. Elle se souvenait de tout.
— C’est la même chose.
— D’un point de vue juridique, il est vrai. Je ne vous cacherai pas que je suis ravie que vous n’ayez jamais cédé aux avances de ce jeune homme quand il était encore mineur, mais aujourd’hui, pouvez-vous me dire quel âge a Mathys.
— Vingt-deux ans.
— Pensez-vous que désirer un homme de vingt-deux ans est impossible ?
— Je ne sais pas. Je… ne me sens pas si vieux que ça. Un jour, Mathys m’a dit que l’amour n’a pas d’âge. Et je lui ai répondu que lui en avait un.
— Et vous aviez eu raison. Lui en avait bel et bien un.
— Je me sens vulnérable quand je pense à lui. Je ne sais pas si un jour, je m’y ferais.
— À quoi ?
— À ce que je ressens pour lui.
— Avez-vous peur que l’on vous juge.
— N’est-ce pas légitime ? Je connais Mathys depuis qu’il a douze ans, je côtoie sa famille depuis des années, j’en suis un des membres. C’est moi l’adulte, moi qui influence.
— L’avez-vous influencé ?
— Je n’en sais rien. Nous nous sommes souvent vus. J’ai souvent parlé avec lui de nos passions respectives. Et quand je parle, je ne fais plus attention à qui j’ai devant moi. J’imagine que notre entourage influence nos décisions. Et ça, peu importe notre âge. En vrai, je ne sais pas. Je ne sais rien. Je sens seulement mon cœur battre trop fort quand je pense à lui et ça continue à m’effrayer et à m’éloigner d’un homme qui me fait du bien.
Si un jour je pouvais être avec Mathys. N’aurais-je pas toujours la sensation de l’avoir corrompu ?
Quel adulte était-il ? Lui qui continuait à voyager, à expérimenter ? Que savais-je du Mathys d’aujourd’hui ? Que savais-je du Mathys du passé ?
Que savais-je de lui, à part qu’il lui arrivait de me troubler certaines fois ?
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