Février 2023- 98 elyas
À quatre, nous parvenions à faire le propre, avant de recevoir dans la semaine le matos pour monter les séparations entre le dortoir et ce qui serait la salle de jeu.
Carl et Paul analysaient l’espace pour aménager des lits. D’abord, deux. Pour Lucien et son ami qui viendrait passer les vacances de printemps chez Margot et Carl. Eunaisyl dormirait dans la chambre des enfants, quant à Max, Mélodie et les jumelles, ils seront dispatchés dans les trois autres chambres que comptait la bâtisse.
En redescendant pour prendre un rafraichissement dans la cuisine, je sentis la présence de Margot. Un verre de grenadine en main, je me tournai et tombai sur son regard tendre et compréhensible.
— J’ai trouvé ça dans un tiroir. Je crois bien qu’il t’a toujours été destiné.
Elle me tendit le carnet à dessins. Je n’osai pas le prendre. Qu’est-ce que ça voudrait dire si je l’acceptais ?
— On dirait que tu sais déjà ce qu’il y a à l’intérieur.
Je ne dis rien, préférant baisser la tête.
Elle attrapa mon menton, et le leva.
— Il était déjà plus vieux à cette époque. Il avait bien le droit de t’aimer, non ?
— Il avait le droit.
— Tu as bien réagi, Elyas. Il y a six ans. Tu as fait ce qu’il fallait en le repoussant. Mais aujourd’hui, qu’est-ce que cela voudrait bien dire ?
Je me figeai. Elle savait. Pour le baiser… et pour Eden.
— Je ne suis pas née de la dernière lune mon fils. Mathys me parle. Je l’ai souvent au téléphone. Il me parle de toi. Il me demande de tes nouvelles. Il ne t’oublie pas. Il en est incapable. Ce sont ces mots. Quant à Eden, il ne vient plus, et Adès a vu un camion de déménagement devant chez vous, il y a une semaine. Personne ne te jugera, si un jour tu décides de le retrouver. Crois-moi. Ce que tu penses cacher, devint toujours trop évident.
— Je suis désolé, Margot. Mais je ne peux pas. J’en suis tout à fait incapable. Comment pourrai-je me regarder dans la glace ? C’est d’un adolescent dont je suis tombé sous le charme.
— Et d’un homme dont tu es tombé amoureux. Je me souviendrai toujours de ton expression quand Max t’a montré la photo des dix-huit ans de Mathys. Il ne l’avait fêté avec aucun de nous, juste avec ses amis. Tu as vu ce qu’on voyait tous. Mathys a toujours été plus adulte qu’aucun de nous. Il a vécu une atrocité. La vie la fait grandir beaucoup trop vite. Il avait des charges qu’à son âge, nous n’avions pas. Je ne sais toujours pas remplir mes feuilles d’impôts toute seule. Lui était capable de gérer toutes les factures de la maison, de comptabiliser, d’organiser, de rappeler. C’est lui qui a facilité certains problèmes juridiques de ses sœurs. Il savait avant l’heure ce que la société attendait de lui. Il fréquentait du monde pour te prouver qu’il était prêt pour toi. Nous avions peur pour lui. C’était de l’instinct. Nous étions garants de sa sécurité. Mais la peur… il s’est battu contre elle avant même que tu n’entres dans nos vies. Ely, tu as attendu pour ne pas aller à l’encontre des lois. Il n’y a plus rien qui t’empêche de lui dire oui.
— Il y en a des tonnes, Margots. Max et Mélodie pour commencer.
—Ils n’auront jamais leur mot à dire sur les sentiments de Mathys, ni sur les tiens.
—Quels parents laisseraient faire ça ? Et que diraient-ils ? Que penseraient-ils de moi quand ils seront ce que je ressentais pour leur enfant ? Comment se sentiraient-ils en sachant qu’un prédateur était si proche de leur gamin ?
—Un prédateur ? Elyas, comment est-ce que tu parles de toi ? Respecte-toi. Un prédateur n’attent pas. Il ne se remet pas en question. Il prend seulement.
Elle m’attrapa la main, la serra.
— Six ans, Ely. Ça fait six ans, qu’il ne t’a plus vu. Tu penses avoir une quelconque influence sur Mathys ? Tu te trompes, c’est lui qui en a une sur chacun de nous. En six ans, il aurait pu passer à autre chose, mais…
— Mais, qu’est-ce que nous en savons ? Margot. Je ne peux pas. Je n’y arrive pas.
— Bien, et si c’était le contraire. Si c’est toi qui étais plus jeune. Que verrais-tu à son obstination à te repousser encore aujourd’hui ?
— Qu’il ne m’aimera jamais.
— Soit honnête.
Je me mordis les lèvres. Je n’avais pas envie d’y répondre.
Je ne dis rien et terminai mon verre.
Dans la soirée, allongé sur mon canapé, je repensais à notre discussion.
Si j’étais honnête ?
Je voudrais qu’il me voie tel que je suis. Que mon amour pour lui est sincère et que peu m’importe son âge, s’est lui que je voulais dans ma vie, lui qui m’engloutirait dans un bonheur infini. Lui que j’attendais depuis longtemps.
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