Septembre 2023 - 99 Elyas

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Le dessert était terminé alors que les jumelles et Margot bavaient encore sur la coupure d’un journal new-yorkais que Mathys leur avait envoyé. Ça ne m’étonnait pas des jumelles qu’elles aient demandé à leur frère de leur faire parvenir la moindre ligne dans un journal ou magasine qui parlait de Mathys Fallen. Margot et elles tenaient un petit coffre et y répertoriaient toutes les interviews de l’artiste. De véritables groupies.

Après avoir encore longuement regardait la coupure, elles firent un tour de table avec fierté. Paul réussit à leur retirer des mains pour comprendre ce qu’il regardait, et me la passa aussitôt, pendant que Margot racontait je ne sais trop quoi sur le composant en peinture. Je n’écoutais plus que d’une oreille en avisant la coupure de journal. Il y avait une photographie de Tys. Toujours aussi beau dans sa simplicité. Il portait une chemise ample, comme j’en portais souvent, et ses cheveux étaient noués en catogan. Il n’avait plus grand-chose à voir avec l’adolescent qui me faisait la cour. Il avait mûri.

Il était devant une sculpture. Elle ne devait pas faire plus d’un mètre, tenue sur un pilier de verre, dans une couleur sombre et métallique. C’était un corps humain qui se démultipliait dans un chaos des plus totale. Il y avait cet être central dont s’échapait un panel d’émotions. C’était comme lui, dérangeant et profond. Comme un hymne aux pensées qui parfois nous rendaient dingue.

Je lisais le papier.

La charge mentale.

C’était représentatif de ce qu’une personne en pleine crise intérieure pouvait ressentir. Ce personnage statique qui arborait un sourire figé et tout ce qu’il était à l’intérieur.

Mathys montrait ce qu’on ne voyait pas. C’était même sa marque de fabrique.

Un cri retenti dans le jardin, nous surprenant. Tout le monde partit à sa rencontre, alors que je restais assis, contemplatif de l’œuvre d’art photographiée. Ce n’était pas rare qu’Evack fasse une petite crise. C’était répétitif. Je ne m’alarmais pas.

Un plongeon.

Je me laissai guider vers la porte fenêtre, observai la scène. Paul repéchait son frère qui cherchait à se noyer dans la piscine. Il n’était pas assez alcoolisé pour se noyer.

Je retournai à ma place et m’appliquai à contempler cet homme châtain-blond dont les cheveux n’étaient que la discontinuité d’une beauté qui n’a fait qu’enfler depuis ses dernières années.

Il n’avait plus rien de ce jeune homme qui m’avait condamné à l’aimer, qui avait bousillé mon mariage à force de penser à lui.

Aujourd’hui, serais-je un monstre si je posais mes doigts sur ses lèvres ?

Mon cœur se resserra dans ma poitrine. J’entendis les cris d’Evack. Déchainé. Je ne doutais pas qu’il avait recommencé à se droguer quelques mois après être revenu de sa cure de désintox. Je ne comptais plus le nombre de fois où il s’y était rendu depuis son pétage de plomb de 2019.

Il ne voulait pas être sauvé. Il voulait plonger et couler.

Je caressai la photo, le visage masculin de Tys avant de sortir dans le jardin. Je passais devant l’attroupement qu’avait formé chacun autour d’Evack. Il était allongé sur l’herbe et criait sans s’arrêter. Je l’attrapai par la nuque, tirai sur ses cheveux. Il hurlerait pour quelque chose cette fois-ci. Je l’empêchais de se redresser, attrapai la bouteille de rouge qu’il avait entamée et la lui fis boire de force. Quand il eut terminé, les yeux exorbités, je l’amenai vers le rebord de la piscine. Si j’étais toujours resté petit, j’avais pris du muscle – et je l’entretenais – et contre une épave, ma force n’était même pas déployée de son quart.

Je le balançai dans l’eau. Tout le monde cria. D’un geste de la main, je leur ordonnai de rester tranquille et de se taire.

— Qu’est-ce que tu fiches, Ely ? s’enquillait Paul.

— Laisse-moi faire et on verra.

Evack se débâtit dans l’eau, et quand il attrapa le rebord pour se hisser au sol, je lui écrasai les doigts. Encore et encore. Il me regardait d’incompréhension. Je ne lui renvoyais que le vide qui colorait trop souvent ses prunelles.

Il se fatiguait. Suppliait. Mais je ne lâchais pas.

Je m’assis sur un transat, tous les regards braqués sur moi.

— Il va se noyer, Ely ! s’époumonnèrent Adès et Mélodie.

Je ne dis rien, tournai seulement la tête et les fusillai du regard. Peut-être avais-je été plus dure que je ne le souhaitais, mais le silence revint. Margot et Carl fixaient leur fils avant de comprendre ce que j’étais en train de faire. Ils furent les premiers à rejoindre le Salon. Suivi de près par Paul, Tina et les jumelles. Pola tira Adès vers elle, lui murmura quelque chose à l’oreille. Cela eut le don, de les voir s’éloigner. Max crispa la mâchoire avant de marcher jusqu’à moi.

— Tu crois que c’est nécessaire d’en venir à… ?

— Selon toi, Max ? Si je le fais, ce n’est certainement pas pour m’amuser. Les cures Ça ne fonctionnent pas. Les cris, les pleurs, les suppliques non plus. Alors autant lui montrer ce que ça fait de se noyer et d’être seul, sans plus personne à ses côtés. Il réalisera peut-être que sa vie en vaut la peine. Je tente.

— Tu crois que ça va fonctionner ?

— Absolument pas. J’essaie, juste encore un peu. Mais un jour, il est possible que je le laisse vraiment se noyer.

Evack envoya sa main vers moi, suppliant, la tête à peine hors de l’eau.

— Tu vas le laisser couler ?

— Jusqu’à ce qu’il touche le fond de la piscine et ensuite, je le remonte. Je ne suis un assassin que dans mes romans, Max.

Il se tourna vers Mélodie et lui fit signe de rentrer. Elle hocha la tête en se mordant la lèvre. Elle n’aimait pas mes pratiques. Je ne les aimais pas non plus.

Max s’assit sur le second transat, alors qu’Evack glissa dans l’eau. Quelle sensation cela faisait de couler sous le regard d’un public. À quoi pensait-il ?

Un silence lourd s’imposa.

Je l’écoutais comme le corps qui devenait lasse sous l’eau.

Evack avait arrêté de lutter.

— Dis-moi Ely ?

Max fixait un point devant lui.

— Me diras-tu un jour ce qui s’est passé entre toi et Mathys pour qu’il s’échappe au bout du monde ?

Cette question, il voulait me la poser depuis des années, mais il n’avait jamais osé du temps où j’étais encore en couple. Les papiers du divorce étant enfin signés, Max avait enfin trouvé la force de demander.

— Je me suis marié, Max.

— C’était bien avant.

— C’était la cause. La date de mon mariage. Le fait que tout le monde était au courant et pas lui. Le fait que personne ne lui a laissé de chance.

Un vent tiède nous passa sur la peau. Evack continuait de couler.

— Est-ce que tu as eu des sentiments pour Mathys ?

Je me crispai.

— Il n’était qu’un gamin. Je ne risquai pas d’y toucher, de près ou de loin. Il aurait dû le comprendre. Il aurait dû arrêter de prendre ses rêves pour des réalités. Il m’a trop idéalisé, Max. Il s’est fait mal tout seul.

— Tu ne réponds pas à la question, Elyas ?

Evack avait touché le fond.

Je plongeai tout habillé dans l’eau rejoindre mon ami. J’attrapai ses mains tendues vers moi et le hissai jusqu’à la surface.

Max le tira sur l’herbe avant de poser ses yeux dans les miens, et me faisant promettre qu’un jour je répondrai à sa question.

Il n’y avait pas d’animosité. Il savait qui j’étais. Lui aussi connaissait mon passé. Jamais je n’aurais eu de geste déplacé ou aurais-je eu des propos mal adaptés à un… adolescent.

Ce qu’il voulait savoir, c’est si Mathys se butait pour quelque chose d’impossible.

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