Décembre 2014 - Mathys
Le noir.
Ça profondeur.
Elle me calmait.
S’il n’y avait eu que le bruit du silence, peut-être aurais-je su vider mon esprit. Et ne plus voir le corps de mon père suspendu par le cou à une poutre illusoire dans ma chambre. Je le voyais comme ce jour-là dans la cabane, à l’intérieur du bois.
Il avait parlé pendant des heures, assis en tailleur sur un vieil tapis. Puis j’ai essayé de répondre à ses questions. Je voulais l’aider à aller mieux. Mais j’étais arrivé à cour. Mon père partait dans des délires existentiels. J’avais pris conscience qu’une question avait plusieurs réponses, selon les personnes qui la posaient.
« Tu veux mourir ? »
J’avais réussi à capter son attention avec cette question.
« Je crois que oui ».
« Je crois que c’est mieux pour toi. La mort aura moins de question ».
Savais-je ce que je disais ? Bien sûr. Il était rare que je ne comprenne pas ce à quoi je pensais ou réfléchissais. La mort et la vie étaient quelques choses que j’avais pensées tout le temps où j’étais avec Papa. Il m’en parlait sans arrêt. Je m’en étais fait une projection. Avec ce que j’en connaissais et ce que Papa en disait. Aujourd’hui, je savais ce monde inconnu bien vaste. Je ne cherchais pas vraiment à lui donner une forme, une vérité. Je le laissai voguer dans ma tête comme une brume.
— Mathys ? Tu ne dors pas ?
Mon camarade de chambre se redressa de son lit avant d’allumer sa lampe de chevet.
— Encore un mauvais rêve ?
— Un peu de culpabilité et beaucoup de réflexion.
— Tu devrais rester sous les draps. Il fait froid sur le sol.
— Tu m’invites dans ton lit ?
Je restai sur le tapis, dos contre le mur.
— Si je t’invite, on va aller plus loin que la dernière fois.
— Et alors ? Ça te dérange tant que ça ?
— J’ai une copine.
— Et t’a la trique quand je me colle un peu trop à toi.
Je souris. Clément haussa les épaules. Lui aussi était franco-anglais, comme moi. J’avais tissé un lien avec lui d’ordre sexuel. On expérimentait ensemble. Bien sûr, ni lui ni moi n’étions encore vierges. J’avais perdu la mienne avec Willem le 12 septembre 2013. Un peu plus d’un an. J’avais treize ans, lui, quinze. J’étais le premier de Willem, aussi. On avait regardé un film porno hétéro, puis on avait dérivé sur la vidéo de deux hommes. Il était resté dans ma chambre. Alors que Clément était malade, à l’infirmerie. Willem était allé chercher du lubrifiant et des capotes dans la commode de son coloc. Moi, je m’étais renseigné un peu plus sur son portable, celui qu’il cachait au chef du dortoir, son cousin. Ça avait fait mal et encore plus avec Willem pour qui c’était la première fois. Ça avait été une cata. La douleur. L’odeur. La saleté. On avait peut-être omis que le sexe, ça se préparait un temps, soit peu. Peut-être aurions-nous dû continuer à nous masturber. Il les faisait bien les fellations.
Clément me fit une place à côté de lui. Je rangeai mon corps contre le sien. Il frissonna. Je me sentis gonfler.
Je posai ma main sur sa taille, emmêlai nos jambes. Clément rougit comme chaque fois que j’étais trop près de lui.
— Ely n’a toujours pas répondu à ton message ?
— Effectivement. Iel ne le fera pas.
— En même temps, tu sais très bien ce qui arrive quand tu en dis trop. Ton Crush a dix-huit ans de plus que toi. Ce n’est pas un gamin. Qu’est-ce que tu crois qu’il va arriver ?
— Pas de bonnes choses.
— En plus, tu le sais. T’es con. C’est quoi ton problème ? Qui flashe sur une vieille comme ça ?
— Lea vieil.le que tu as pris pour un.e ado la première fois que tu as vu son portrait ?
J’avais dessiné Ely et je l’avais mis dans un cadre sur ma commande. Tout le monde pensait qu’il s’agissait d’une photo avant de comprendre que c’était du crayon gris.
— Ouais, j’étais pas censé savoir qu’« iel » avait trente ans.
— L’âge, ça ne veut rien dire. C’est juste des stat. T’es un matheux, tu devrais le savoir.
— L’âge peut être important, Mathys, crois-moi.
— Ne pars pas d’en les extrêmes, Clément. Ne me fais pas dire ce que je maintiens être horrible. Mais si je l’aime, est-ce si important, cet âge ?
— Tu l’aimes à travers des mots. Des mots qui ne sont même pas romantiques. Mathys. Puis toi, t’as rien à craindre, mais ton.. euh, ta ? Bref, Ely. À trente ans, si on dit aimer un « ado », de quatorze ans, qui plus est, c’est passible d’une peine de dix ans de prison et d’un stage en psychiatrie. Ça, tu le conçois ?
— Que ce n’est pas normal d’avoir des sentiments pour un « ado » ? Sans doute. Ai-je vraiment le choix de ne pas le concevoir ? Mais qu’est-ce qui l’est et ne l’est pas ?
— Je trouve qu’Ely est une bonne personne et tu ne devrais pas faire ça. Aie au moins le recul de la draguer à un âge plus raisonnable. Attends. Si tu l’aimes si fort, pour de vrai, alors prouve-le. Arrête de faire le con.
— Attendre ? J’attendrai. Mais je me sens plus tendu quand je pense à Ely.
— On a les hormones en éruption, Math. On a la trique pour un regard. Je t’explique ou pas ?
— Prends moi pour une endive.
— Tu ne peux pas te contenter de Willem ?
— C’est ce que je fais.
Je me collais un peu plus à Clément. Il me laissa faire.
— Allez, viens ?
Je le pris dans mes bras. Il glissa une main froide sous mon t-shirt.
— As-tu la sensation que je te force ?
— Si t’es dans mon lit, c’est parce que j’ai envie qu’on fasse des choses ensemble.
— Est-ce que tu penses que ce n’est qu’une passade, Ely ?
— Tu le crois ? demanda-t-il alors que je caressai ses fesses.
— Non. Je crois qu’il y a des sentiments qu’on ne peut pas dompter. Ils sont comme l’air, invisibles et instables.
— Sois juste patiente avec Ely. Mais, il faut que tu comprennes quand Ely dira ne pas être intéressé. D’ailleurs, qu’est-ce qui te fait croire qu’iel peut être intéressé ?
— Je l’intrigue. J’illumine quelque chose à l’intérieur de son regard.
— Math ? T’es conscient qu’iel ne t’aime pas ?
— Iel m’aimera un jour. Iel aime nos conversations.
— Quand tu ne dérives pas sur tes sentiments, bien sûr.
Clément se moqua de moi. Il avait raison. Pourquoi, quand la correspondance se passait bien, je trouvais le moyen de remettre mes sentiments sur le tapis ? Ely ne changerait pas d’avis. J’étais un enfant pour iel. Un enfant amoureux d’un grand. Un enfant qu’iel appréciait, mais seulement comme un enfant.
Si Iel me voyait aujourd’hui, du haut de mes presque « quinze ans », avec le corps d’un jeune homme, est-ce que son regard changerait sur moi ? Est-ce que mes mots et mes vérités auraient plus d’impact ? Oui, dans ce lit, nu, mon corps pressé contre celui de Clément, est-ce que Ely pourrait encore me voir comme un enfant ?
Je n’étais vraiment pas sérieux quand il s’agissait d’Ely. Je perdais la notion des mœurs qui régissaient le quotidien.
Ely, c’est définitivement moi qui ai des pensées sales quand je pense à toi et que dans l’intimité, je fais jaillir mon plaisir sur le cadre qui retient ton image. J’aimerais t’aimer comme avant, sagement. Sans arrière-pensée. Mais la première fois où je t’ai vu, je n’ai presque jamais réussi à décoller mes yeux de ton torse. Les formes appellent tôt quoi qu’on pense. Dans mon cas, j’ai joué seul avec mon corps à partir de onze ans. J’avais envie d’explorer mon corps, l’étendu de ses sensations. J’étais curieux de moi. Puis, en te rencontrant, j’ai été curieux des autres. Ce qu’ils pouvaient me faire ressentir sur mon corps simplement à la force d’une pensée, d’un morceau de peau…
— Est-ce que ça fait mal ?
Clément me ramena à la réalité. Il m’avait empoigné.
— Quoi ?
— Bin, quand on le fait entre mecs ?
— Si tu es vierge, ça risque de faire mal au début. Mais si tu le faisais avec moi, je saurais vite transformer la douleur en plaisir.
— T’es vraiment pas possible, comme gars.
— Je te parais fier ? Mais ce que je veux dire, c’est que je serais à l’écoute de ton corps. Ce que Willem n’est toujours pas.
Clément stoppa son geste sur ma verge.
— Tu veux dire quoi ? Willem te fait mal ?
— Disons qu’il ne prend pas toujours en compte la rigidité de mon corps.
— Math ?
— Ce n’est pas toujours moi, qui m’allonge. PParfois,c’est lui.
— Mais…
— Tu veux que je te donne un aperçu de ce que je peux te faire ressentir ? Promis, je ne te pénètre pas.
Clément hésita, un peu chagriné par ce que je venais de lui dire.
— Montre.
Alors, je lui montrai.
Je penchais mon visage au-dessus du sien, caressa sa joue.
D’abord, je lui embrassai la bouche. Ça s’était facile. Puis je glissai mes doigts sur son torse. Il manquait de forme. Un peu maigre, mais agréable à toucher. Sa peau était chaude.
Je le fis basculer sur le dos, calant ma jambe entre les siennes. Son sexe poulsait contre ma cuisse. Quand sa respiration fut plus rapide, je lui demandai doucement :
— Mets toi dos à moi.
Il me fixa en se mordant les lèvres.
— Je ne rentrerai pas, si tu ne le veux pas.
Il hocha la tête.
Nos bas de pyjama retirés depuis un moment, je me collais contre ses fesses, faisant glisser ma verge. Je caressai son dos, sa taille, sa hanche, avant de replier sa jambe en angle droit et de me placer dans cet espace. Je le recouvrai très légèrement, étant plus grand que lui.
— Ça va ?
Clément hocha la tête, le visage rouge et les yeux brillant d’envie.
Nous étions toujours éclairés de la lampe de chevet, quand j’ondulai contre ses fesses, apportant plus de chaleur aux draps qui nous couvraient.
J’embrassai son épaule.
Ma main glissa sur son ventre. Clément se cambra. Il se redressa très légèrement pour me sentir un peu mieux.
— C’est bon, souffla-t-il.
— Quand c’est bien fait, c’est toujours bon, répondis-je au creux de son oreille.
— Est-ce qu’on peut… ?
Il hésita.
— Allez plus loin ?
— Hum… je crois que j’aime bien. Je veux essayer.
— Si tu veux, on le fait, mais il y a des risques. Je ne t’ai pas préparé pour la pénétration.
— Ce qui veut dire ?
— Qu’on n’est pas super propre. Mais que j’ai envie, moi aussi, de te prendre.
— C’est grave ?
Non. Pas pour moi en tout cas.
J’embrassai la nuque de Clément. Il devait comprendre ce qu’une pénétration pouvait engendrer sans nettoyage. Mais je ne m’inquiétais pas vraiment. Il avait jeuné ce midi. Et ce soir, il n’avait presque rien mangé. Il n’avait jamais été un gros mangeur.
Je sortis des draps avant de prendre le matériel dans ma commode.
Clément n’avait pas bougé de sa position. Si je ne voulais pas lui faire mal, est-ce que cette position était la bonne ?
Il me le dira lui.
Je revins me coller à lui, je le câlinai, avant de passer un préservatif et d’enduire mes doigts de lubrifiant.
— Je vais te caresser en premier, OK ?
— Hum…
La communication, c’était primordial. Ce que Willem avait parfois du mal à comprendre. Ce que Connor faisait très bien.
Je passai mes doigts ici, ce qui le fit tressaillir de plaisir.
— Tu sais que tu peux le faire avec Hélène.
— Ne parle pas de ma copine quand tu vas me faire des choses, andouilles.
Je pouffais un rire.
— Je vais mettre un doigt.
Clément se raidit.
— D’accord.
Alors j’enfonçai un premier doigt, observant sa réaction.
— Ça fait bizarre.
— Bizarre comment ?
— Comme des chatouilles.
Je ne pus m’empêcher de sourire et j’en introduis un second, toujours avec délicatesse. Quand Clément se détendit, et qu’il se cambra un peu plus à chaque doigt, je les retirai. Je les essuyai dans un mouchoir qui trainait sur la commande. Et m’induisit de lubrifiant avant de glisser lentement à l’intérieur de lui.
Clément se crispa.
— J’y vais doucement, alors détends toi.
J’entrai d’abord de moitié, m’arrêtai, pour laisser Clément s’agrandir. Je lui caressai l’épaule avant de comprendre que la position n’était pas bonne pour une première fois.
— Clément. Je vais te faire mal si on reste comme ça. Laisse-moi te prendre plus facilement.
— Hum… Oui.
Face à face, nous nous embrassions, pour atténuer la douleur. Je surplombai Clément, frottai doucement ses hanches et redressai ses jambes.
— Pardon d’en parler encore. Tu vois comment Hélène fait quand tu la prends en missinaire ?
— Je n’ai pas de vagin.
— Ça tombe bien, je ne fais pas l’amour avec une femme.
Je calais un oreiller sous son dos et pliais ses genoux contre ses flancs avant de m’introduire à nouveau.
Je ne sais pas si j’avais mis trop de lubrifiant, mais je me laissais emporter en avant, comme aspiré.
Horrifié d’avoir pu faire mal à Clément, je me figeais.
Il retenait mes épaules en clignant des yeux.
— Je t’ai fait mal, pas vrai ?
— Hum… ça va. Si tu ne bouge pas, je…
— Dis moi quand je peux …
On attendit que la douleur passe. Clément me demanda un baiser que je lui donnais et enroula ses bras à ma nuque.
— Vas-y.
Alors j’y allais. D’abord avec des ondoiements pour lui dire que j’étais en lui et pour faire lever le plaisir, puis je commençai des va-et-vient très lents, sans jamais sortir de lui.
— Oh ! Là, là, je me sens bizarre. Ça fait… du bien.
Quand il le prononça en haletant, je compris que je pouvais aller un peu plus vite et faire des mouvements plus amples. C’était différent qu’avec Willem et Connor, mais c’était intéressant. Clément était vraiment étroit. Et je me concentrai pour ne pas éjaculer trop vite. Mais plus j’accélérais la cadence, plus ça montait. Et Clément gémissait si joliment. Ses jambes serraient mes flancs. J’avais envie de les monter sur mes épaules, mais c’était trop tôt pour Clément.
Quand il se cramponna aux barreaux de la tête de lit et que nos corps s’éloignirent un peu, toujours animés de cette danse simple et soubresautante, je compris qu’il avait joui. Les gouttes sur son ventre me l’attestaient. Alors je ne me retins plus et dans une dernière bousculade, je jouie à mon tour.
Je m’écroulais à côté de lui. Il allongea ses jambes, le regard au plafond.
— Je veux bien ça comme cadeau de Noël.
Je ris.
— Si tu veux. Pour ton anniversaire aussi ?
— Oui. Et peut-être d’autres jours.
On rit dans les draps un peu salis. Clément ne l’avait pas remarqué. Alors je ne disais rien pour le moment et l’embrassai à pleine bouche.
Avec Clément, on le fera encore. ça m’empêchait de penser l’amour que je ressentais pour quelqu’un d’inatténiable. Après tout, pourquoi je voulais Ely si particulièrement ?
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