Août - 2017 Mathys
Ma lèvre me faisait mal, mais pas autant que la vive douleur accrochée à mon cœur. Le coup qu’Ely m’avait donné raisonnait encore en moi, éclatant toutes mes croyances, mes convictions.
Ce n’était pas tant le coup qui m’avait laissé sans voix, mais l’assurance qu’Ely avait mis dans la confirmation de son mariage.
À vrai dire, l’apprendre d’un Evack bourré ne m’avait pas fait un meilleur effet.
« Je connais un secret qui ne faut surtout pas te dire. Ça parle du mariage d’Ely et d’Eden. « Pauvre gamin, t’y as cru. »
Avais-je rêvé tout ça ?
Avais-je vraiment cru à tort qu’Ely pouvait m’aimer ?
Avais-je trop pensé, pendant trop longtemps ?
J’étais encore un adolescent éprouvé par le seul sentiment d’aimer. Qu’avais-je vu chez Ely ? Pourquoi m’étais-je laissé entrainer par sa beauté, par ses mots. Ceux écrits sur le papier, ceux qui m’avaient fait l’aimer, déjà trop fort, et à un âge où j’aurais dû trouver les « grands » trop vieux, trop nazes.
Si seulement je n’avais eu à penser comme je le faisais sans cesse. Si je pouvais faire cesser cette machine infernale qu’était mon cerveau. Si j’avais été « normal », jamais je ne me serais amouraché d’Ely.
Je roulais le plus loin possible de chez iel et, dans ma fichue logique, je m’arrêtais chez mon amie pour lui rendre sa voiture avant d’appeler un taxi. Clarice tenta de me retenir. Elle n’était pas aveugle. Mes larmes avaient trop coulé pour une seule soirée. Si je m’étais regardé dans un miroir, j’aurais vu les sillons dessinés sur ma peau. Je ne m’y regarderai pas. Je n’assisterai pas à ma lamentable mine de « pauvre âme au cœur brisé » qui devait s’être gravée sur mon visage.
À l’intérieur du taxi, je n’oublie pourtant pas la ferveur de ce baiser que j’ai échangé avec Ely. De ce temps suspendu au-dessus de nos têtes. De cette chaleur épouvantablement agréable qui m’a envahi. Son corps si proche du mien. Le bout de sa langue, curieux et habile. Sa langue s’était enroulée à la mienne, ce n’était pas un mirage. J’ai encore son goût dans la bouche. Un goût de passion, un goût de… révélation.
S’iel ne m’avait pas un peu désiré, aurait-iel eu l’audace de me goûter ? Ne m’aurait-iel pas repoussé dès l’instant où mes lèvres se seraient posées sur les siennes ?
Peu importe ce que je veux croire. Ely va se marier et le marié sera un autre que moi.
Je retins mes larmes. Les pleurs n’arrangeraient rien à ma situation et ne diminueraient en rien le trou béant qui se creusait dans ma poitrine.
Toutes ces années à l’aimer.
Toutes ces années à accepter, plus ou moins, que je n’étais qu’un gamin.
Toutes ces années à lea chercher dans les bras d’autres.
Tout cela…
Je voulais l’attendre. Je voulais patienter. Je voulais croire qu’Ely me voyait différemment, qu’iel voyait celui que j’étais. Le vrai Mathys, celui qui a vu la mort de près. Celui qui s’est réveillé trop tôt de son innocence, en comprenant plus sérieusement que le monde était agencé de façon à ce qu’on ne le comprenne jamais dans son entièreté. Je pensais qu’iel pouvait voir l’état de mon cœur. Que son regard perçant et orageux savait percer mes remparts. Mais j’avais tort. Ely ne me voyait pas. Ely n’avait jamais voulu me voir. Et pourtant… Je l’aimais avec une force. Je l’aime. Et je l’aimerai. Je ne savais pas faire autrement, iel était planté en profondeur dans ma chair et sous mes os. Je le sentais comme on sent une personne qui nous suit dans l’éternité.
Mais voilà. Que suis-je que cet enfant « étrange », un peu en avance sur son âge. N’a-t-on jamais voulu me donner plus ? Était-ce de la peur ?
Je sortis du taxi et marchais jusqu’à la gare routière. Encore une heure avant le départ de mon car. J’avais acheté mon billet dans le taxi. Je devais partir d’ici. Partir et oublier. Partir, parce que ça brûlait au point que mes jambes auraient pu me lâcher.
Si j’avais rejoint le sol, je ne sais pas si je serais parvenu à m’en extirper. J’aurai préféré me faire avaler par le bitume.
J’attendais dans la nuit, éclairée par le lampadaire.
Je désespérais de l’aimer si fort. La pluie de mes sentiments avait bien trop irrigué l’ensemble de mon être pour ne plus voir Ely comme une part de moi. Comme la personne que j’attendais avant même de savoir aimer.
Ely.
Tes lèvres.
Ta bouche.
Ta chaleur.
Si je ne pars pas loin de toi, si je ne me dévisse pas la tête pour ne plus te penser, je finirai fou.
Oui, fou de t’aimer comme un acharné à qui on aurait promis les cieux.
Peut-être me suis-je trompé ?
C’est toi qui as raison. Je ne suis qu’un gamin qui s’est embrouillé dans ses illusions. Et maintenant, je pleure.
Les larmes coulèrent, sans que je parvienne à les faire cesser.
Annotations
Versions