Prologue
I
Ieugres m’avait laissé dans ce monde que je haïssais. Je n’avais plus de réconfort à confectionner des souliers maudits ou à hanter les ruelles d’une ville à l’autre. J’étais prisonnier de la danse et de son sanctuaire. Je le maudissais un peu plus chaque jour, chaque mois et chaque année qui s’écoulaient sur ma tragique existence de fantôme.
J’errais encore, en ce jour froid et humide dans les couloirs de l’opéra de Raken.
Encore aujourd’hui, je suivais cette professeure et son bambin de quatre ou cinq ans. Ils se dirigeaient comme tous les matins vers la salle de classe qui s’engorgeraient de danseurs…
Je m’installais à côté du petit qui savait me distraire avec ses gribouillages et je tendais l’oreille, jetant un œil sur les talentueux et les médiocres.
— Parce que tu crois que tous les tueurs sont des sorciers ? Il est évident que leur espèce s’éteindra d’ici une cinquantaine d’années, mais il y aura toujours des criminels. C’est dangereux de croire le contraire.
Je tournais la tête vers deux jeunes danseuses. Elles avaient l’âge de Lananette quand je l’avais rencontré. Elles avaient, semble-t-il, plus de bon sens.
— J’en conviens, mais…
— Mais rien du tout. Tu te laisse berner par les médias et par ce qui pensent y trouver toutes les réponses à nos maux actuelle, passé et futur. Je te dis que n’importe qui peut tuer, avec ou non de bonne raison.
— Alors tu penses que la cantatrice n’est pas une sorcière.
— Bien sûre que non. C’est une tueuse et une femme d’une beauté sans conteste. Les journalistes la pointent comme étant sorcière parce qu’ils ne veulent pas dire la vérité sur pourquoi elle a tué toux ces hommes. Mais moi, je crois deviner.
— Ah ! Parce que tu es devin ? s’étonna la rouquine.
— Non. Parce que ma tante la contoyé pendant leurs années de pensionna.
J’écoutais leur investigation en abandonnant le petit garçon à ses dessins pour le moins détaillés. C’étaient ce genre d’élèves que je rechercher dans mon infâme prison. Des jeunes gens qui me sortaient des quatre murs où j’étais enfermé pour… l’éternité. J’écoutais tous les ragots qui me venaient de l’extérieur et me tenait informer du moindre fait au-dehors.
— La grande Zéphina était déjà un prodige là-bas. Elle était souvent réveillée le soir pour des concert privé dans les appartements du directeur. Ma tante a confié à ma mère, que Zéphina chantait pour le gratin et que parfois, elle était envoyé dans des salon privé en ville.
— Mais, ces parents étaient-ils au courant ? Je veux dire ce directeur avait-il le droit de la faire se représenter ainsi ?
— A-t-on avis, Miranda ? Ma tante soupçonnait de mauvais traitement et peut-être des actes plus horribles encore. Mais il se trouve que Zéphina ne soit pas rester longtemps au pensionnat. Moins de deux ans.
— C’est que sa carrière à commencée jeune. Elle avait quatorze ans, je crois.
— Hum, c’est ça. Et là plus part des noms des victimes ont été ses mentors pour la plus part.
— Ely, tu crois que… tu crois qu’on a profité…
Miranda ouvrit de grands yeux et se cacha la bouche, pendant que Ely hocha la tête.
— Sinon pourquoi aurait-elle tué de cette façon ? Il n’y a pas de magie, seulement des années à comprendre ce qu’on attendait d’elle. Sa voix et son corps étaient les appâts parfaits pour se venger, non ?
Miranda hocha la tête à son tour sans voix.
Ces deux jeunes filles m’amenaient toujours de quoi me divertir. Ainsi La grande Zéphina avait fini par se rebeller.
J’avais eu la chance d’assister à plusieurs de ses représentations sur la scène de l’opéra depuis la dernière décennie. J’avais vu aussi ce que ses mentors, hommes respectables de la société, lui faisaient subir dans les loges, quand tout le monde fermé les yeux.
« J’ai donné beaucoup d’argent pour toi », avait dit le conseiller des finances de la présidente.
« Je t’ai fait connaître, tu me dois le respect. Tu viendras où je te dis de venir », avait dit, le directeur des imprimeries Dolivia.
"Déshabille-toi et écarte les jambes, mon oisillon. Sois docile, ce soir. Pas d’hystérie, on pourrait t’entendre. Tu ne voudrais pas que l’on t’entende ? », avait ordonné le directeur du pensionnat de jeune-fille de la capitale.
« Ma fille et sa voix d’ange. Prends encore un peu de mon miel, il te fera le plus grand bien. »
Zéphina… pauvre petite chose, élevé par un prédateur et donnée à une dizaine d’autres.
Elle aurait pu être victime toute sa vie, mais elle avait choisi la même voie que j’avais prise. Pas de monstre intérieur, mais un besoin de vengeance grandissant.
Ely avait raison. Pas besoin d’être sorcier pour vouloir tuer.
— Mesdemoiselles, Ely et Miranda, à votre tour ! À moins que la leçon ne vous intéresse pas. Pas de jacasserie dans mon cours.
Les jeunes-filles se levèrent et exécutèrent leur pas.
Je retournais auprès de mon gribouilleur préféré. Il avait arrêté de dessiner et regardait sa mère. Parfois, il m’arrivait de penser que ce petit parvenait à me voir, mais l’illusion était vite effacée.
À la fin du cours, je repris mon errance tout en passant devant un journal laissé en vrac sur une table. Je fus attiré par une photographie. Pas celle des gros titres, non. Celle en tout petit dans l’angle de la page treize.
Je me vis devant une salle de vernissage. J’avais toujours cette vilaine cicatrice sur le visage.
Ieugres.
Il semblait vivre ma vie, comme je ne l’avais jamais vécu. Il n’avait pas peur de se montrer. Et à la vérité, il avait su remodeler mon corps pour qu’il convienne. Son regard était si différent du miens. Il portait l’assurance que je n’avais jamais eu. Notre goût vestimentaire n’avait eu non plus rien avoir ensemble. En le découvrant, j’avais l’impression de voir un frère inconnu au bataillon. C’était mon apparence, sans vraiment l’être. Les cheveux courts lui allaient bien.
— Sale vermine, criai-je dans l’isolement de mon monde d’errance.
Mon être malfaisant s’était débarrassé de moi et je suppliais le temps de me faire disparaître. Mon âme, c’est tout ce qui me restait avec un pouvoir aussi mal en point que des cendres chaudes dans une cheminée.
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