Chapitre 2 : Ludwig
En sortant de cette ruelle puante, j’observai mon fils me fuir. Je ne pouvais dissimuler mon inquiétude face à son avenir. Il était si fatigué lorsqu’il rentrait à la maison. Cela m’effrayait de ne pas le voir rentrer à l’heure, car quoi qu’il pût penser de moi, je l’aimais.
Avant qu’il ne disparaisse à l’embouchure du boulevard, je sentis une main attraper mon bras. J’eu un mouvement de recul, avant de comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une potentiel agression. Mon ancien ami et collègue était encore au poste. S’il pouvait y rester ça m’arrangerait. Combien je m’étais trompé sur ces ramassis de bidet. Il n’y avait dans ce club que des jaloux, des vicieux, des envieux. Et moi, j’y étais l’idiot.
Je me tournai sur la personne qui cramponnait ses doigts à mon avant-bras. Une moue boudeuse m’accueillit.
— J’ai raté mon neveu, se plaignit ma chère petite sœur.
Mary-Lou inclina la tête et soupira. Elle arborait une tenue que je ne lui connaissais pas. De la dentelle, une couleur unie de son manteau à ses bottines. Elle ne changeait pas, toujours fidèle à elle-même avec ses cheveux court et bouclé, et sa féminité en parure discrète.
— Un vrai courant d’air. Bien heureux que sa fiancée me rapporte quelques nouvelles. Ce que ne fait pas son père.
Elle plongea sont regard dans le mien. Ce marron glacé n’avait pas de pareille pour me ravir. Elle m’examina de ce même regard que je croisais le matin dans le miroir.
— Tu ignores mes invitations ou ta femme oublie de te faire la commission ?
— J’ignore tes invitations, avouai-je.
— Et peut-on en connaître la raison ?
— Parce que je te connais. Tu ne m’invites jamais sans raison. Et j’imagine que tu sais combien de fois je me suis rendu au commissariat depuis les deux dernières semaines.
— J’ai des taupes dans ton entourage, s’amusa-t-elle d’un air faussement hautain.
Sur la pointe des pieds, elle m’embrassa, fixant douloureusement la rougeur à mon arcade. Ma peau avait dû se colorer de bleu. Je n’échapperais pas une belle marque.
— Je vais bien, tentai-je de la rassurer.
— Oh ! Oui. Ça m’en a tout l’air.
Elle caressa ma main bandée et tendit la sienne vers mon visage.
— Pourquoi te bats-tu ? Cela te ressemble si peu.
Qu’elle le sache ne me surprit pas. Elle entretenait un lien de belles-sœurs avec Lomdélia, ma femme, très fort.
Je ne doutais pas que ma femme avait déjà eu vent de mon retour au post. Elle aurait appris d’un de ses amants ou de ses cousins. Ma femme connaissait elle aussi du monde.
— Lomdélia t’a prévenu ?
— On peut dire cela. Elle n’aime pas que tu erres seul. Ça lui fait peur.
— Que j’erre ? Pourquoi ?
— Parce que tu es qui tu es, Ludwig. Tu as la déprime facile. Et plus le temps passe et plus tu nous effraies dans certain de tes actions.
— Je ne suis pas dangereux.
— Pour les autres, je te l’accorde. Pour toi en revanche, c’est un fait.
— Je me suis seulement battu. Des chamailleries idiotes. Ce n’est rien.
Ce n’était pas rien. Je ne me battais jamais pour rien. Lorsque je sortais les points, c’est que la rage me prenait à même le corps.
— Rien. C’est toujours rien. Mais un rien qui t’a fait encore te disputer avec ton fils. Et peut-on savoir quel est ce rien ?
Mary-Lou se cramponna à mon bras. C’était à son tour de me materner. Ma sœur avait cette douceur qui avait appartenu à notre mère. Si elle était encore là, elle aurait pressé ma tête sur sa poitrine et m’aurait frotté le dos. J’aurais entendu le murmure de son cœur et toute de suite, je me serais apaisé. Mère me manquait temps. Je savais Mary-Lou dans le même désespoir que moi, lorsqu’il s’agissait de penser à notre mère.
— Parle-moi, Ludwig. Dis-moi pourquoi mon neveu est parti en colère ?
Elle ne m’en avait jamais voulu d’avoir préféré Lananette comme marraine pour Landry. Elle n’en voulait jamais à personne. Mary-lou savait prendre du recule sur tous les sujets, elle savait réfléchir et penser. Elle était juste. Et surtout, elle savait pourquoi j’avais fait ce choix de faire de Lananette, la marraine de mon fils. C’était pour remercier cette jeune fille qui m’avait aidé plus fort que tous pour empêcher le cordonnier de tuer Séverin. Lananette avait été là, sur cette scène avec nous. Les années avaient voulu que je devienne proche de la meilleure amie de ma sœur.
— Ludwig ? insista-t-elle avec douceur.
Il n’y avait pas l’ombre d’une colère, mais la tristesse de son sourire me fit mal à regarder.
Ses joues étaient si rondes. À quarante-trois ans, elle ressemblait toujours à cette jeune adolescente de seize ans, dans sa tenue de danseuse.
— Je connais ce regard. Dois-je en conclure que Séverin en est la cause, mon frère ?
Mes poings se serrèrent. Elle les caressa et les tint entre ses doigts.
J’ai entendu qu’une de ses dernières expositions c’était mal passé. Des vandalises avaient fait exploser une bombe de peinture.
Ma mâchoire se contracta.
J’avais couru après les vandalises. J’en avais chopé un au vol. Le forçant à parler. Il avait parlé et avant que je ne puisse le remettre à un agent de police, il m’avait fait faux bond.
— Une chance que les toiles étaient protégées par du verre.
— Ça m’en rage Mary-Lou. Ça me rend dingue quand on s’attaque à lui de près ou de loin.
— Tu y étais.
J’agitai la tête. J’y étais et j’avais fini peint de la tête au pied, comme un bon nombre de visiteur.
Mais dis-moi, quel rapport y a-t-il avec les membres de ton club ?
— A-t-on avis ? Les membres de mon club ne sont pas ignorant de qui humilie le nom de Séverin. La première fois que je me suis battue, c’est parce que l’un d’eux raconté des foutaises sur les relations qu’entretient Séverin avec certain de ses apprentis. Que Séverin ne serait pas insensible à des jeunes hommes plus que jeune, tout ça en crachant sur lui de ses peintures. Nous étions dans un salon de l’hôtel grande Lionne, celui tout juste rénové. Séverin avait été mécène.
Je me tus un instant, cherchant à regagner mon calme. Mary-Lou attendait la suite sans un mot.
— C’est plus que de la jalousie. Pure et dure. Tout ça parce que trois d’entre eux ont été recalé pour exposer et les autres avaient des attentes envers leur enfants, leur amant- amantes qui y participait aussi. Séverin était le décisionnaire. Il était donc facile de le détester. Il se sont tous ligué contre lui, et moi, le fervent admirateur du grand Séverin, je n’ai rien vu. Mais quel imbécile.
— Je comprends mieux. Donc aujourd’hui, tu t’en es pris à ce jeune homme parce qu’il avait…
— Parce qu’il prévoit de faire un sale coup. Quoi, je ne saurais dire.
— En as-tu parlé à la police ?
— Bien sûr. Ils n’ont pas cru que le charmant avec qui je m’étais battu pouvait avoir une idée de la sorte. C’est qu’il est fort pour se poser en victime.
La veille, je m’étais pris la tête avec deux autres membres qui clamaient que Séverin avait assez duré. Qu’il fallait qu’il cède sa place. Chacun de nous mécénait des artistes. Certains étaient brillant, et une fois dans leur papier, on pouvait aller loin. C’était le pouvoir que les membres de mon club cherchaient. Pourtant nous n’étions que des amateurs d’un quartier bourgeois.
La capitale aimait les art.
— Je vois. Ce n’est pas une grande surprise. Combien de fois t’ai-je prévenu sur tes fréquentations ? Tu voulais avoir raison. Ce sont des profiteurs.
Elle pressa sa main sur ma joue.
— Tu es trop bon. Fais-moi le plaisir de les quitter.
— C’est déjà fait. J’ai barré mon nom du registre. Je n’y remettrai plus les pieds. Maintenant, il me faut envoyer une lettre à Lucinda pour quelle prévienne son frère où qu’il se soit terré.
Séverin changeait souvent d’atelier. Il n’aimait pas rester au même endroit trop longtemps.
Mon Ludwig, je sais combien tu as mal lorsqu’il s’agit de lui.Je sais combien il te manque. Combien tu en es amoureux.
Elle savait tout depuis toujours. Elle n’avait pas apprécié mon mariage avec Lomdélia en sachant ma vérité. Elle avait eu pitié de cette femme que j’avais pris pour épouse, que j’avais fait devenir mère, que j’avais enfermé dans un couple sans amour.
— Tu n’imagines pas ce que j’ai envie de leur faire.
— Oh ! Si. Très bien. Et je te conjure de ne pas faire de bêtises. Si tu veux te changer les idées, viens donc au salon que propose Lananette tous les jeudis. Elle y organise des goûter, et expose deux à trois artistes. Jeudi qui vient, nous rencontrerons une portière qui commence à se faire un nom dans le domaine, et un jeune peintre. Il y a toujours du beau monde là-bas. Elle serait ravie de te compter parmi ses visiteurs. Puis il y a Vadigue, un amateur d’art et un grand admirateur de Séverin. Je vous présenterai et je suis sûr que les minutes écoulées feront le reste. Deux admirateurs de Séverin parlant de ses œuvres. Et puis, il est très joli garçon.
Elle me fit un clin d’œil en essuyant une larme qui coulait sur ma joue.
— On s’inquiète pour toi. On s’est toujours inquiété depuis le cordonnier.
Elle sortit de son sac une invitation et me la mit entre les mains.
— J’y penserai, dis-je seulement.
— Ludwig.
Sa voix était plus sombre.
— Séverin sait se défendre. Il n’a plus dix-huit ans et il n’est plus possédé. Il sait ce qu’il attire autour de lui. Il n’est pas impressionnable. Il ne l’est plus.
Je hochais la tête. Mary-Lou m’enlaça.
— Quant à mon cher neveu, il comprendra un jour qui tu es et ce que la vie à fait endurer à ton cœur. Il saura pourquoi tu mets tant de murs entre toi et les autres.
— Je le sais. Il est homme intelligent, mais ce n’est pas vraiment son incompréhension qui me mine en le regardant.
— Je sais à quoi tu penses. Moi aussi j’ai peur pour lui. J’ai toujours une vive pensée pour lui lorsque je lis le journal. Mais il a choisi ce métier et nous savons pourquoi. Il s’en sortira. Tout ira bien, mon frère.
— Je ne sais pas.
Je quittais ma sœur d’un baiser sur la joue, avec la promesse que je me rendrais au salon qu’organisait Lananette.
Je bifurquai au carrefour, poursuivie mon chemin.
La criminalité faisait yoyo. Je n’avais pour seule inquiétude l’avenir de Landry. C’était un métier dangereux. Aussi bien physiquement que psychologiquement. Serait-il toujours droit ? Ou bien le perdrais-je un jour ?
En entrant chez moi, la moitié du première étage d’un appartement, je m’enfermais dans mon bureau. J’y écrivis une longue lettre à Séverin. Dans l’après-midi, je la glisserai dans la boîte aux lettres de sa sœur, Lucinda.
Quand je l’eu terminais, je m’approchai à grand pas de ma grande bibliothèque et appuyer sur un motif. Une porte secrète s’ouvrit sur les ténèbres. J’écoutais la vie dans le reste de la maison. Je n’en pouvais plus des rires ma femme et de mes filles.
Landry dormait.
Et moi, je n’avais qu’une seule envie, me perdre dans mon passé.
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