chapitre 3 : Sergueï
J’avais tenté plusieurs fois de prendre possession d’un corps. La pratique avait mi du temps, mais aujourd’hui, je pouvais rester moins de deux minutes dans certains corps. Hélas ce n’était jamais assez pour que je puisse m’évader.
En errant dans les couloirs vide, je tombai sur l’un des concierges. Il était là depuis peu de temps, et caractère doux en faisait un hôte idéal. Plus que doux, il était inoffensif, presque inexistant. Il me ressemblait dans sa façon de marcher nonchalamment dans l’académie. Personne n’y prêtait attention.
Je me concentrai comme lorsque j’essayais de faire bouger un objet. C’était moins compliqué que de posséder un corps, pendant un lapse de temps, mais toujours un travaille fatiguant. Je perdais beaucoup d’énergie.
Je m’approchais de Nacha, c’était son nom, et fis corps avec lui. Mon âme prenait ses dimensions et faisait reculer la sienne dans un coin reculer dans son esprit. La sensation n’était jamais la même selon l’hôte. L’intérieur de son corps était givrant. Si froid, que je me demandais comment il résistait, comment il parvenait à faire un pas sans greloter.
J’observais le hall avec ses yeux. Les couleurs étaient plus clairs au fond de ses prunelles. J’avançai. Il ne me repoussa pas. Il se laissa guider. Porter un corps était si lourd. Je m’adossai au mur, sachant que j’étais bien loin d’une possible sortie. En face de moi un miroir, comme il y en avait partout dans l’académie. Je me regardais longuement avant de donner du souffle à mon pouvoir. Dans le monde des rêves, j’avais envie d’épier un homme qui avait volé mon corps. À peine j’eus prononcé son nom que son visage -mon visage – apparut derrière le miroir. Ieugres. Ça m’étonnait toujours de le trouver dans ce monde où seule les être capable de sommeil pouvait se perdre.
Ieugres savait dormir. Il savait même rêver.
Le lien n’était finalement pas brisé comme je l’avais longtemps imaginé. Nous faisions toujours parti de l’autre. Mais voilà, à cette distance, dans un corps qui n’était pas le mien et sachant que mon double était plus coriace qu’un humain lambda, je savais la possession impossible. Je ne m’y tentais jamais. Mais j’étais conscient qu’il me ressentait.
Une vive douleur me contraint à fuir le corps hôte. Nacha reprenait vie et m’éjectait. Si j’avais un jour envie de partir, il me faudrait un hôte bien particulier. Un qui ne voulait plus vire ou bien un capable de partager son corps.
Nacha toucha sa poitrine, les sourcils froncés.
— Encore, murmura-t-il.
Il regarda autour de lui. Je souris. Il me cherchait. Et pour cause, depuis des années, une rumeur raconté qu’un fantôme hantait l’opéra et l’académie. On parlait d’un élève, mais moi je n’en étais plus un.
En abandonnant, Nacha, je me rendis sur l’aile sud. L’après-midi le soleil jouait avec les vitraux. Et les couleurs contre les murs devenaient un spectacle merveilleux.
Assis sur l’un des bancs qui longeaient les couloirs, dans le hall sud de l’académie, je cherchais un intérêt à la beauté que l’on ignorait. Plusieurs élèves étaient passé devant le spectacle des vitraux, sans même en apprécier l’instant. J’imaginais qu’à force de passer encore et encore devant le même spectacle, on n’était plus réceptif.
Je tournais la tête vers l’escalier qui menait au bureau de la directrice. Une jeune fille, chargée d’un grand rectangle en papier kraft, observait la beauté des murs. Sa bouche légèrement entrouverte et l’éclat admiratif dans son regard, me fit croire ce à quoi je venais de penser. À force de côtoyer la beauté, on finissait par la banaliser.
Au milieu, de l’escalier, la livreuse resta encore un moment statique, avant de croiser mon regard. Elle me fixa un instant avant de reporter ses yeux au plafond.
Je souris de surprise, sans illusion.
Sa charge devait être la commande de la directrice. Une nouvelle peinture.
Je me levai et montai l’escaliers, passant devant la jeune fille, encore contemplative des vitraux. Elle s’était penchée et avait tendu sa main devant elle. Sa peau était un arc-en-ciel de couleur. Elle ne me vit pas la dépasser et disparaitre derrière la plaque en bois de la porte.
Dans le bureau de la directrice, je me dirigeai au fond de la pièce afin de prendre du recul sur toutes les toiles qu’elle avait accroché à ses murs. C’était si différent d’avant.
On toqua à la porte.
— Entrée, commanda la femme au cheveux court et blond, assise dans son fauteuil.
La livreuse apparue avec le tableau. Elle salua la directrice et en me voyant, eut un mouvement à peine prospectable. Je la suivis du regard, perplexe. Elle présenta la toile couverte à la femme qui la découvrit presque immédiatement. Elle avait les yeux brillant d’une enfant et la même existassions. Elle retira le papier et découvrit la toile en la positionnant contre le bureau. Ce même bureau qui des années plutôt avait vu bien des horreurs. Si la directrice était une femme humble et agréable, il est vrai aussi que son prédécesseur était un homme vicieux, désagréable et avec une attirance toutes particulière pour les jeunes garçons. J’avais assisté à plusieurs supplices devant ce bureau. Dans les cris étouffés, j’essayai de sauver le plus de jeunes danseurs du prédateur qu’était le directeur. Un jour, j’avais réussi à posséder Dimétrie, un jeune adolescent de quatorze ans. Il subissait le directeur depuis des années. Il en était arrivé à ne plus résister et s’allongeait de lui-même sur le bureau. Quand il était comme ça, je pouvais revêtir son corps, mais il me fallait prendre aussi le contrôle.
Dimétrie, qui m’avait servi d’hôte, était devenu un soulier de chair, et lorsque le directeur enfilait ce soulier, je redevenais le cordonnier. Ainsi, un soir, grâce à l’anéantissement d’une âme, je parvins à défenestrer le directeur et à sauver le garçon qui pleurait nu sur le planché. Deux minutes, étaient le temps qu’il m’avait fallu pour l’aider, pour qu’il me cède un instant la totalité de son corps.
Je n’avais plus jamais revue Dimétrie.
— C’est magnifique, s’extasia la femme en détaillant la peinture.
Et ça l’était. Les peinture de Séverin était toujours emprunte d’un aspect horrifique derrière la beauté de ses visages, de ses paysages. La directrice en était friande. Et j’adorai admirer les toiles avec ces immenses fleurs.
— Mon maître vous fait savoir que les prochaines commandes seront bientôt terminées.
La directrice hocha la tête.
— A-t-il changé d’avis concernant la peinture du jeune danseur ?
— Malheureusement, il ne la vendra pas. Il m’a dit, que jamais vous n’auriez dû la voir. Il en est très attaché.
— Et je comprends son attachement, c’est une petite peinture avec énormément d’émotions. Merci, jeune fille. Voici une lettre pour ton Maître, une nouvelle commande personnelle. Tiens, c’est pour toi.
La femme sortie un sachet où je savais que des friandises étaient regroupé. Elle lui tendit avec une pièce et un sourire affectueux.
La jeune fille la remercia platement, avant de se tourner vers moi. Elle posa son regard dans le mien. Je souris à nouveau. J’avais vraiment l’impression qu’elle ne fixait. Pourquoi ne lâchait-elle pas mon regard ?
Ses grands yeux bruns devinrent totalement noirs, avant de reprendre ce teint brun.
Elle se détourna de moi. Je contemplais sa démarche hésitante et la maigreur de son corps. La chemise qu’elle portait était bien trop large et son pantalon, trop court. Je lui voyais les os des chevilles et une pilosité aussi fournie que la tignasse de boucle qu’elle avait pour cheveux. Ils étaient tout aussi brun que ses yeux et lui courraient sur les hanches. Sa pâleur rendait ses sourcils sombre et épais plus prononcé. Elle n’était pas jolie, mais elle avait un truc qui retenait le regard. Un charme qu’elle ne distinguait pas encore. Et que les années embelliront.
En sortant du bureau, elle me jeta un dernier regard. À moi ou bien la fenêtre qui donnait sur la bâtisse d’une horlogerie ? Avait-elle regardé l’heure ?
Je ne savais pas.
Ces yeux.
Avais-je rêvé ?
Est-ce que mon enfermement me faisait à nouveau délirer, ou bien cette grande asperge décharnée m’avait vu ? Était-ce seulement possible ?
Je dépassai la toile où un paysage de nuages embrassé un autre univers et glissai ma masse vaporeuse derrière la plaque en bois. Accoudé à la rembarre, je posais un regard perplexe sur la livreuse.
Elle descendait les marches deux parts deux.
Elle semblait pressée.
— Je me contenterai de Nacha. On dirait que tu es juste obsédée par l’heure, dis-je plus à moi-même qu’à qui que se soit. À force d’expérience, je finirais bien par sortir.
Il se trouvait que je ne pouvais posséder que les personnes avec un passé lourd en mauvaise émotions et avec une âme affaiblie.
Si Nacha me laissait en lui plus de deux minutes, peut-être pourrai-je partir. Mais avec Nacha, la possession n’était jamais au bon moment. Quand il n’avait pas de balais en mains et l’esprit loin dans ses pensées, toutes tentatives échouaient.
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