chapitre 6 : Ludwig
— Tu t’es enfin décidé à venir !
Les bras grands ouverts Lananette m’accueillit avec ce sourire grandiose qui me rappelait la bonté de sa jeunesse. Une bonté qu’elle n’avait jamais oubliée. Je reconnu sa vieille tante Alpine assise dans un fauteuil. Elle buvait son thé. Cette femme ne changeait pas. Le temps n’avait pas raison de sa beauté usée par un quotidien déplaisant.
— On dirait bien. Les événements m’ont poussé à revoir mes fréquentations.
— Et c’est une bonne chose, me surprit la voix de ma sœur.
Mary-Lou passa la main sur ma taille, avant de m’embrasser et de me présenter l’homme qui l’accompagnait.
Ludwig, je te présente Vadigue. Mon cher Vadigue, mon frère. Je pense que vous avez de quoi vous raconter un tas d’histoires. Moi, je vais me rendre vers cette charmante potière, avec ma charmante amie.
Les deux amies se mirent à faire les idiotes en des salues théâtraux et maniérés. À force de faire de ridicules courbettes et à rire comme des enfants, Lananette faillit faire tomber son serpent. Je ne savais pas l’espèce exacte de ce serpent mais lui aussi durait dans le temp. Il me faisait systématiquement froid dans le dos. Son œil valide vous fixait avec l’intensité de la mort. C’était effrayant. Mais Lananette semblait voir en lui un pauvre animal abandonné et câlin.
Elles partirent bras-dessus, bras-dessous en marchand grotesquement avant de rire comme deux adolescentes qu’elles étaient encore.
— Voilà, deux amies qui se sont restées fidéles.
Vadigue se tourna vers moi, une main tendue.
— Vadigue Rakaouve, se présenta-t-il avec un prestance toute magnétique.
— Monsieur, ces deux « jeunes filles » sont comme cul et chemise. Impossible de savoir ce qu’elles préparent dans leur petite tête d’ancienne ballerine. Ravie. Ludwig. Juste Ludwig.
— Eh bien, juste Ludwig, votre sœur m’a dit que vous étiez, vous aussi, un servant admirateur du Maître Morias.
— Eh bien, ma foi, ma sœur doit avoir raison.
Je ris. Il m’imita.
Un son particulier cliquant et vrai sortit de ses lèvres brunes. Des lèvres séduisantes.
Vadigue avait ce charme des personnes venant de l’est. Une peau mate, à peine abîmé par une adolescence désavantageuse, des yeux d’un vert saisissant, si profond que j’aurais pu m’y perdre. Je pourrai m’y perdre par désespoir dans voir des plus claire.
Il portait de belles boucles noires, courtes qui rendait son visage doux et princier.
Ma sœur avait-elle d’autres projets que de me faire rencontrer un autre admirateur de Séverin ? Elle connait mes goûts en matière d’homme. Vadigue avait cette prestance que je n’ignorerai pas indéfiniment.
Il m’invita à passer dans le grand salon où les artistes exposaient.
Je marchais à ses côtés écoutant le son grave de sa voix m’apprendre que la vasque devant nous lui rappelait seul de son grand-oncle. Un homme très raffiné et qui aimait les belles choses.
Nous passâmes d’un artiste à l’autre, observateur de leur travail, de leur passion, avant que nous ne nous rapprochions d’une fenêtre. Le ciel portait tant de nuages en son sein. Les couleurs y étaient douces et réconfortantes, dans des nuanciers de rose et d’orange. Il y aurait du vent le lendemain.
— Le ciel, aujourd’hui ressemble à si méprendre à l’une des toiles du maître. Hum… comment est-ce déjà l’intitulé ?
— « Une douce promenade céleste », lui rappelai-je pensivement.
— Oui, c’est cela. Il parait que sa nouvelle exposition a été repoussé. Qu’elle dommage. Il parait, pour ceux qui on put la voir en avant-première, qu’elle prend aux tripes. Un appel à regarder nos actions en face. Un crime envers le corps d’un autre. Je trouve cet artiste si investie et diverses.
Je ne ratais pas son accent. La façon dont il adoucissait les « r ».
— Séverin est un homme compliqué qui cherche de multiple chemin vers un apaisement… il est travailleur, acharné. Il faut qu’il fasse passer un message. C’était vrai quand il dansait. Ses mouvements racontaient des histoires au public.
— Avez-vous assisté à un de ses ballets ?
— Oui. J’ai été un de ses partenaires.
— Vraiment. Je ne savais pas. Votre sœur n’est pas aussi bavarde qu’on ne le dit.
— Pas sur ce sujet.
En voyant que je n’en dirais pas plus, Vadigue, eu la politesse de changer de sujet et de s’ouvrir à moi sur la peinture qui me transcendait.
— Voyez cher Ludwig, je n’aime pas tant la couleur, en s’est marrant de l’entendre dire d’une personne qui porte des habits aussi colorés que les miens, mais j’ai besoin de ressentir la peinture, pleinement. La collection des « astres » et celle que j’ai pu voir au Janoni, ce pays peint de mystère et de ses gens en kimono, sont mes préférés. On y parle de douceur et de repose, d’introspection et de besoin de s’évader vers l’imaginaire. Vers quelque chose que seul notre cœur peut toucher en gardant les yeux fermés face au monde de tous les jours.
Un virtuose des mots. Était-il poète à ses heures solitaires ?
Je l’écoutais me parler des peintures qui révolutionnait son cœur, et sans m’en rendre compte je parlais avec lui de ce que les peinture de Séverin me prodiguait. L’impression de n’être jamais loin de lui.
Votre amitié devait être belle.
Notre amitié… Notre amour.
Il n’y avait rien de beau entre Séverin et moi. Une toxicité impossible à guérir. Un amour violent… peut-être pouvait-on dire qu’il était beau à certains égard.
— Oui. Une amitié qui a disparu avec un accident terrible.
Je m’arrêtai là. Vadigue se pencha sur mon veston.
— Cet insigne ? Ne me dite pas que vous êtes un membre de ce club.
Je baissai la tête sur mon veston avant de froncer les yeux. Je ne l’avais pas vu. D’un geste très précis, je retirai l’insigne et le jetai dans un verre qui trainait sur le côté.
— Plus depuis ma dernière dispute avec l’un des membres.
C’est une bonne chose. J’ai pu discuter il y a peu de temps avec l’un de vos anciens membres. Comment vous dire que j’ai très peu apprécié ce qu’il me racontait.
— Puis-je en savoir plus ?
— Oh, bien sûr. Il me racontait les aventures illégales et sans doute, inventés de toutes pièces du Maître Morias. Des choses ignobles et cela devant une de ses toiles, avec un grand sourire. Et cela pas plus tard que la scène dernière. Au nouvel hôtel. Il va sans dire que j’ai rappelé ce monsieur à l’ordre. Ce n’est malheureusement pas la seule fois où j’ai eu à écouter de vilains mensonges, et pas seulement du maître, mais d’autres artistes. Vous ne le savez peut-être pas, par votre candeur, mais votre ancien club n’est pas apprécié de beaucoup.
— Oui, j’ai cru longtemps que les gens se méprenaient. Puis il y a peu, j’ai appris que j’étais le seul à me méprendre sur les individues que je fréquentais. Il était temps d’ouvrir les yeux.
J’avais reçu une lettre de décès la veille. Un membre de mon club était décédé. Pas le plus sage. Par respect pour sa femme, je mis rendrais.
Je ne me désolais pas de l’événement. Comment le pourrais-je ?
— Dites-moi, Ludwig, que diriez-vous de m’accompagner lorsque l’exposition aura une nouvelle date ?
— Eh bien, j’en serai enchanté.
Je souris à Vadigue. Avais-je trouvé un nouveau complice ?
— Vous reverrai-je jeudi prochain, Ludwig ?
— Avec plaisir.
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