Chapitre 10 : Sergueï
La livreuse était revenue. Elle se tenait dans les escaliers. J’étais au bas et attendais qu’elle en descende. À mesure qu’elle s’approchait de moi, ses yeux changeaient de couleur. Une vague noire emporta son regard dans une rotation bien particulière aux sorcier d’Hongoria.
Je regardais autour de nous, qu’il n’y ait pas de témoin. Je m’inquiétai de pas grand-chose. La génération qui côtoyait l’académie semblait pour une grande partie croire que les sorciers étaient des histoires un peu folles que certaines personnes utilisaient pour en terrifier d’autre. Des histoires tirées par les cheveux pour excuser des crimes sordides contre l’humanités, pour expliquer pourquoi il y avait encore des milices dans les rues… Le monde changeait d’une singulière façon. Tout était remis en question à longueur de temps. Plus la science se frayait un chemin d’ampleurs, plus la magie devenait moindre. Plus les gens se faisaient leur propre opinion.
La jeune fille posa son regard dans le miens avec un hochement de tête. Elle portait une nouvelle chemise ample et son pantalon trop court. Ses cheveux étaient retenus par un ruban. Des boucles s’en échappaient, éparpillés sur son front et dans son cou.
Je la saluai avant de lui barrer la route. Personne dans les environs.
— Tu ferais mieux de prendre garde.
Elle fronça les sourcils. Pas de crainte.
— Et peut-on savoir pourquoi ?
Je lisais du dédain dans l’éclat de ses yeux. Ils avaient repris cette couleur brune. Ses sourcils s’étaient haussés.
— Parce que tu portes en toi un pouvoir particulier et qui pourrait te couter la vie si tu rencontrais la mauvaise personne.
— Un pouvoir particulier ? Vous vous sentez bien ? Pardonnez-moi, je suis de ceux qui ne croient pas en ces histoires.
— Je vois. Alors, cela va te paraître abrupte, mais je ne suis pas fait de chair et de sang. Plus depuis des années. Qui passerait ici et te verrais, penserait que tu parles seule.
— Bien sûre.
Elle me passa à côté, en secouant la tête, et continua sa route.
— Je conviens que le discours que je te tiens est étrange, mais jeune fille, tu es différent de tes paires. Tu as un don. Un pouvoir. Tu parviens à me voir. Tu vois les âmes errantes. Pas celles qui ont rejoint un ailleurs, mais celles coincées. Je suis l’une d’elle. Et je pense que tu pourrais me sauver. Je crois que tu appartiens à un groupe bien particulier. Sans m’avancer, tu es un hôte de choix. Un médium. Tu ressens le danger, et peux le manipuler.
Elle s’arrêta brusquement pour se retourner vers moi, un doigt sévère pointé sur moi.
— Écoutez bien, j’ai beau venir du bas peuple, je n’en suis pas moins éduquée, et je n’aime pas que l’on me prenne pour une idiote. Est-ce bien clair ? Vous devriez arrêtez de faire des plaisanteries douteuses. À votre âge, ce n’est pas sérieux.
J’avais décliné le regard vers deux danseurs qui observaient la scène. La jeune fille ne les avait pas vu. Ils la fixaient comme si elle était folle.
Et parce qu’elle continua à me sermonnera, l’un d’eux s’approcha doucement.
— Excuse-moi, à qui parles-tu ? Tu… tu te sens mal ? Veux-tu que l’on t’amène à l’infirmerie ? As-tu pris les pilules ? Celles qu’on dit énergétique ? Elles… il ne faut plus en prendre.
Le jeune danseur lui sourit avec hésitation en lui tendant une main généreuse. Je n’aurais jamais tendu la mienne à une personne qui parler seule. Mais il avait raison, s’il prenait la jeune fille pour une élève, il était prévenant de lui rappeler que les médicaments fortifiants qui circuler dans l’académie avaient des effets secondaires peu appréciable.
Elle posa sur lui un regard sombre et froid.
— Parce qu’en plus vous vous payez la tête des gens à plusieurs ?
Elle se détourna de nous et déboula dans un autre couloir. Je m’y étais pris, semblait-il, mal, mais je marchais sur ses talons. Je ne pouvais pas passer à coter de cette aubaine.
Les poings serrés, le visage crispé de colère, la livreuse se dirigeait vers l’entrée.
— S’il te plait, réfléchie à ce que je viens de te révéler. Je ne suis visible que de toi. Et si tu as l’indulgence de m’aider, tu pourras me trouver devant les vitraux chaque après-midi. J’ai besoin de sortir d’ici. De retrouver mon corps, qu’un jour, mon ombre m’a volé. Prends garde à ton double, s’il se manifeste…
Je ne pouvais dire si elle m’avait écouté ou si les mots lui passaient au-dessus de la tête. J’avais un fin espoir de côtoyer à nouveau le monde. Et s’il fallait supplier, je n’avais plus aucune honte de le faire. Dans ma position, mon égo ne ferait que me desservir.
Je la regardais passer la porte et se perdre dans la foule. À nouveau, je fus coupé du monde. Ieugres… est-ce que je te manque comme tu me manques ? Ne viendras-tu jamais de toi-même pour me délivrer ? Penses-tu que j’ai périe ? Qu’est-ce qu’un ombre n’est dans l’envers sait de la mort, ici ? Tu m’as dit un jour que seul mon corps de chair pouvait te retenir dans ce monde en couleur. Tôt ou tard nous aurions été séparé. Est-ce encore se que tu te dis ?
Perdu dans mes pensées, dans mon passé, je retournais devant l’escalier. Qu’avait-elle livré ?
***
Cela faisait des heures, que j’admirais la nouvelle acquisition de la directrice. Elle était partie depuis un moment. Un silence religieux inondait l’académie. À une époque, ce calme me rendait fou. Aujourd’hui, je le voyais comme un ami que l’on ignore.
Adossé au mur, j’essayai de comprendre pour deux petites filles avaient été peinte. La directrice n’avait pas d’enfants. Pas à ma connaissance, pas à celles de personnes qui travaillaient ici. Et pourtant, les enfants avaient de beaux cheveux blonds. La signature m’indiquait que Séverin était l’artiste. Un artiste qui savait faire vivre ses toiles au point que les admirateurs devaient rester accroché des heures devant ses peinture…
Cette lumière trop profonde qui englobait l’œuvre m’apprenait une chose qui me peina. Qui que les fillettes soient, elles n’étaient plus de ce monde. Concentrées sur leur occupation, elles ne se doutaient de rien, impliquées dans leur passion. L’une construisait un édifice avec des morceaux de cartons peint, l’autre écrivait dans son carnet. Chacune d’elle souriait. Comme si elles communiquaient malgré leur tâche.
Est-ce que Séverin savait ressusciter les morts ?
Je les voyais presque bouger. J’entends presque leur murmure en conversation.
J’aimerais savoir ce qu’il y a dans ta tête…Savoir ce que tu es devenu. Comment tu as grandi avec une jambe en moins. Pourquoi me parais-tu si posé, si indulgeant… tant de compréhension ? Est-ce moi qui t’ais changé ? T’ai-je amputé de ton arrogance, de ta méchanceté… de ce qui faisait tes peurs ? J’aimerais me reconnecter à toi. Revenir à l’intérieur de ton corps, de tes rêves. Mais le lien c’est coupé… Tu l’as fait brûler. Combien ton pouvoir doit être précis pour avoir vu le lien qui nous unissait. Toi aussi tu vois des choses. Tu vois au-delà des cœurs. Tu te rappelle des histoires qui ne sont pas les tiennes. Oui… Sinon, comment parviendrais-tu à peindre des mouvements, des sons, des odeurs… ?
Séverin avait eu pour modèle une photographie en noir et blanc. Une image figeait. Alors comment pouvait-il créer une scène au-delà de la photo ?
J’avançais jusqu’au bureau, m’assis dans le fauteuil et attrapai le journal pour en feuilleter les pages. Les journaux étaient ce que je maniai le mieux depuis des années.
Un sourire se forma sur mes lèvres lorsque je tombais sur l’article. Si le Loup sévissait toujours, un nouveau tueur en série venait d’immerger dans la capitale. Et pas n’importe lequel... À la lecture, je compris que ce tueur semblait vouer une admiration meurtrière à Séverin.
Décidemment, tu nous attires. Qu’as-tu fait cette fois-ci ? Pour que l’on tue pour toi ?
Ce que j’aimerais pouvoir me placer devant Séverin et observer son environnement. Il devait être prodigieux. Plus que je ne le pensais.
Un œil vers le ciel étoilé, et je rêvais que la jeune livreuse vienne me chercher. Elle reviendrait de toute évidence. La directrice avait une dernière commande chez le Maître. Je tenterai de la convaincre en jouant sur sa sensibilité. La première fois qu’elle avait apporté une toile, elle l’avait longuement regardé en écoutant la directrice. Si je me fiais à son vêtement un peu moins usé, peut-être avait-elle reçu sa paye ou bien un cadeau de son maître. La chemise quelle portait était semblable à celles qu’utilisaient les peintres.
— Jouons sur la corde sensible et voyons si tu mords. Avec une ombre de chance, tu te laisseras tenter par quelques paroles bien tournées.
Je ne voulais rien de plus que sortir à l’air libre.
Retrouver mon corps, et celui qui me l’avait volé. Bien sûr, je chercherais un corps pour me sustenter. Peu importe qui ou quoi, dès l’instant où je pourrais déambuler à ma guise dans les rues.
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