Chapitre 11 : Lalia
Je saluai l’agent de police qui surveillait l’entrée de l’atelier. Il me laissa passé dans le long couloir, me suivie du regard jusqu’à ce que je monte les escaliers.
En atteignant le premier étage, J’entendis un autre agent rendre des comptes au téléphone dans l’angle d’un nouveau corridor. Pas moins de trois agents gardaient l’appartement. Cette vieille bâtisse décrépite qui se cachait entre deux bâtiments. En face se trouvait une ruelle sombre où les rayons de lune passaient. Lorsque j’étais encore dans le coin, j’aimais les observer. Ils me promettaient une porte vers un ailleurs. Un mystère à éclaircir.
Je croisais le dernier agents, posté devant la porte des salles de peintures. L’inspecteur Tae nous avait prévenu qu’un ajout deux autres policier serait à prévoir. Depuis qu’une huitième victime fut retrouver assassiné chez elle, la surveillance était plus que nécessaire. C’était à se demander ce qu’ils les attendaient tous en restant trop proche du Maitre. Au moins, un garde me ramenait chez moi. Je retournais, chaque soir, sous bonne escorte dans le magasin de jouet que m’avait légué mon grand-père.
Je soupirai en passant devant David, l’un des apprentis du Maitre. Il s’appliquait en silence à reproduire une toile. Même un œil expert n’aurait pu déterminer quelle toile était l’original. Je restai un instant à contempler le jeune artiste. Il avait une mine monstrueusement pathétique. Toujours le regard dans le vague même lorsqu’il peignait. On aurait dit que la vie l’indifférait. C’était un corps avec une âme trop faible.
Une âme…
— Est-ce bien un fantôme avec qui j’ai parlé ?
— Tu te remets à parler toute seule, Lalia ?
Une main se posa sur mon épaule. Depuis que le Maître avait changé de prothèse à sa jambe, je ne l’entendais plus s’approcher. J’étais distraite aussi. Plus qu’à l’accoutumé.
— On dirait bien.
Je le saluai, attendant qu’il me donne du travail.
Il avança jusqu’à son bureau et me tendit des feuilles, ainsi qu’une main en bois articulée.
Il n’y a plus de livraison et l’atelier est propre. Pour le reste de la journée, exerces-toi à dessine les mains. C’est là ta plus grosse lacune.
Même si je n’étais pas son apprenti, le maître me donnait des cours, parfois. Je ne le remercierai jamais assez de m’avoir sauvé de la rue, de m’avoir tendu la main quand j’allais perdre le magasin dont j’avais hérité à la mort de grand-père. Ce jour, où il s’était penché sur les dessins disposés à même le sol et qu’il en avait pointé un du doigt en me demandant : « c’est toi qui les dessines ? », me restera gravé dans l’esprit à vie. J’avais hoché la tête.
Combien, avait-il dit.
Un sou.
Un ?
Ses sourcils froncés m’indiquaient son mécontentement. J’avais donc baissé le prix, songeant qu’il se pouvait que se soit trop cher. Un sous était pourtant bien peu pour payer les charges du magasin. Être propriétaire ne voulait pas dire ne plus devoir de l’argent. Loin de là.
Ne brade pas ton bon travail. Ce serait te manquer de respect.
Il s’était approché du dessin, appliqué dans sa contemplation. En as-tu d’autre des comme celui-ci ?
J’avais hoché la tête et avais sorti de ma sacoche usée trois autres dessins. Chacun représentait un squelette d’animal et son âme, toujours enroulé d’une luxuriante végétation.
Je les lui avais présentés. Il m’avait souri.
Voilà un sacré talent et une touche bien à toi. De combien aurais-tu besoin pour t’en sortir ?
Le maître n’était point une personne idiote. Il observait et il comprenait.
J’avais secoué la tête.
Je ne veux pas que vous me fassiez la charité.
Aucune charité n’était gratuite. J’en avais fait les frais des semaines auparavant. Des actions dont j’étais bien fière, mais auxquels je m’étais abaissé à faire.
Je ne te fais pas la charité, mais je comprends où tu veux en venir. Pour les cartes dessins je t’offres cent-cinquante sous et en prime, je te propose ceci. J’ai besoin d’une livreuse, la mienne étant partie pour un voyage « extraordinaire ». Elle ne reviendra pas avant un bon moment, peut-être jamais. Quand dis-tu ?
Je me dis que vous n’êtes pas bien raisonnable. Savez-vous combien coûte une de vos toiles ? Il faut la confier à quelqu’un de confiance.
T’en crois-tu incapable ?
Jamais je n’aurais pris ce qui ne m’appartenait pas, même avec la faim au ventre. C’était une question d’éducation et surtout d’ego. Ma fierté m’empêchait de prendre ce qui ne m’était pas dû.
Il avait tiré plusieurs billets de sa poche et m’avait tendu les cent-cinquante sous avant de prendre les quatre illustrations. Avant de partir, il m’avait donné son adressé et une heure. J’avais hésité, puis en rentrant dans mon magasin et en me dirigeant vers la pièce du fond, où j’avais aménagé un lit, je m’étais senti minable de vivre comme un rat. Le soir même, un représentant de la loi était venu et je m’étais acquitté de la moitié de ce que je devais. « Je reviendrais le mois prochain, pour le reste du versement », avait-il annoncé.
C’était ainsi que les agents venaient récupérer les taxes foncières des mauvais payeurs. On n’arrêtait de nous faire confiance en nous envoyant une simple facture à payer avant une date boutoir.
Je récupérai le matériel et partie dans une autre salle de l’atelier pour me mettre à l’ouvrage. Il était vrai, que j’avais énormément de mal à dessiner une main.
Dans le silence, je pris place devant un bureau et m’exerçais jusque tard. Quand le soleil déclina, je redressais la tête. Les croquis de main avaient cédé la place à un visage fantomatique… L’homme de l’académie.
J’expirai profondément remarquant le tressautement de ma jambe. Est-ce que tout le monde voyait les âmes de mort ? Cet amas de couleur qui frétillait tout autour du corps avait de s’envoler ? Elle n’avait jamais osé le demander à qui que se soit.
De l’homme aux cheveux blonds et aux boucles soyeuses émanait une fine lumière grisâtre.
— Une sorcière ?
J’en frémis, me remémorant les histoires horribles que grand-père racontaient à propose d’une immense prison à Hongoria, le pays des sorciers… Elle retenait le pire du pire selon grand-père. Il racontait qu’il avait déjà rencontré des sorciers. Il expliquait que pour les reconnaître il fallait les fixer longuement dans les yeux. Si pendant quelques instants ils devaient complétement noir, c’est qu’un pouvoir habité l’hôte.
J’avais beau l’écouter, je n’y croyais pas. Je ne croyais pas en ce que je ne voyais pas. Un héritage de mes parents. Peut-être étais-je déjà trop grande pour lui donner la possibilité de m’atteindre ? J’étais arrivé chez grand-père à treize ans après le décès de mes parents. Je ne l’avais pas souvent vu de toutes ses années. Mes parents voyageaient sans jamais vouloir se poser. J’étais entrain dans la maison d’un homme au contour flou dans mon esprit.
— Foutaise, soufflais-je pour moi-même.
Quoi donc ?
Je me tournais en sursaut. David, l’apprenti, était debout en plein milieu de la pièce. Il se détourna de moi, attendant ma réponse et se dirigea vers la fenêtre. Lui aussi aimait bien regarder la ruelle en face. Mais lui préférait la courbe des rayons du soleil quand moi, j’admirais celles de la lune.
Il posa la paume sur les carreaux de la vitre.
J’ai la sensation que mon corps devient comme de la glace, m’avoua-t-il.
Mets un manteau, dis-je seulement.
Depuis que je le côtoyais, je ne l’avais jamais vu sourire, pas même aux baisers que lui offerts le Maitre, son amant. Je n’aurais pas été insensible aux lèvres du maitre s’il les avait déposés sur les miennes. J’en aurais probablement rougi. Mais David, lui, ne montrait aucune expression. Il était ailleurs, toujours triste, avec si peu d’énergie et un silence au bout des lèvres. Les médicaments qu’il prenait ne semblaient pas très utile et les efforts du maître pour le faire vivre n’était que de simple sursaut, vites effacés. Un autre apprenti m’avait glissé à l’oreille que la maladie dont souffrait David portait le nom de dépression. C’était nouveau, ou plutôt avait-on mit un mot sur un maux. L’esprit était si complexe.
Il partit, ignorant finalement la réponse qui n’arrivait pas.
Les sorciers, la magie, n’était le vestige que des profiteurs du passé. Comme ces racontars sur le monde de l’envers et des Toleïmins qui gâchaient parfois le paysage rural. Ces espèces de cylindre immenses et sombres. Comme des apparitions… Il y avait des choses à comprendre, certes, mais cela requérait à la science.
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