14: lalia
C’était une sensation étrange de tenir une autre âme à l’intérieur de mon corps. Une lourdeur, comme un manteau de plomb sur mes épaules. Je n’avais jamais remarqué combien une âme pouvais peser sur un corps. J’étais habitué à la mienne.
Il y avait ce froid constant, qui me rappelait en permanence qu’un autre était accroché à moi. Je ressentais presque tout. Tout ce qu’il ne parvenait pas à qu’analyser.
Sergueï avait emporté une ombre à l’intérieure de moi. Je me sentais triste inexplicablement. Seule. Aussi.
Je devinais que ces émotions ne m’appartenaient pas, mais elles impactaient sur mon moral et sur tout ce que je créais. Mes croquis, même si le Maître me donnait un sujet, semblaient sortir d’un endroit sombre.
J’avais apprécié le moment où Sergueï avait terminé de rafistoler la poupée articuler. Un jouet sur lequel mon grand-père travaillé avant de décédé. Il y avait encore de quoi l’améliorer. Alors, je laissais mon corps à Sergueï le temps que je dorme. Le matin, je le retrouvais dans l’atelier. Il remettait en état des jouets.
En rentrant chez moi -j’avais terminé ma journée -, je retrouvais la poupée géante déambuler dans le magasin de jouet. J’avais encore du mal à me dire que bientôt cet endroit serait à nouveau animé. Sergueï ‘avait convaincu de le rouvrir. Il en tiendrait les rennes quand je serais au travail. Je lui faisais confiance à la limite de mon possible. Après tout, tueur ou non, il avait fait revivre l’âme même de mon grand-père. Les étagères anciennement poussiéreuses avaient été vernis, et des boîtes à musique, des voiturettes, des peluches et autres jouets, patientaient.
Sergueï avait de la magie dans les doigts. Et même si ces doigts étaient en métal.
Je l’observais marcher d’un point à l’autre, dans la petite surface. Il avait repeint les fresques et épousseté les tapis. La caisse-enregistreuse, était à nouveau fonctionnelle. En me tournant vers le comptoir, je trouvais un espace encore vide.
— Pourquoi ne pas avoir mi d’autre jouets, ici ?
Sergueï se redressa devant la vitrine encore caché sous les journaux.
— J’y mettrai mes propres confections.
Je n’avais fait attention au visage de la poupée. Il l’avait recouvert d’un masque, plus vrai que nature. Avec quel matériel ? était-il sorti ? Comment avait-il payé ?
Peut-être était-ce parce qu’il avait vécu une bonne semaine dans mon corps qu’il me répondit. À moins, qu’il sache lire les expressions sur mon visage. Celles qui transparaissaient.
— Je suis quelqu’un de prévoyant. J’avais de l’argent entreposé chez une tenancière. Par chance, elle était encore en vie. Avec une cape dessuée et après avoir refait fonctionner le mécanisme vocal de la poupée, il ne m’a pas suffi de beaucoup pour acheter ce dont j’avais besoin et de revenir rapidement.
— Tu veux dire que personne n’a remarqué qu’il parlait à une poupée ?
— Disons plutôt, qu’ils n’avaient pas envie de s’en préoccuper.
Ces connaissances étaient douteuses, mais je ne m’en formalisais pas. Comme il venait de le dire, les gens de l’ombre ne se préoccupaient pas de aitres ou de leur affaire, à moins qu’elles soient profitables.
J’avançais jusqu’au comptoir, touché le cuir disposé dessus, et avisais le matériel.
— Ce n’est pas de toute jeunesse mais ça me permettra de concevoir des chaussures, avoua-t-il.
Je fronçais les sourcils, une mimique qui me collait au visage.
— Comptes-tu reprendre tes activités ?
Je parlais de ses crimes ? Avais-je envie de vivre, même pour peu de temps, avec un tueur ? Est-ce que ça me sentirait coupable ?
Etais-je une personne bien saine d’esprit ? Plus depuis la mort de grand-père. Plus depuis le retour de ma tante et son mari. Plus depuis, qu’ils avaient fait de moi une mendiante, une esclave, et qu’ils avaient vendu mon bien. L’appartement où je vivais il y a encore deux ans avec grand-père. Ils en avaient eut un bon prix, puis était parti avant que j’ai eu fêté mes dix-huit ans. Des tuteurs ? Des profiteurs ! Je ne leur pardonnerais pas d’avoir fait de moi, cette femme négligée et avec la peau sur les os.
— Cela te poserait-il un souci de conscience ?
— Je ne sais pas. J’imagine que si je ne sais rien, alors je ne joue pas de rôle.
— Fermer les yeux est louable.
— Alors je les fermerai. Mais n’oublie pas notre pacte.
— Je ne l’oubli pas. Je réfléchis.
— Tu n’as pas besoin d’y penser si fort. Juste un objet qui te permettra de trouver le tueur et de libérer mon maître.
Sergueï s’assit sur la chaise derrière le comptoir. Son masque ne permettait aucune expression. Il était figé dans un seul mouvement, celui d’une bouche qui s’ouvrait pour donner l’illusion que la poupée parlait vraiment. Ce masque ressemblait en tout point au visage de l’homme.
— Pourquoi l’appeler maître jusque chez toi ? Ne peux-tu pas l’appeler par son Nom ou son prénom, quand tu me parles de lui ?
— Souvent il m’a demandé de l’appeler Séverin, comme tout le monde le fait, mais je n’y arrive pas.
— Pourquoi ? Tu n’es pas son esclave, pour le nommer Maître. Parce qu’en t’entendant le dire, je n’ai pas la sensation que tu souligne sa profession, ai-je tort ?
Sergueï prit en coupe son visage. La perruque qui coulait sur ses épaules, était brune, alors que lui était si blond.
— Parle-moi de toi, Lalia. Dis-moi ce qui a rendu ton visage si fermé ?
— Comment ? Tu ne sais pas.
— Je ne suis pas devin.
— Tu es resté une semaine à l’intérieure de moi. N’as-tu fouiné ?
— Fouiné ? Je crois que tu n’as pas bien conscience de qui tu es. Ton pouvoir me permet d’obtenir un corps, il est vrai, mais tu le temps que j’ai été en toi, je n’ai vu que des portes fermées et des couloirs suffisamment sombres pour vouloir les explorer. Je ne t’ai pas possédé et c’est tout la mon incapacité à savoir qui tu es.
— Vraiment ?
Alors, c’est ça un hôte. Rien de plus. On voit des âmes errantes, on leur propose notre corps pour une durée déterminées et ensuite on leur trouve un corps en bonne état avec une âme au bord de la fin.
— Je ne comprends pas l’intérêt d’avoir un pouvoir comme le mien.
Je cru entendre un rire s’échapper des lèvres figées de la poupée. Les sons qu’elle produisait n’étaient en rien rassurant.
— Les sorciers d’Hongoria arrivent à leur fin. Regarde, même toi, sorcière, tu es de ces gens qui envoient valser au loin la magie. Bientôt la magie partira de ses terres. Je me voie volontiers déserté Eurobia et partir ailleurs.
— Ailleurs ? Où donc ? Les îles sauvages dont personne ne revient jamais, les terres de souffre où on devient complétement fou ou les terres de glace. Des températures impossibles et des animaux gigantesques.
— C’est une vérité que je n’oublie pas. Mais tu change de sujets. Qui t’as rendu ainsi ?
Je haussais les épaules.
— La malchance.
— Mais encore ? Je te jure de ne pas tuer, si tu ne m’en donne pas la permission. J’ai déjà quelques cibles.
— En si peu de temps ?
— Sais-tu combien la nuit, parle mieux que le jour ?
— Je le sais.
Il voulait me délier la langue. Soit pour m’apaiser, soit pour ajouter des noms sur sa prochaines listes.
Quelque part, j’aurais aimé pouvoir vomir tous ces jours qui ont précédé la mort de mon cher grand-père. Un homme bien. Un homme sage.
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