18 : Ludwig
— Tu as du goût, c’est indéniable.
Je passais d’une sculpture à une autre, observant les tableaux et souriant aux étranges mais adorables fresques murales. Des animaux souriant et hilarant, pourtant rapiécés et mal en point.
Vadigue avait un goût prononcé pour l’art d’entrepôt, comme on le nommait, mais il aimait bien d’autres courant artistique. Son salon était un lieu fourmillant d’un mélange de style étonnant. Cela prouvait qu’il serait un amant parfait pour le curieux que je suis.
Je continuai mon ascension, admiratif devant les œuvres de Vadigue. Lui, excellait dans l’art de tordre des tiges de fer. Lors d’un salon organisé par Lananette, il m’en avait fait la démonstration. Cette façon qu’il avait de tordre les tiges de laiton autour de celle en fer, m’avait laissé songeur. Tant de dextérité dans un geste.
Plus loin, dans un recoin, je me laissais happé par deux toiles. Elles étaient mises à l’écart. Pas pour les cacher, mais pour leur donner plus d’espace. Elles en valaient la peine. Et pour les sublimer, il fallait un mur sobre et aucun cadre pour la limiter.
Je m’appliquai à contempler les peintures de Séverin que Vadigue avait acquise. Une toile avec un Toriis et une autre avec un Tolémine. Le contraste du rouge et du noir me renvoya au passé, sur les planches d’une scène maudite. Du bois sombre, imbibés de sang et des rubans rouges se consumant. Cela me rappela son voyage en Janomi. Ce moment où il s’était penché sur moi et qu’il avait « déduit » ce que personne ne savait. « Nous nous reverrons ». Il avait eu raison. Ce n’était pas souvent que nous nous croisions, et était-ce pour le mieux. Car à chaque fois, nous retombions dans les bras l’un de l’autre, et la séparation m’était déchirante.
— N'a-t-il pas de la poudre de fée entre les doigts pour exécuter de telle peinture ? Regarde, donc, cher Ludwig. On s’y croirait presque.
— Hum…
Je hochais la tête, accueillant les bras de Vadigue autour de ma taille. Son corps était si chaud. Une chaleur propice au froid des températures hivernale.
— C’est une porte vers un ailleurs. Une porte qui pourrait nous aspirer, qui fait illusion.
Je posai ma main sur le Toriis. À distance, j’avais l’impression d’une fenêtre sur un monde inexploré. Avec cette proximité, cette palpation, toute la magie s’envola. Je ne rencontrais que les reliefs laissés par la peinture durcie.
— Me dirais-tu ce qu’il y a eu entre vous ? chuchota Vadigue à mon oreille. J’en suis curieux.
— Qu’y aurait-il à dire ? Un amour d’adolescent chaotique.
Je renversais la tête contre l’épaule de mon jeune amant. Il en profita pour embrasser mon cou offert.
— Comment étiez-vous, l’un avec l’autre ?
Ses doigts glissèrent sous ma chemise. Un soupir s’échappa de mes lèvres. Être toucher d’une façon si particulière, comme un morceau de rien que l’on remodèlerait, me procura un vif besoin de plus.
— Prodigieusement toxique. Un amour qu’on ne devrait pas s’infliger quand on s’aime. Et crois-moi, on s’aimait… simplement, on le faisait mal.
Vadigue déboutonna mon pantalon après avoir jeté ma chemise au sol.
— Cet amour est toujours vif…comprit-il.
— Il l’est et souvent, je m’en désole. C’est une malédiction.
Je me tournai pour me lover dans ses bras. Il pressa ses mains plus fort sur ma taille et planta son regard dans le mien. Il ne m’en voulait de rien. Il savait que ce ne serait qu’une romance éphémère à laquelle on s’accroche pour un temps, sans y croire pour autant. Le genre de remède qui apaise sans guérir.
J’attrapai ses lèvres brunes et les embrassai le temps d’oublier Séverin et ce qu’il me faisait ressentir.
***
Dans la soirée, l’agent qui m’avait accompagné jusqu’à chez Vadigue toqua plusieurs fois à la porte en clamant qu’il vaudrait mieux retourner chez moi.
Je lui avais bien fait comprendre que j’y passerai la nuit que ça lui plaise ou non.
J’en avais assez de rester enfermé avec le reste de ma famille. Les voir si longuement chaque jour accentuait mes déprimes.
— Pourquoi ne pas être partie avec lui en Janomi ?
J’avais tout dit à Vadigue. Ce que je n’avais encore jamais fait avec aucun autre de mes amants. Mis voilà, il y avait cette différence. Il n’était pas jaloux, pas envieux. Il comprenait la situation, peut-être vivait-il la même…Un amour compliqué ou inaccessible.
— Il y avait la danse et Lomdélia. Et surtout, il y avait la promesse de Séverin que l’on se retrouverait.
— Vous vous êtes retrouvé. Il avait donc raison.
— Nous ne nous sommes pas encore retrouvés, Vadigue. Nous nous pourchassons, nous faisons une entorse à une règle peu claire. Il retourne toujours à sa peinture et moi, à ma famille.
Je caressais ses cheveux longs et noirs alors que sa tête reposait sur mon ventre.
— Qu’est-ce qui te manque quand il n’est pas là ?
— Tout, bien entendu.
— Comment vis-tu loin de lui ?
— Et toi, comment vis-tu loin de celui que tu aimes ?
Il ne m’en avait rien dit, mais comment ne pas le deviner alors que ses yeux étaient noyés dans les images douloureuses d’un amour impossible. C’était cela pour lui. Un amour qu’on interdisait. Il y en avait si peu.
— Je ne vis pas.
— Bien. Je ne vis pas non plus. Je fais illusion. Je fais comme si tout me convenait, mais dans mes entrailles tout est en sang. Viens chez moi demain, et je te montrerai l’ampleur de mes dégâts. Tu seras le seul à voir combien je joue. Parce que tu m’as ouvert la porte de cette chambre. Je sais… je devine que tu n’y emmène personne en règle générale.
Sur les murs de cette chambre il y avait des fresques murales d’un érotisme sans limite. Doux et amoureux. Vif et explosif. Toujours le corps d’un homme se détachait. Le même visage, le même regard. Il avait des airs de Vadigue. Je n’étais pas le seul à étendre l’image de mon amour contre les murs.
— Seulement ceux qui me ressemblent.
— Y en a-t-il eu beaucoup.
— Toi, s’en amusa-t-il. Il faut croire que nos brisures sont particulièrement crues.
Il redressa la tête et me fixa un instant. Son sourire me racontait si bien nos souffrances. Nous étions des fous encagés par un amour délirant.
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