19 ; Lalia

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— Je ne sais que ce qu’Ïeugres m’en a dit. Dans l’Envers tout est profondément noir. La bonté et tout ce qui s’y rattache est condamnée. Les sorciers qui vivent là-bas sont raccrochés aux sorciers de chez nous.

Sergueï avait réinvesti le corps mécanique de la poupée, et parce que le froid, cette nuit était mordante, je n’avais pas réussi à m’endormir.

Collé contre le petit poil que Sergueï avait rapporté la semaine passée, je tentais de me réchauffer. Tout ici était si mal isolé, et les feuilles de journaux prenait vite l’humidité sous les tapis usés.

— Tu veux dire qu’il y a des personnes sans pouvoir dans l’Envers, l’interrompis-je.

— Je veux dire que c’est un miroir. Une ombre… Il y a là-bas tout ce qu’il y a ici. Et nos mondes sont reliés grâce à la magie que nous possédons dans nos corps. Plus les sorciers de l’endroit tuent, plus ceux de l’Envers parvienne à rouvrir des portes fermées depuis des siècles. Les Tolémines.

— Si tu sais que ce sont des portes et qu’ils leur suffisent de te faire tuer pour les ouvrir pourquoi le fais-tu ?

— À l’époque, je m’en fichais. Je me moquais de tout. J’avais une douleur dans le cœur à assouvir. Et Aujourd’hui, je n’ai plus d’ombre en moi. Mes crimes n’apportent qu’à moi. Et puis… Les sorciers de l’Endroit sont devenus si rares. Les portes ne se réouvriront plus jamais. Et Si Ïeugres disait vrai, l’Envers se meure depuis des lustres.

— Ne risque-t-il pas de mourir ? Ïeugres.

— Il mourra. Nous avons déjà bien vécu lui et moi. Nous avons déjà une bonne soixantaine d’années.

— Tu en parais moins.

— J’ai toujours paru moins que mon âge. Mais que veut dire vraiment « paraître son âge ». Encore une drôle d’idée pour consterner.

Il me fit me lever et posa sur le tapis un morceau de cuir. Pensait-il que la fraicheur du sol en serait moins glaçante ?

Je me rassis.

Sergueï avait raison. J’avais moins froid. Je ne saisissais pas le pourquoi il prenait si bien soin de moi. Qu’étais-je à ses yeux ? J’y voyais, par intermittence, de la pitié. Ça me blessait, mais j’étais reconnaissante de ce qu’il m’offrait : un foyer où je n’étais plus seule, où j’avais un peu plus chaud, où on m’apportait des repas. Il était bon envers moi et je savais que je lui faisais mal par ma condition. Sans dire un mot, simplement dans ses gestes, il me rappelait que prochainement, il partirait. Nous lui cherchions un corps. Un peu plus de temps pour qu’il serve ses idéaux et pour qu’il retrouve celui qu’il était ou qu’il voulait être. Je crois bien que Ïeugres était tout un monde pour lui. Il n’osait pas le dire. Et, je n’osais pas lui poser plus de question sur son ombre ni sur le monde étrange de l’Envers. En ce qui me concernait, je n’avais pas de double pour m’accompagner. Ou alors, il était sacrément bien caché. Sergueï pensait que j’étais une sorcière de « dernier souffle ». La dernière de ma lignée. Mon pouvoir s’était amoindri et il continuerait à le faire. Je n’avais pas une grande envie de l’explorer. S’il m’apportait plus de problème que j’en avais déjà, alors je lui souhaitais bon vent.

Le bruit de sa carcasse métallique me sortit de mes pensées. Il plaçait de nouvelle boule de papier et des chutes de tissu, ainsi que tout ce que nous pouvions trouver dans les rues et les branchettes mortes qui se brisait aisément sur les arbres des parcs.

— Sergueï ?

Il se tourna vers moi. J’observai son âme et les étranges liens quelle avait nouée sur le corps de la poupée.

— J’aimerais que tu me dises pourquoi tu sembles si abattu quand on parle du Maître. Tu le connais, ça j’en suis convaincu.

Le tueur en série obsédé par mon Maître semblait intouchable, même pour un « marionnettiste » tel que Sergueï. L’appât n’avait pas encore abouti à une possible possession, et le Maître recevait toujours des dessins. Comment si prenait-il pour passer outre les agents postés à chaque porte ?

Il s’adossa au mur à côté de moi. Ses yeux profondément gris fixèrent un point devant lui.

— Je l’ai détesté pour tout ce qu’il représentait. Je déteste toujours ce Séverin de l’époque. Sa prétention. Son arrogance. Sa malveillance. Mais voilà, j’ai été bien cruel avec lui, sans me doutait que c’était envers moi que je l’étais le plus. Séverin était un mélange de mes souffrances passés et de mes bourreaux.

Je réalisai doucement une vérité que j’avais voulu éviter. Le métier de Sergueï était la cordonnerie, et pour avoir fréquenter les apprentis du Maître, j’ai appris que ce dernier avait été la proie présumée d’un tueur en série nommé Le cordonnier. On ne m’avait pas parlé de magie, met de poisons délirant dans le cuir des chaussures. Une écorchure et c’était déjà le début de la fin.

— Tu as essayé de le tuer ?

Pourquoi cette histoire me passait au-dessus de la tête et en même temps, me rendait-elle curieuse ?

— J’y étais presque. Mais une jeune fille et un amant trop passionné ont contré ma magie.

— Tu veux le tuer ?

— Aujourd’hui, je n’ai plus grand-chose à faire de lui. J’ai vécu vingt-huit ans en prison, isolé de tout, seul. La vengeance n’est plus d’actualité, Lalia. Je n’en ai plus de raison valable.

Je glissais mes jambes le long du sol, m’appuyai contre les oreillers dans mon dos.

— Tu as dit, tout à l’heure, que tu voulais retourner à l’atelier.

— Pour David.

— Seulement ?

Un sourire apparut sur son visage vaporeux, alors qu’il posa le menton dans sa main articulée. Il prenait de plus en plus le contrôle de ce corps sans vie.

— Peut-être bien que non.

— Ne sois pas si vague.

Je voulais connaître ses intentions.

Mon visage s’était fermé et je fronçais les sourcils.

— Bien. J’aimerai pouvoir parler avec Séverin. Celui qu’il est aujourd’hui. Celui que j’ai créé en lui saccagent la jambe.

Comment il est devenu après avoir vu son rêve se briser, réinterprétais-je.

— En ressens-tu au moins du regret ?

— Je ne sais pas vraiment. Séverin me fait me remettre en question. Il était beaucoup d’émotions en moi, mais pas assez pour me faire oublier ma liberté prochaine.

Il ne mentait pas. Pourquoi l’aurait-il fait ? Il ne m’épargnait pas. Ni dans ses mots ni dans ses regards.

— Demain, je t’emmène avec moi, dis-je seulement.

Il resta silencieux.

— David est dans une nouvelle phase compliquée. Il ne parle plus.

Il hocha la tête.

David serait bientôt un fruit assez mûr pour être cueille, et moi, je perdrais ma compagnie.

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